mardi 22 décembre 2020
jeudi 3 décembre 2020
Les choses pour ce qu'elles sont - le miracle Actis
On suivait de près le poète Actis – comme on suit à la trace Laura Vasquez, Guy Viarre ou Cédric Demangeot –, on avait lu son cinglant Ce sont des apostilles, on l'avait repéré dans la revue RIP, on attendait, comme jamais on n'attend, puisque tout vient à point. Et voilà que, grâce à la main d'or de Yves di Manno, aux éditions Flammarion, dans ce sanctuaire vivace qu'est la collection Poésie, nous arrive ce texte, qu'on dirait odyssée du jour le jour, simple épopée banale en proche Europe, récit de peux et de riens, en apparence, aux vers arrachés à une prose intime, portés par une cadence qui de page en page fait de nous l'otage fasciné d'une errance nouvelle, à la foi statique – le "corps voûté" de l'antique génitrice – et mobile – "Bulgarie écrit au gros feutre violet". Qu'est ce paysage qu'Actis déplie et déploie par touches à la fois fragiles – il part là-bas – et denses – tant à dire. Est-ce épique? Il faudrait pour répondre à cette question invoquer Proust qui dans ce livre est comme un magique chausse-pied pour semelle de vent:
"chercher un sujet pour des ambitions littéraires / c'est une idée un peu parvenue de la création artistique / là, un sujet, pour le jeune Marcel, qui fend le paysage dans la caisse familiale / le reflet du soleil sur une pierre ou l'odeur / d'un chemin qui s'enfonce dans un bois"
On hésite. On vacille. Quel lien entre l'immobile Proust et le fugitif Actis? Mais c'est ailleurs, dans le paysage, bien sûr: pour l'un c'est entendre les perspectives du proche et du lointain et les réunir dans une épiphanie fondatrice, pour l'autre, c'est "partir dans les tours", comme Marcel, mais autrement, au prix d'on ne sait quels délitements:
"boucan, 3h et demi déjà, rails dans le noir, cette fatigue avec la sueur, encore des flèches fluorescentes contre le ventre du tunnel / fumée pique les yeux / le train coupe à travers / ce sont des rivières / arrêt: croise le regard d'un vieux dents décharnées, ses bêtes aussi un, deux, encore / machine râle, ombre des wagons derrière contre la pierre"
La dissémination des textes finit, plus vite que la langue ne sait lécher, par former un vif lappement. Allant de l'intime déchiré à l'égarement prédit, Maxime Actis semble avoir bu et absorbé la lie de mille poésies, digéré ses sources, et laissé l'esprit vivace de son corps écrivant prendre le relais. Il raconte, détaille, décris, musarde, précise, situe, et quoi qu'il fasse son verbe sillonne, s'adapte, il prend les souvenirs, les impressions, les choses vues et entendues, vécues, sait décrire comme on s'invente une mythologie de pierres et de désirs —
"verserai gouttes de sang dans pierre taillée (douzième siècle avant J.C) / lascif près de la tombe supposée d'Oprhée, voire dans les branches des arbres remuées par le vent, un murmure, branches collées les une aux autres, des danses"
Itinéraire d'un corps né du deuil, Les paysages avalent presque tout est une œuvre si scindée et ouverte et déchirée qu'à la relire on sent qu'elle éclate autant qu'elle resserre. Bien qu'épars, fracturé, organisé selon des temps disjoints (le proche-agonie de l'ancêtre aimée/ le lointain dansant des boues autres), elle finit par tenir dans son poing toute une éparse cartographie. Comme si la douleur apprivoisée d'autrefois permettait le ferment d'ivresses lointaines.
"il a dit / j'espère que tout cela que tu auras vu te semble important, que tu le garderas proche de toi / son, français ressemble à celui des livres / il me tend cinq flacons en plastique remplis d'eau bénite / c'est sacré car après tout il l'avait dit / il a dit / viens nettoyer l'église / ça sent le marbre vieux"
Qu'aurait écrit Rimbaud amputé? On s'en fout. Lisez Maxime Actis.
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Maxime Actis, Les paysages avalent presque tout, coll Poésie, Flammarion, 2020 (19€50)
[… Merci à Charlotte Ajame qui m'a envoyé ce livre essentiel]