La version que propose en ce moment
Thibault Perrenoud du Hamlet de Shakespeare au
Théâtre de la Bastille est une version "à l'os" – grâce à la
traduction-adaptation qu'a taillée dans le texte de Clément Camar-Mercier. A
l'os, c'est-à-dire à la fois épurée et dynamisée, afin que le spectateur voie
et sente à la fois le crâne sous la peau, et la farce sous le drame. Car Hamlet n'est
pas qu'une traversée des ombres : si la pièce se veut lascive corrida avec la
mort, elle est aussi pas de danse avec l'esprit et la langue. Hamlet joue la
folie pour mieux qu'elle le dévore, mais aussi afin qu'elle le protège encore
un temps; il s'en fait un costume et une armure, même si, paradoxalement, ce
costume et cette armure le mettent à nu.
La mise en scène de
Perrenoud joue entre deux pôles complémentaires: l'exubérance vitale par
laquelle se manifeste la pulsion de mort, et l'inquiétante quiétude dans
laquelle palpite l'au-delà; tantôt l'agitation est à son comble, les corps se
contractent et se détendent, les paroles fusent comme si des chats crachaient;
tantôt le noir complet se fait (la scène du cimetière), ou alors c'est le père
de Hamlet qui apparaît, non en commandeur terrifiant jailli des brumes, mais en
convive doux et livide, attablé devant une assiette de rien. Dans une scène,
Polonius se change presque en oiseau criard et ridicule ; dans une autre,
Ophélie n'est plus d'un filet murmurant qui traverse la scène en une mortelle
diagonale.
Inventif jusque dans
l'irrévérence, nerveux et audacieux, le spectacle s'amuse des excès de la pièce
shakespearienne, prend le public à partie, et fait du travestissement un moteur
ingénieux – chaque comédien joue deux rôles, Polonius-Laërte, Gertrude-Ophélie,
le défunt roi-Claudius… Ce jeu de volte-face, loin d'être purement mécanique,
rend aux personnages une ambiguïté qu'on avait presque oubliée. Une immense
générosité, doublée d'une admirable humilité, célèbre avec cet Hamlet astucieusement
chorégraphié les noces toujours troublantes de la noire mélancolie et de la
grisante folie.
La pièce se joue jusqu'au
6 février, tous les jours à 20h (relâche le dimanche): vous savez ce qu'il vous
reste à faire.
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