Il paraît qu'il paraît 727 livres, là, tout de suite, maintenant. Est-ce trop? Si ça l'est, il faudrait fixer un seuil à partir duquel ça le devient et en deça duquel ça ne l'est pas encore. 523? 245? Ou 726? Hum. La grande question que posent les journaux (ils adorent se poser à eux-mêmes des questions), c'est: comment s'y retrouver? Parce que, vous l'imaginez bien, le lecteur, dès le 23 août, se demande: bon, ben, qu'est-ce que je vais lire? Entendez: dans ce qui sort, pas dans ce qui reste ou rentre. Comme si, en réponse à une abondance purement circonstancielle, l'œil devait s'entraîner à trier, lui qui a déjà du mal à lire, ou relire, ou dé-lire (dé-lire: oublier certaines lectures proprement navrantes). Apparemment, il y aurait une méthode souveraine pour se retrouver dans les choix d'une lecture qui, le crus-je, avait pour fonction de se perdre, mais bon, passons. La méthode, donc, consiste à écouter les conseils d'une presse prescriptive (ou prescriptrice, ça dépend du degré d'orthographe des médias). Mouais. Si l'on s'y fie, le fit-on, c'est simple: les éditos de tous les canards ont dû s'entreniquer dans la même mare, car tous nous conseillent les mêmes mous nénuphars à mâcher. Après recensement, on constate que la môme média attire notre attention et notre visa sur dix ou quinze bouquins, toujours les mêmes, bons ou pas bons peu importe, mais tous obéissant à un critère de plus en plus saisonnier, critère établi au nom du fucking principe de réalité et du fait qu'après des élections à la con vaudrait mieux savoir écrire le mot "réel". Donc, les livres-à-lire en cette rentrée ont la particularité (ah! ah!) d'émarger au registre du réel. C'est que LCI.fr, par exemple à la con, appelle "les grandes tendances" (ça change des petites vogues, des engouements moyens, des modes passagères…) Ces tendances seraient: l'actualité et la marche du monde. On notera la perversité basique de l'exercice. Uno: vous dégagez des tendances qui sont les vôtres; deuxio, vous cherchez les bouquins qui vous permettront de faire un papier de société estampillé culture. Parce que, hein, LCI.fr, ou même rue89, ils pourraient jouer un autre jeu et dire: Messieurs mesdames, cette année, deux grosses tendances: l'ingéniosité langagière et l'audace structurelle. Après, hop, on lit on lit on lit, et je suis sûr qu'on trouve parmi nos 727 ouvrages plus de quinze audacieux de la littérature. Mais non. Hors de question de parler ainsi de quelque chose qui se veut "actualité". Vous imaginez: alors cette année une fois de plus on constate que les livres s'occupent essentiellement de langage, et on lira donc Foucard, Jauffret, Volodine, Guyotat, etc. Faut pas rêver.
Pour ne pas se perdre dans le semoule fictionnelle, quelques mots clés nous sont obligemmant fournis: enfant DCD (3 titres au moins), nicolas, classe moyenne, Sangatte, Aubenas, monde ultra-sécurisé… Bref, la presse nous dit qu'on ne parle que d'eux et qu'elle, la presse, parle du fait qu'on ne parle que d'eux, puisque d'eux on parle. Ah? Oui. C'est comme ça.
Il existe, à ma connaissance, au moins deux autres méthodes.
On rentre dans une librairie, et on demande au libraire qu'on connaît, et qui vous connaît, ce qu'on pourrait bien lire. Le libraire n'a aucun intérêt à vous refiler Yasmina Reza si vous lui dites que vous avez adoré "Malacarne", paru aux allusifs (en plus, il y a de fortes chances pour qu'il ait lu ledit "Malacarne" et pas le "Nique-la, Reza"). Autre méthode, vous vous promenez entre les tables et les rayons, vous admirez les couvertures, vous tripotez les quatrième de couverture, vous feuilletez, lisez. Au pire, vous achèterez un livre sorti avant juin, on s'en remet très vite. C'est fou, mais ça paraît super simple. Il existe d'autres méthodes, bien sûr: surfer sur quelques blogs cousins et prendre des notes, faire des listes. Ou aller bouffer chez un pote et le questionner sur ces piles qui vacillent près de son canapé. On peut aussi écrire, mais ça prend plus de temps.
Le problème avec la presse établie, c'est qu'elle vous donne très vite envie de ne pas lire des bouquins qui sont peut-être bons. En général, je me méfie des articles 10-Ti-Rambiques qui ne citent pas une seule ligne, ou alors un truc du genre :"Il n'avait d'yeux que pour les siens". En revanche, j'adore les résumés exaltés qui me semblent, mais j'ai mauvais esprit, un gag glissé dans la gangue gâteuse. Mon préféré de la semaine est celui-ci, je vous laisse le soin de l'identifier (si ça se trouve c'est un chef d'œuvre, mais bon, rire n'est jamais mauvais à la santé):
"Ce premier roman de XXX recèle, sourdement, une rare violence: celle d'une passion unilatérale. En effet, une infirmière lilloise s'éprend d'un photographe parisien. Tout, a priori, sépare cette fille de mineur et ce bel aventurier. Il l'ensorcelle, la rudoie mais, pour la première fois, elle découvre le plaisir dans ses bras. Leurs affrontements sexuels exaltent cette femme secrète dont on découvre, peu à peu, le douloureux passé. Désir, pulsion de mort… XXX traque le vertige de son héroïne jusqu'au moment de la chute… définitive." Putain, si c'est pas beau, ça! C'est le genre d'article que j'ai envie d'apprendre par cœur et de customiser au cas où je serais un jour contraint de me recycler dans la CritickLit. J'ADORE! Surtout le "dont on découvre, peu à peu, le douloureux passé". Ce "peu à peu" me ravit, m'ensorcelle, me rudoie. J'ai presque envie d'aller vivre à Lille. Je godille aussi beaucoup sur le "recèle, sourdement, une rare violence". Recéler sourdement: mieux qu'un programme: un challenge!
Bref, lire la presse en quête de recommandations est un exercice aussi laborieux que de parrainer la masturbation d'un manchot. On est sûr et certain de se farcir les inévitables "les débutants ne sont pas en reste", "on retrouvera bien sûr", "une rentrée sans X ne serait pas une rentrée", "qui risque de faire parler de lui/d'elle", "une plongée dans", "une radiographie de", "s'attaque à" — toutes expressions qu'on pourrait traduire par: "me mâche le boulot".
J'ai découvert également il y a peu qu'il existait sur le net une propagande, pardon, une promotion littéraire. Par exemple, on peut aller sur le site de léo scheer tv pour voir et entendre Nathalie Reims. Si vous êtes seul devant une assiette de nouilles froides et que vous n'avez pas vraiment envie de zapper sur Chasse et Pêche, allez voir ce ClipLit. Vous aurez l'impression d'avoir forcé sur le narghilé et très vite vous ricanerez comme un nain de jardin qu'aurait poussé à l'ombre d'un champignon hallucinogène: le ridicule ne tue plus, il écrit et se fait filmer. A qualité égale, je ne connais pour l'instant qu'une version turque du "Magicien d'Oz".
Demain, nous parlerons d'importance du thème du poil dans l'œuvre de Huysmans. Bonsoir et aussi chez vous.