Le Salo(o)n du Livre a ouvert ses portes, demandez le programme! L'occasion d'écouter entre autres, côté littérature étrangère, Imre Kertész, Edgar Hilsenrath, Enrique Vila-Matas, Paul Auster, Alaa El Aswany… et côté français Arno Bertina, Stéphane Audeguy, Olivier Cadiot, Patrick Deville, Christian Prigent, Mathias Enard, Pierre Senges…
Quant à moi, je vous attends samedi pour une lecture ici:
15h00 - 15h30 Pavillon des 30 ans - Salon lecture (U89) Thème : Littérature / Grand débat Claro lit un extrait de "Mille milliards de milieux" (éd. Le Bec en l’Air).
et lundi pour un débat là:
18h00 - 19h00 La Place des livres (C68) Thème : Littérature / Grand débat La traductionï Intervenant(s) : Claude Bleton , Claro , Brice Matthieussent Animateur(s) : François Aubel
+ mardi soir, 20h30, à la médiathèque d'Issy-les Moulineaux (c'est à cinq minutes à pied du Salon…), une lecture autour d'Antonin Artaud.
Objet: lecture/rencontre/signature/godets autour de Mille Milliards de Milieux, texte Claro / photos Michel Denancé (éditions le Bec en l'Air)
Lieu: Librairie Pensées Classées, 9, rue Jacques-Cœur - 75004 Paris (métro Bastille)
Proposition: Nous vous invitons à écouter Claro pour une présentation et une lecture d'extraits de Mille Milliards de Milieux, à paraître le 10 mars aux éditions Le Bec En l'Air.
Descriptif: Vesna Vulovic est hôtesse de l'air. Le 26 janvier 1972, elle travaille à bord d'un vol à destination de Zagreb. L'avion explose en plein ciel. Miraculeusement, l'hôtesse de l'air survit à une chute de 10 000 mètres et s'en sort avec quelques fractures. Claro a imaginé le récit de cette chute vertigineuse, et les souvenirs qui' s'y rattachent. Vesna nous raconte ce "voyage vertical", et prend le temps dont elle dispose pour également revenir sur quelques instants de sa vie, son enfance, ses parents, son intérêt pour les pâtisseries, son héros en parachute, et quelques moments tragiques de son existence. (http://www.facebook.com/event.php?eid=335445313591&ref=ts)
La librairie Folies d’Encre, à Montreuil, ne se contente pas de vendre des livres, elle en publie également. Sous l’impulsion de son grand manitou, Jean-Marie Ozanne, on peut donc lire (ou relire) désormais le roman du Brésilien Moacyr Scliar (prononcez Mo-uh-seer Skleer), Max et les Fauves, paru une première fois dans une précédente traduction française en 1991 aux Presses de la Renaissance sous le titre plus domestique Max et les Chats.
En quatre-vingt pages, Moacyr Scliar décline une étrange menace féline à laquelle ne semble pas pouvoir échapper son personnage, Max Schmidt. C’est l’histoire d’un enfant qui peine à surmonter un cauchemar, une phobie, d’abord celle d’un tigre empaillé dans la boutique de fourrures paternelle, dont les yeux de verre semblent percer à jour sa jeune poltronnerie, sa fragile innocence. Le fauve se réincarnera souvent, il prendra très vite le visage du prédateur nazi, obligeant le jeune Max à fuir l’Allemagne après avoir goûté d’un peu trop près une fourrure autrement plus capiteuse (la goulue Frida…), puis se manifestera très concrètement dans la peau d’un jaguar, unique occupant d’un canot sur lequel dérive Max avant d’arriver au Brésil, plus précisément à Porto Alegre, ville natale de Scliar. Là, d’autres démons l’attendent, le guettent, car si Max a fui son pays pour tout recommencer à zéro, il n’a pas soldé tous ses comptes, et sa conscience historique, fauchée dans la fleur de l’âge, n’est pas arrivé à maturation – une bouffée d’antisémitisme cohabite chez lui avec la peur du nazisme. De ce conflit irrésolu vont naître phobies et hallucinations, mais aussi l’amorce d’une rédemption.
Ce court roman, traduit par Philippe Poncet, inocule le virus de la fable dans le cauchemar de l’histoire, en glissant entre deux terres distantes, l’Allemagne et le Brésil, un océan fantasmatique où règne un jaguar affamé ; mais le texte profite également de sa légèreté de ton et de l’enchaînement rocambolesque des circonstances pour sonder quelques anfractuosités mentales, et ce avec une subtilité pleine de grâce et d’humour. Le jaguar du livre, davantage reproche que menace, tôt jailli des jungles de l’enfance, cause et témoin des premières peurs, gardien des premiers émois, ennemi et compagnon de l’histoire, refuse de lâcher Max au cours de son odyssée. Son rugissement sourd exige d’être articulé, et Max ne saura se dévêtir de son pelage avant de l’avoir tué, mentalement et littéralement.
Difficile, voire impossible, de conclure sur ce roman paru en 1981 sans évoquer ce curieux avatar, cet autre félin qui valut gloire et renommée à l’écrivain Yann Martel en 2002, avec la parution de son roman The Life of Pi. Dans une postface, Moacyr Scliar raconte comment il eut vent de ce récit mettant en scène un personnage se retrouvant nez à nez avec un tigre dans un canot. Yann Martel finit par concéder dans un entretien qu’il avait lu un jour une critique faite par Updike du roman de Scliar, roman que Martel ne lut même pas mais dont il estima légitime de s’inspirer, les idées, aussi affûtées soient-elles, appartenant à tout le monde. Scliar, bon prince, n’alla pas jusqu’au procès, mais il reste à jamais étonné de la désinvolture de Martel. Si l’histoire littéraire abonde en pillages et détournements, on est toutefois en droit de se demander si cette réalité historique peut fairel’économie d’un devoir de reconnaissance. Par sa discrétion, son refus du litige, Moacyr Scliar nous rappelle qu’un livre se nourrit de lectures autant que de lecteurs, et que sa force n’a guère besoin des griffes du plagiat ni des crocs du succès.
De Ramón Sender, on ne connaît bien souvent que son Requiem pour un paysan espagnol et ses prises de position en faveur du peuple et des anarchistes. Sa vie, aussi, faite de drames et d’exils, d’abord l’Espagne, puis la France, le Mexique et enfin les États-Unis. Et un legs à la postérité d’une soixantaine de romans dont seulement une dizaine sont disponibles en langue française. C’est une belle pépite que réédite donc les éditions Attila en republiant la traduction que fit Emmanuel Roblès en 1955 de El Rey y la reina – Le Roi et la Reine –, parue alors aux éditions du Seuil.
Paru initialement en 1948 au Brésil, Le Roi et la Reine peut être envisagé sous divers angles. On peut bien sûr y lire le récit d’une fin, celle des nobles, sous la pression de la guerre civile (l’action se passe en 1936, à Madrid), la reine blanche qu’est la duchesse se retrouvant assiégée dans son donjon tandis qu’au pied du palais grouillent les « rouges », avec, dans le rôle du passeur amphibie, le jardinier Romulo, dont le désir brouille la conscience politique, l’empêchant de choisir son camp. Mais le roman ressemble également à une étrange partie d’échecs, une partie aux règles perverties : en effet, d’entrée de jeu, le roi est mis en échec (le duc a fui, est peut-être mort…). La reine, elle, n’a plus que quelques cases sur lesquelles se réfugier, à savoir quelques chambres du donjon, la tour devenant ainsi sa dernière protection. Quant à Romulo, il n’est au début qu’un pion, mais l’on sait à quel point aux échecs les pions peuvent jouer un rôle capital, à la fois protecteur, obstacle, adjuvant de la défaite. On trouve également un fou, personnifié ici par le nain Elena, qui, réfugié dans les entrailles du palais, prétend affronter un couple de rats géants. Il y a aussi les deux cavaliers de la Reine, tout d’abord le duc, qu’on croyait mort et qui revient par un passage secret, puis l’amant, Estéban, qualifié de « diable »…
Mais la folie, on s’en rend vite compte, n’est pas le seul apanage du nain/bouffon (bien que fasciste, il est adopté à la fin par les « rouges »…). Car Le Roi et la Reine, ce n’est pas le duc et la duchesse, mais bien le jardinier et la duchesse, car, comme il est dit à l’entrée du roman : « L’homme est le roi. L’illusion de l’homme est la reine. Ensemble ils forment la monarchie qui gouverne le monde. » Phrase sibylline, complexe, dont le roman de Sender s’emploie à déplier et éclairer les arcanes.
La guerre civile a éclaté, le duc a fui, et la duchesse se retrouve consignée par la peur dans le donjon du palais, à l’insu des combattants qui ont réquisitionné les lieux. Seul Romulo, le jardinier, veille sur la sécurité de sa maîtresse, à laquelle il a voué allégeance. Mais cette allégeance est corrompu dès le début du livre par une « mise à nue » capitale : la duchesse sort nue de sa piscine et s’adresse à son jardinier sans la moindre du pudeur, ne le considérant pas comme un homme. Humilié autant qu’excité par la vision du corps nu de la « reine », Romulo se doit désormais de devenir un homme (et non plus seulement une fonction) aux yeux de cette femme. Il ne saurait donc la livrer simplement aux combattants. Le désir l’emporte sur le social, et les deux personnages vont devoir se croiser au mitan de leur non-rapport, le jardinier aspiré dans un devenir-homme et la reine prise dans un devenir-femme. Plus qu’une banale relation maître-esclave, et en cela aussi fin que Marivaux, mais dans le cadre d’un roman étrangement gothique (Walpole n’est pas loin), Ramón Sender nous offre un affrontement sans cesse dédoublé entre des forces qui souffrent d’être contraires. Qu’attend chacun de l’autre ? Qui veut posséder qui ? Qui ne respecte plus quoi ?
La duchesse le dit clairement vers la fin du roman. S’adressant à Romulo, elle exprime le désir suivant : « que tu sois plus fort que toutes les folies qui nous assiègent ». Et le jardinier de finir par lâcher cette inquiétante promesse/menace : « Je vous donnerai la dernière chose que je puisse vous donner ».
Sous la plume fine, précise et patiente de Sender, le récit palpite et respire, à la fois théâtre d’ombres, tragédie en huis clos, roman de chevalerie, logomachie. Pas un seul instant, le duel au minuit ne s’enlise dans une lutte caricaturale entre oppresseur et opprimé. Car ce qui se débat ici, dans les pièces du palais, dans la boue de la cour ou dans les caves, c’est un désir encore informe, informulé, un désir contrarié dans son devenir, rétif aux hiérarchies, assoiffé d’une pureté qui au soleil paraîtrait simple souillure.
Romulo ne désire par la duchesse, ce serait trop simple. Il désire qu’elle voit en lui le désir, le possible roi, l’illusion nécessaire à l’accomplissement d’une nouvelle forme de monarchie, en apparence bâtarde, mais puisant à des racines obscures, inconscientes. Et il sait que son désir peut transformer la reine en femme, c’est-à-dire renverser l’ordre social, pas seulement en une femme que son mari prend à sa guise et que viole son amant, mais en une femme susceptible de réveiller en lui l’homme vaincu par le jardinier.Quant à la duchesse, on s’aperçoit assez vite qu’elle est passé d’une fausse liberté à une fausse incarcération, qu’elle a troqué sa liberté de mouvement contre le mouvement de sa liberté : bien que troublée (elle a conscience de l’obscénité de son acte au sortir de la piscine), elle refuse de laisser pénétrer en elle le membre viril de l’insurrection.
Dès lors, le palais, siège des tensions, émotions et révélations, fonctionne comme l’inconscient, la reine occupant la place en apparence privilégiée du surmoi dans les hauteurs du donjon, le jardinier œuvrant à la façon d’un moi intercesseur, tandis que le ça semble s’être réfugié dans le corps étriqué du nain Elena, lui-même aux prises avec des cauchemars tout en griffes et en crocs. On est loin d’une mécanique, tant Sender fait preuve d’une sensibilité exemplaire dans sa façon de relier par un fil invisible des scènes où la beauté règne à la façon d’un pouls sous la peau des paragraphes.
Lisons ce passage, qui ferait aussi bien les délices de Charlus que de Deleuze :
« Romulo avait passé des heures et des heures à contempler un parterre d’arums. Dans leurs profonds entonnoirs blancs entraient souvent une abeille ou un bourdon. Certains de ces bourdons étaient parfois de grande taille, veloutés, vêtus avec un luxe asiatique et se mouvaient avec une sorte de gravité religieuse. Il avait vu un de ces insectes entrer lentement au sein d’une fleur, comme un roi dans sa chambre. Dès que le bourdon fut au fond Romulo s’aperçut qu’une étamine s’abaissait, lui touchait le dos et le marquait de jaune. Ce comportement de la fleur avait laissé Romulo perplexe. Rien, dans la vie humaine, ne pouvait être comparé en beauté à l’entrée d’un de ces insectes au cœur d’une rone entr’ouverte […]. Cette pénétration, avec les délices mêlées du toucher, de la vue, de l’odorat et de la saveur, devait procurer une sensation inconnue de l’homme, une sensation qu’il pouvait à peine imaginer. […] Si les miliciens ne revenaient jamais et si lui restait là, dans ce domaine et avec la duchesse, il se sentirait aussi comme ces bourdons qui lentement s’enfoncent au cœur d’un magnolia. »
Comme le dit si exactement Sender lui-même : « Mon propos relève plutôt de l’illumination que de la logique. J’essaye de suggérer des plans mystiques […]. »
La puissance suggestive de l’écriture senderienne trouve, grâce aux éditions Attila, un écrin parfait, tant l’ouvrage est d’une fabrication soignée (la maquette est signée Jeanne Witta), la mise en page de temps en autre envahie par les inquiétants dessins d’Anne Careil, qui permettent au surnaturel d’insuffler sa petite musique : ici une pluie de main, là quelque somnambule piégé dans son rêve, et ce dans une tradition ingénieusement héritée de Max Ernst, créant un univers parallèle, saturé de diagonales et nappé d’ombres.
A signaler qu’Attila annonce la parution prochaine d’un nouveau texte de Ramón Sender, El Vado.
Après avoir vu, récemment, à la MC93 Bobigny, l’ingénieuse et puissante adaptation, nécessairement parcellaire, qu’ont faite du roman de Bolaño, 2666, Pablo Ley et Alex Rigola, et dont ce dernier a signé la vibrante mise en scène (en lecture ?), quoi de plus naturel que de replonger, comme incessamment magnétisé, dans cette œuvre dont le déroulement posthume nous réserve encore de beaux vertiges. Les éditions Bourgeois publieront en avril prochain un texte intitulé Le Troisième Reich, et l’on ne peut que guetter également la parution, dans un avenir proche, de La Universidad Desconocida. En attendant ces pépites, où charbon et diamant devraient continuer leur dialogue tendu, on ferait bien de s’offrir le détour pluriel que nous propose la revue Cyclocosmia, revue dont le dernier numéro paru est pour l’essentiel consacré à l’œuvre de Roberto Bolaño.
Après un numéro Pynchon, un autre sur José Lezama Lima (et en attendant d’autres à venir, possiblement centrés sur Volodine et Milorad Pavic), Antonio Werli et ses deux acolytes, Julien Frantz et Julien Schuh, ont concentré leurs efforts pour nous aider à nousretrouver dans une œuvre qui n’a rien à envier au poulpe ou à la méduse. On lira donc avec intérêt les souvenirs du salvadorien Moya, lequel fait de RB un « guetteur » infatigable ; le parcours éditorial de RB tel que le retrace Jorge Herralde. Antonio Werli, en quelques pages lumineuses, ressuscite le rêve mallarméen du livre chez RB (« Au-delà l’espace transparent »), tandis que François Monti s’efforce de dégager les lignes et fractures politiques d’un auteur qu’on ne saurait uniquement articuler à une critique du fascisme (« A la gauche de Bolaño »). Dans « Prosopopée pour anapocalypse », Julien Frantz tente une lecture « girardienne » plus que pertinente. Eduardo Lago, dans une contribution intitulée « La Soif de Mal », replace RB dans les lettres hispanophones, et nous rappelle à quel point l’auteur de 2666 jouait avec l’espagnol, le chilien, l’uruguayen etc.
Eric Bonnargent, dont on suit sur la toile le blog littéraire Bartleby Les Yeux Ouverts, relit Les Détectives sauvages pour en extraire le « perspectivisme fondamental » et nous rappelle au passage le fameux poème de Tinajero considéré par Belano et Lima comme la quintessence de l’art, Sion.
D’autres contributions font de ce volume une salutaire cavalcade sur les terres bolañiennes. Et, fidèle à son credo littéraire, Cyclocosmia intercale dans ce mille-feuilles critique quelques récits et poèmes, signés Julien Frantz, Carlos Henderson et alii.