vendredi 26 avril 2019

SUBSTANCE: A PARAÎTRE LE 21 AOÛT CHEZ ACTES SUD


Une journée d'écrivain

Lever, tel du bon pain, à une heure située entre minuit et six heures, ce qui laisse une certaine marge de manœuvre pour pouvoir dialoguer sereinement avec sa femme. Puis, d’un pied alerte, dans la foulée, si j’ose dire, la cérémonie du café sur le balcon, qui s’apparente, mais de très loin, à l’annonce que habemus papam et qu’il est pas encore tout à fait prêt à discourir.

Ablutions furtives dans le plus proche ruisseau. À défaut de ruisseau, bataille de pistolets à eau dans la chambre des enfants endormis. La bonne humeur est inconcevable sans un certain élément de surprise.

Les choses sérieuses commencent avec la caresse à l’ordinateur. Lecture des informations, compte précis des morts sur toute la planète durant la nuit, étude rapide mais jouissive des cours de la Bourse. Enfin, courrier. Avec un bon coupe-papier, ouverture des mails en souffrance, ce qui est somme toute cohérent.

Trois minutes suivent, entièrement consacrées à l’écriture du chef-d’œuvre en cours. Puis vingt secondes pour la relecture, et deux heures d’autosatisfaction béate, mais néanmoins fructueuse.

Coup de fil obligatoire à la banque pour leur rappeler qu’un écrivain est plus un découvert qu’une découverte.

Midi, repas frugal dans un restaurant gastronomique avec des critiques littéraires du siècle dernier.

L’après-midi est un moment sacré, mais surtout païen. Une sieste régénératrice permet à l’écrivain de faire le point sur l’étrange parenté entre les rêves et les mouvements de vente de ses livres.

Mais déjà tombe le soir. L’angoisse s’installe, la télé ne s’allume pas. Il faut revenir au dur labeur d’écriture, qui consiste en un travail immodéré du coude afin de rendre plus aisé le maniement du clavier.

Quand les yeux se ferment, c’est bon signe. Il est temps de mourir à soi-même afin que la littérature ait une chance, même infime, de ne pas sombrer dans la surenchère.

mardi 23 avril 2019

La Route nue – Claude Simon par Odette Ducarre


En 1960, alors que paraît aux éditions de Minuit le roman de Claude Simon, La Route des Flandres, un autre éditeur en prépare une édition un peu spéciale. Il s'agit de Robert Morel, qui va publier le livre au Club du Livre Chrétien, maison qu'il a fondée cinq ans plus tôt.

Après avoir recouru aux services de Le Corbusier pour en dessiner la maquette, Morel fait ensuite appel au savoir-faire de sa compagne, Odette Ducarre – peintre, architecte, maquettiste… – qui sera alors directrice artistique du Club.  Elle travaillera sur plus de cinq cents livres publiés par Morel… Pour cette édition, Odette Ducarre opte pour une couverture toilée rouge garance, en référence à l'uniforme des soldats de 14 (avant qu'ils enfilent un pantalon indigo, moins voyants…). Puis elle "crible" la couverture:

"Sur le premier plat du livre, pour dire la mort j’ai encastré 19 billes métalliques : de la grenaille de plomb. Sur le dos, une seule." (source: ici)



L'effet est saisissant. Mais, non moins surprenante, est la mention d'impression:
"Entre la fête de saint michel et celle de saint jérôme en l'an français pourri 1960" (cf texte complet sur la photo)


Qu'avait eu de "pourri" l'année 1960 aux yeux de Robert Morel? A chacun de l'imaginer… Mais aujourd'hui, Odette Ducarre dit qu'elle s'y prendrait autrement, et ses mots nous aident à penser combien habiller un livre est délicat —:

"Aujourd’hui je serais intimidée par l’idée d’habiller La Route des Flandres. […] Maintenant je pourrais faire une mise en page selon le rythme, la violence, l’érotisme, et la boue. Composée en caractères Garamond, italiques. La hampe des lettres est fine, les pleins et les déliés sont bien contrastés. Le galbe des lettres rondes est parfait. Je n’imprimerais pas le livre à l’encre noire. L’impression serait à l’encre rouge garance. Ce serait un livre sans couverture, sans habit, sans jaquette. Uniquement le texte. Nu. Complètement nu."