jeudi 26 juin 2025

Le Louis Lambert de Balzac: Une œuvre traversée

 

Peut-être avez-vous lu Louis Lambert, ce roman de Balzac paru en 1832, et qui conte l'histoire d'un étudiant surdoué oscillant entre métaphysique et spiritualisme pour sombrer finalement dans la folie. C'est un des romans les plus étranges de Balzac, assurément, d'où cette entreprise un peu folle – elle aussi – dans laquelle se sont lancées les éditions Le Lampadaire, qui ont publié récemment un grand volume relié intitulé sobrement Le Cas Lambert, véritable introspection/extrospection de l'œuvre balzacienne et débutant par la reprise du texte lui-même pour se poursuivre, de façon aussi déconcertante que perspicace par une cinquantaine de pages sur lesquelles sont reproduites des photos, toutes issues de l'iconographie psychiatrique.  Une façon sans doute de répondre à l'inquiétude qu'exprima Balzac dans une lettre à sa sœur, lettre dans laquelle il s'excite et se caféine ainsi:

"Louis Lambert m'a coûté tant de travaux! que d'ouvrages il m'a fallu relire pour écrire ce livre. Il jettera peut-être, un jour ou l'autre, la science dans des voies nouvelles. Si j'en avais fait une œuvre purement savante, il eût attiré l'attention des penseurs, qui n'y jetteront pas les yeux. Mais, si le hasard le met entre leurs mains, ils en parleront peut-être!…"

Disons-le: le souhait de Balzac est largement exaucé – exhaussé, a-t-on envie d'écrire – grâce à ce passionnant volume, qui enchaîne les points de vue comme autant de chemins où s'aventurer. Volume qui balise le spectre clinique du roman comme de la personne Louis Lambert, que ce soit par des textes du début du vingtième siècle – preuve qu'on s'intéressait alors, cent après sa parution, à la dimension schizo de l'érudit Lambert, dont on perçoit quelque chose d'étrange:

"La folie devient une ruse de la narration, employée pour éviter qu'on ne croie l'auteur fou, car ce n'est pas lui qui est fou, mais ses idées, trop novatrices pour être acceptées par le commun des mortels. Ce sera donc un fou qui les énoncera, subterfuge qui permet d'en entendre l'énoncé (…)" 

— que par des "interpolations" qui enrichissent et décalent analyses et documents. Car si Louis Lambert peut être envisagé comme un double possible de Balzac (qui suite à un grave accident de voiture entrevit des liens inquiétants entre création et folie), ce livre se veut une expérience transversale entre la fiction balzacienne et de multiples discours sur la névrose, abondamment annotés, où l'on ne croisera pas que des cliniciens puisqu'y surgissent, éclairants ombragés, Victor Segalen aussi bien que Henry Miller, Rousseau,  Montaigne, sans compter l'ombre forcément portée de Michel Foucault.

Portrait kaléidoscopico-aliénistique d'un personnage devenu "cas", l'ouvrage publié par Le Lampadaire (dont l'audace éditioriale n'est plus à démontrer) nous enfonce aussi bien dans les arcanes du roman balzacien que dans le grand débat sur la folie qui n'a cessé d'agiter la société et ses commentateurs (sans parler de ses juges) depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Le tout savamment désorchestré, afin qu'on entende mieux chaque bois, vent et cuivre de folie, par Julie Cheminaud  (Postface), avec comme maîtres d'œuvre et d'écriture Sophie Saulgnier et Hubert (sic) Lambert.

On peut lire ce livre comme une anthologie fracturée de la folie lambertienne, mais on peut aussi le lire comme un roman du roman, une "fiction électrique" – tout sauf cataleptique ! – où toutes les messages transmis par les courants de pensée branchés sur le pôle Lambert convergent vers une expérience littéraire d'un genre nouveau. Le tout illustré de tant de visages fantômes qu'on pourrait croire qu'il s'agit là d'une forme aussi bâtarde que nécessaire de diorama somnambulique. Ce que toute enquête littéraire un tant soit peu ambitieuse, finalement, se doit d'être.

C'est là, après "Lecture de prison," le deuxième volume de la collection "Curiosités" ourdi par le surprenant Lampadaire. Une aventure éditoriale remarquable, érudite, soignée, fascinante – que vous faut-il de plus, à part lire ou relire Louis Lambert ?

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PS Et si vous ne trouvez pas le livre chez votre libraire, commandez-le ! Tous les bons livres ne sont pas sur les tables des fatales nouveautés recommandées, il faut chercher, demander – être lecteur-lectrice, c'est tout un devenir-Fantômette ! 

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(Un grand merci à Sophie Saulnier qui m'a envoyé le livre et a attendu si patiemment ma lecture.)



mardi 24 juin 2025

Laisser passer la lumière: "J'étais dans la foule", de Laura Tirandaz

 


Il y a dans J'étais dans la foule, le nouveau recueil poétique de Laura Tirandaz, une étrange évidence, celle d'une voix à la fois solitaire, une voix qui traverse des espaces et frôle des consciences, tout en acceptant à son corps défendant une certaine porosité d'avec le monde. Une voix, mais aussi un regard, on pourrait presque dire un regard-voix, qui se pose sur l'autre par nécessité d'être, de vivre, et témoigne comme s'il fallait soustraire délicatement des aveux, des signes à ce qui l'entoure. Et si ce qui entoure, ce qu'on frôle, ne saurait exister que sous forme fragmentaire, alors il revient au poème d'offrir à cette fragmentation l'illusion d'une fluidité – et c'est la belle force des poèmes de Laura Tirandaz que de "coudre" ce qui est disjoint:

"J'étais dans la foule / À l'angle de la rue / quelqu'un reprend son souffle / Il cherche son alphabet / et parle à voix basse / Des phrases, des coups de rame / Les corps glissent / Les visages se superposent / Il pleut / Haleine fortes / Des espaces déchirés – traces d'ongles / Ils se dispersent / Ça y est il pleut / Des mouches sur mon rouge à lèvres"

La violence, la douleur, la peur ne sont jamais loin, leurs ombres portées s'attardent parfois sur le poème, qui n'en cesse pas moins d'avancer – une colère ténue permet sans doute cette avancée. "Avec mes bras sanglants / ma forêt respire". Des figures passent – un adolescent, une vieille… –, une ville est arpentée, des animaux se profilent, des sons résistent, des couleurs aussi, des formes et des matières que l'espoir cherche à mettre en résonance, même si l'harmonie est impossible : "Il se pourrait que les colères forment un nuage / une brume équivoque / où tout geste serait une invite".

En filigrane, on verra ou sentira des ombres persanes, mais aussi des condamnés iraniens – et si en dépit de l'exergue signée Hafez, ces poèmes sont tout sauf des ghazals – l'amour ici reste inchanté – il y a dans ces poèmes quelque chose d'un exil partagé, qu'on pourrait rapprocher, même s'il s'agit d'une autre terre, de la poésie de Solmaz Sharif. On est en un lieu de fracture, un espace lentement menacé à l'instar d'une espèce – "Voix étouffées dans le nid de la gorge / Balise dans l'océan / Respiration du cétacé qu'on découpe sur la plage / Bientôt les rafales". La solitude un peu partout se dresse, mais multipliée finit, qui sait, par faire foule.

Ni dénudée ni lestée, portée par un équilibre métrique qui aide le souffle à surmonter les failles, la poésie à l'œuvre dans J'étais dans la foule de Laura Tirandaz, par son pouvoir enveloppant, tisse un chant discret où affronter, debout, têtu.e, le réel.

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Laura Tirandaz, J'étais dans la foule, Héros-Limite, 16€


lundi 23 juin 2025

Le patron d'en bas s'en est allé en haut

 


On apprend avec tristesse le décès de Jean Richard, figure phare des audacieuses éditions d'En Bas, qui publient ce qui se fait de plus novateur en Suisse avec les éditions Zoé.

Je l'avais croisé à plusieurs reprises – il était venu me voir un jour sur un salon du livre pour me faire découvrir ses dernières nouveautés, en me disant qu'après avoir lu mon recueil d'essais sur la traduction (Le Clavier Cannibale, éd. Inculte), il avait eu l'idée de faire figurer le nom du traducteur dans la même taille de police que le nom de l'auteur sur les ouvrages qu'il publiait (souvent en bilingue). On s'écrivait de temps à autres, on se croisait à Morges ou ailleurs – mais surtout au gré des livres qu'il aimait et soutenait. Il avait la barbe érudite, le regard aguerri et une voix qui bruissait comme les pages d'un ouvrage bienveillant. Allez faire un tour dans les allées du catalogue des éditions d'En Bas, vous n'y trouverez que des merveilles, et permettrez ainsi à la mémoire de Jean d'essaimer encore plus loin, encore plus fort.

Cher Jean, nous quitter ainsi si tôt, au début de l'été, pour d'éternelles vacances, quelle ironique façon de tirer sa révérence – mais nous laisser un tel héritage est un gage d'affection qui nous va droit au cœur, sur nos plus précieuses étagères.

vendredi 6 juin 2025

Quand ils entendent le mot culture…


Il n'y aura donc pas de nouvelle édition du formidable festival littéraire Ecrivains en bord de mer. Faute de budget alloué à la culture. La quoi? La culture, ce mot qui écorche la gueule de la présidente de la région, ce mot pratique que certains aimeraient voir uniquement réservé à la gestion du patrimoine. Oui, parce qu'aux yeux de nos dirigeants, il y a quelque chose de pourri dans ce qu'ils appellent culture. Pour eux, il s'agit au mieux d'un ramassis d'écrivains islamo-gauchistes, de saltimbanques en claquettes, de théâtreux des rues. Jour après jour, région après région, la chienlit made in Puy du Fou gagne du terrain. Les voix indépendantes, libres, nuancées sont toujours les premières à pâtir de la haine de l'expression qui anime les droitards de tous bords. Comment faire des économies quand une bonne partie du fric part dans les poches de ceux et celles chargés de le répartir ou dans des cisaillages de rubans débiles ? En sucrant les subventions aux artistes, bien sûr. Car notre déficit budgétaire n'est plus causé par la sécu, mais par l'art. Fallait y penser, hein.

On connaît la chanson: qui dit baladins dit parasites. On est presque étonnés qu'on ne nous ressorte pas le coup de l'art dégénéré, mais ça ne devrait pas tarder. La Maison des écrivains et de la littérature ferme? Pas grave. Le Festival littéraire de la Baule arrête? Pas grave. Le festival Midi-Minuit à Nantes vas devoir bientôt s'appeler le Festival Midi-Treize heures? pas grave. Ce qui compte c'est que quelques heures après la mort de Pierre Nora, l'immense historien Louis Sarkozy soit invité à la Baule pour son pensum sur Naboléon N°3, et franchement ça change des élucubrations de Yves Tanguy ou Laurent Mauvigner. 

Une personne peu recommandable aurait dit un jour : Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver. Eh bien ici pas besoin de flingue – pas encore. Le mépris suffit. Un mépris qui s'avance ouvertement, avec son petit cortège d'aigreur, en faisant des sales remous haineux. Et ça ne fait que commencer. On sent qu'une certaine France voudrait faire corps avec un fantasme de France, où on s'occuperait plus des monuments que des intermittents. Une France patrimoniale, droite dans ses bottes. Comme si dans l'expression "manifestation littéraire", le mot "manifestation" équivalait à "manif" – et littéraire à… à quoi? On s'en fiche. Les écrivains sont des manifestants, apparemment. Un black bloc comme de l'encre qui fait voir rouge. Après le printemps des poètes, voici venir l'hiver des pète-sec.

vendredi 23 mai 2025

Vente à la criée du lot Pynchon


C'est désormais officiel. Après moult tractations dans les ténébreuses & méandreuses coulisses de l'édition, et à la demande de son épouse et agent, l'écrivain américain Thomas Pynchon change d'éditeur français. Exit le Seuil qui le publiait depuis les années 80, sous l'égide de Denis Roche puis de Bernard Comment dans la collection "Fiction & Cie". Rappelons que le Seuil avait pris le relais de Plon, lequel avait fait découvrir Pynchon dans les années 60 grâce à la vigilance de Max-Pol Fouchet.

Ce sont désormais les éditions Bourgois, sous la houlette de Jean Mattern, qui non seulement publieront en octobre 2026 le nouveau roman de Thomas Pynchon, Shadow Ticket, que traduira l'incontournable et infatigable mais néanmoins collègue quoique ami et par ailleurs écrivain Nicolas Richard (quand celui-ci aura fini de traduire, entre autres joyeusetés, la monumentale biographie de Pessoa écrite par Richard Zenith…). En outre, les éditions Bourgois exploiteront également tous les titres précédents de Pynchon, dont certains paraîtront en J'ai Lu. Il est question également de proposer de nouvelles traductions de deux titres, L'arc-en-ciel de la gravité et Vente à la criée du lot 49. Bref, la roue tourne, pour ne citer que Torquemada.

Comme le disait Pynchon lui-même: "Same thing, but different." (Ce qu'on peut traduire par : "L'éternel retour du même ne rechigne pas à s'accommoder de légères variations.")



samedi 17 mai 2025

Où sont les survivants: d'une poésie commune à partager


Les éditions MF lancent une nouvelle collection intitulée "Poésie commune", dont quatre titres viennent de paraître, quatre petits livres cartonnés de format 95x130 qui tiennent entre les paumes, et et dont les différentes couleurs semblent annoncer un passionnant arc-en-ciel. Si j'emploie cette image météorologique, ce n'est pas par hasard, car quelque chose de climatique rassemble ces ouvrages, qu'il s'agisse des nuages du Xixi de Florence Jou, des saisons de Des branches et des autres de Camille Sova, de la neige de Poudreuse de Séverine Daucourt, ou de l'eau de Veules-les-Roses de Gabrielle Schaff.

Les éléments comme élément commun? Et la poésie, alors? Ici, elle est tout sauf hors-sol, même si elle se préoccupe d'arrachements de toutes sortes. Ici, elle va et vient dans le monde d'aujourd'hui en affrontant un paysage-panique. Ici, elle devient, comme dans le Xixi de Jou, un discret kung-fu permettant de survivre dans un présent où le ciel a des "accents de cannibale", le ciel qu'il faut à tout prix éviter de "perdre". La poésie non pas comme remède à l'industrie humaine, mais comme langue-passeport ouvrant d'autres possibles, la poésie comme un mouvement de tai-chi que l'ennemi n'a pas le temps de détecter.

Dans un petit livre savamment accordéoné, offert pour l'achat de deux titres, des extraits et des textes commentant ces parutions étoffent la vision qu'on peut déjà se faire de cette excitante aventure éditoriale – d'autant plus que MF nous annonce pour l'an prochain la parution d'un nouveau livre d'Elke de Rijcke, Paradisiaca. Un Lac-Opéra, et nous en donne à lire un extrait (en attendant, je vous conseille vivement de lire l'anthologie de cette auteure, parue chez Lanskine sous le titre Et puis, soudain, il carillonne).

Mais écoutons pour lors la voix de Florence Jou, qui devrait vous donner envie de faire poésie commune avec ces livres:


mon réveil est vent féroce / une tasse de thé vide au pied de mon lit / je me décolle de ma carcasse aux lèvres gelées / pour prendre le rasoir de mon père / tailler dans ma masse brune touffue / trancher comme des lambeaux de viande / devenir combattante de la vraie ombre / ninja des rivières célestes 

Combattant de la vraie ombre: ce pourrait être une possible définition de la poésie, aussi commune que diffractée, à l'œuvre dans ces quatre ardents missels.

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Pour en savoir plus, c'est ici.

samedi 10 mai 2025

L'intolérable légèreté de l'attente avant publication


Derrière les livres, on le sait, il y a des auteur.es. Sont-ils/elles, d'ailleurs, derrière? Très souvent, il leur faut aller devant, redoubler par leur présence et leurs paroles le travail éditorial. Aller au charbon. Certain.es aiment, d'autres moins. Se montrer, après avoir disparu dans le travail en cours. Parler, après s'être tu en écriture. De leurs livres, d'autres parleront, ou pas. Mais ce qu'il faudrait souligner, en plus de ce SAV auquel ils/elles doivent/peuvent se plier, c'est leur patience.

Écrire prend du temps (quelle que soit la façon dont on mesure ce temps). Et quand le livre est fini, débute toute une série d'autres attentes. L'attente d'un éditeur: ça peut prendre longtemps, un an, voire plus. Et si le livre est accepté par un éditeur, il faut parfois le retravailler, et là encore le temps s'étire, l'auteur.e a quitté le temps de l'écriture mais doit y revenir, bon gré mal gré. Puis vient le temps ultime, celui qui sépare le moment de l'acceptation du manuscrit de sa publication, et une fois de plus, l'attente peut être longue – car quand un éditeur accepte un texte, son "planning de publications" est souvent déjà établi sur plusieurs mois.

Tout ça pour dire qu'on ne louera jamais assez la patience des auteur.es. Entre le moment où ils/elles débutent un texte et le moment où ledit texte paraît, le temps semble se dilater de façon abstraite, parfois intolérable. A l'urgence d'écrire a succédé l'impatience d'être publié, mais c'est l'attente qui prend toute la place entre ces deux moments.

Il n'est pas facile de dire à un.e auteur.e: "J'aime votre texte, je le publierai donc dans un an et demi"; et encore moins facile, quand on est auteur.e de s'entendre dire ces mots. Bien sûr, parfois, le processus est moins lent, une "case" se libère, et le texte peut paraître plus vite que prévu, mais la machine éditoriale est laborieuse, on doit établir son programme très en amont, on présente le livre aux représentants quatre ou cinq moins avant parution, etc.

Il existe donc des temps très différents dans le parcours d'un livre. Et une fois publié, un nouveau temps surgit, souvent très bref, celui de sa présence sur les tables des libraires. Bref, des années de travail, souvent, pour un très bref tour de manège… Avis, donc, à ceux et celles qui "fantasment" d'être publié.es: c'est une forme de patience inédite qu'il vous faudra apprendre à maîtriser. Une attente qui n'a rien d'une détente. Un temps comme suspendu, dont il convient de savoir s'extraire. 

mardi 6 mai 2025

De la sensibilité en lecture: Laure Murat ou l'art du contrepoint sur le i

 


Dans Qui annule quoi?, Laure Murat s'était déjà penchée sur cette peur bien pratique d'une improbable "cancel culture" qui permet à toute une société réactionnaire de jouer la carte victimaire pour oblitérer ses douteuses idéologies. Avec Toutes les époques sont dégueulasses, qui paraît aujourd'hui aux éditions Verdier, elle tente une nouvelle fois de mettre des points (cardinaux) sur des i (impensés), et s'attaque à l'épineux problème d'une certaine "révision" des textes. Pour cela, elle opère une distinction entre réécriture et récriture.

La première pratique, d'ordre alchimique, vise à une transformation d'un texte, texte qu'on revisite pour ainsi dire de l'intérieur en y appliquant néanmoins des forces issues de l'extérieur – il s'agit donc d'une recréation, ce dont la littérature a toujours été friande, qu'elle s'y livre par déformation, continuation, renversement, etc.

La récriture, en revanche, relève de l'idéologie, ou de la morale, et tient, non plus de l'alchimie, mais de la restauration. Il s'agit d'effacer des éléments jugés offensants, ce qui, à première vue, pourrait sembler vertueux, mais Laure Murat a tôt fait de démasquer derrière cette gomme magique un évident intérêt économique. En ripolinant certains classiques – Roald Dahl, Agatha Christie… – l'édition cherche avant tout à préserver des titres ayant pignon sur librairie, et dont certains éléments – racistes, principalement – pourraient ternir l'aura, et donc limiter la diffusion.

On voit bien, derrière le rideau de la décence, s'agiter le risque de l'oubli. Car à quoi bon faire croire que Dahl ou Christie n'étaient pas antisémites? Cela revient à postuler que les éléments offensants sont uniquement circonscrits dans des termes précis (gros, nez crochu) et qu'une certaine pensée ignoble n'infuse pas de façon plus subtile (?) jusqu'à la syntaxe, les images, le contenu. A cet égard, essayez de récrire Bagatelles pour un massacre de Céline en supprimant les mots "youtre", "youpin" et autres apparentés: le caviardage ne fera pas s'évaporer l'odeur d'esturgeon pourri qui en émane. 

Ne vaudrait-il pas mieux, rappelle Laure Murat, contextualiser ces textes qui posent problème, plutôt que de se livrer à de fastidieuses acrobaties cosmétiques ? Les notes, les préfaces, postfaces et autres appareils critiques sont un moyen autrement plus efficace et plus réflexif de mettre en perspective leurs angles morts (voire mortifères). A condition bien sûr que cet appareillage ne rajoute pas une nouvelle couche en se répandant en approximations et justifications pour faire passer ce qui ne passe pas. La prothèse ne doit pas devenir cataplasme.

Loin de tout systémisme, l'auteure prend la question à bras-le-corps, et une fois de plus, avec clarté, humour et intelligence, permet d'entrevoir des lectures délivrées de tout aveuglement ou parti pris, des lectures qui fonctionnent selon plusieurs régimes et ne cherchent pas à recouvrir les dits et faits des auteur.es. Ne serait-ce pas là une sombre manœuvre woke? se demanderont ceux pour qui déboulonner c'est forcément détruire, ceux qui croient à un vaste complot minoritaire menaçant une branlante hégémonie. Laissons-les lire les textes sans en déplier leurs obscures coulisses, si ça leur fait du bien. Ils ont gagné depuis si longtemps qu'on ne va pas leur faire miroiter une possible défaite de leur myopie protectrice.

Bon, pas sûr, donc, que Pascal Praud invitera Laure Murat dans son pig-show. Mais si vous aimez la nuance pertinente, le calme intellectuel et l'invitation à une pensée autre que binaire, ce livre, en dépit de sa brièveté, mérite toute votre attention. 

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Laure Murat, Toutes les époques sont dégueulasses, Verdier, 7,50€

lundi 5 mai 2025

DERNIER ÉPISODE DE "RETRADUIRE GRAHAM GREENE"


EPISODE 7 – Traduire après mais quand même 

Ici, quelques réflexions, voire quelques reflets, puisqu’il est question de revisiter des éclairages anciens.

On l’a dit au tout début de cette série, on ne re-traduit pas, puisqu’on traduit, tout simplement. L’exercice comporte ses joies et ses dangers. Il ne s’agit pas, ou alors rarement, de faire « mieux ». L’idée est d’aider le texte original à recommencer, autrement, non pas à faire peau neuve (son cuir est coriace), mais à passer par d’autres gosiers (ou d’autres oreilles), puisque la musique qui l’anime (s’il est animé d’une musique, ce qui n’est pas toujours le cas, on le sait), en s’offrant à d’autres instruments, peut varier légèrement ou considérablement. Qu’apporte donc le traducteur second ? Tout d’abord, il bénéficie de moyens plus étendus et plus fouillés que ses prédécesseurs – grâce à l’internet, il peut réussir à identifier un vocable rare, une allusion cachée, toutes sortes d’informations sur l’œuvre et l’auteur. Mais n’oublions pas que nos prédécesseurs, bien que dépourvus des ressources de l’internet, savaient communiquer et n’hésitaient pas à contacter toutes sortes de personnes, des amis proches au médecin légiste de l’Iowa en passant par le cousin d’un bibliothécaire à la retraite, afin d’éclaircir certains points obscurs. Ne jouons donc pas trop les malins. La technologie ne nous a pas ouvert la boîte de Pandore, elle a juste raccourci le fumeux « temps de réponse ». 

Retraduire reste, qu’on le veuille ou non, traduire. Certes, si on se lance dans ce genre d’entreprise, c’est qu’on estime (ou qu’on nous a convaincus), qu’il y avait un sens – un intérêt – une demande ? – à revisiter un texte. Mais certains écueils, me semble-il, nécessitent d’être évitées. Ne pas se prendre pour un justicier. On ne redresse pas des torts. On ne donne pas de versions définitives. (Ici, évidemment, penser aux différentes interprétations musicales.) On peut lutter contre le vieillissement, contre des contre-sens, des oublis, des censures, des raccourcis, des rajouts, et c’est tout à l’honneur de la postérité qui dure dix-sept ans et dont tout le monde se contrefout. Non, je crois que ce qui motive, profondément, une retraduction c’est ce désir de relancer telle ou telle œuvre comme un dé fou sur la piste de notre négligence. Pour résister au temps, certains textes ont besoin de jouer les phénix. C’est comme si, depuis la petite nuit des temps qui est la leur, ils appelaient d’autres interprétations afin de s’avancer en pleine lumière.

ÉPISODE 6 / RETRADUIRE GRAHAM GREENE

 

EPISODE 6 – Car le lion 

 Dans Deux hommes en un, le contrebandier avec qui Andrews entretient une relation d’amour-haine s’appelle Carlyon. Ce nom peut évoquer à certaines oreilles une paroisse des Cornouailles mais il semble surtout l’étrange noce entre le nom de Carlyle, le grand écrivain écossais dont Greene, peu avant la rédaction de son roman, avait lu La vie de John Sterling et qui l’avait inspiré pour écrire son deuxième roman refusé. Le nom de Carlyon résonne également avec le mot anglais « carrion » (charogne), même si on y entend tout aussi bien le nom d’un fauve (lyon). Le fait est que le personnage de Carlyon est un étrange composite : à la fois pirate impitoyable, être simiesque (il est décrit ainsi dans le roman) et grand romantique (un coucher de soleil le rend extatique). Aux yeux d’Andrews, il vient remplacer le père – il est même celui qui lui annonce la mort du père. Père putatif donc, pirate lui aussi, mais ayant cette particularité que jamais il ne compare le fils au père, alors que son équipage passe son temps à dénigrer Andrews en agitant la mémoire vénérée du défunt géniteur. D’où l’amour qu’Andrews porte à Carlyon, et dont on a vu précédemment qu’un écrivain turc anonyme avait bien compris la portée.

 Pour vaincre Carlyon, qu’il a trahi, Andrews semble vouloir à tout prix se prouver qu’il est un homme, au sens viril et limité du terme. A peine a-t-il rencontré Elizabeth qu’il en tombe amoureux (c’est une sainte, mais il menace au début du livre de la souiller), tout comme, succombant à l’appel de la chair (Lucy est semble-t-il une fille aux mœurs légères…), il consent à venir témoigner au procès des contrebandiers en échange de la promesse d’une nuit de luxure… Mais quand il retrouve finalement Carlyon, après le suicide d’Elizabeth, il se sacrifie pour le sauver. Bref, Andrews, en lâche émérite, semble avoir du mal à trouver une cible à son besoin d’amour. A maints égards, il ressemble à une… souris – sans cesse en train de fuir, de se cacher dans des coins et recoins, en alerte permanente, mais ne sachant pas résister aux tentations des sens (Lucy faisant office de fromage ?).

Mais ce sage écolier devenu presque malgré lui pirate aventurier semble faire écho à Greene lui-même, qui, d’élève inhibé et maltraité change un beau jour du tout au tout pour s’en aller sillonner des pays dangereux et s’adonner au double jeu de l’espionnage… Sans parler d’un certain rapport aux femmes : les liens entre Andrews et Lucy (la putain) et Elizabeth (la sainte) faisant clairement écho aux liens entre le jeune Graham, qui fréquente les bordels tout en vouant une passion vibrante pour Vivien (laquelle accepte de l’épouser dans un premier temps à condition qu’ils respectent une certaine chasteté). Bref, « deux hommes en un » est une bonne définition de l’homme Greene – on remarquera à ce propos la récurrence de « l’humain » dans la bibliographie de l’auteur : Le troisième homme, Le dixième homme, Deux hommes en un, Notre homme à la Havane, Le facteur humain… Et quand il n’est pas homme, il est… « agent ». 




RETRADUIRE GRAHAM GREENE / L'ART DES RONCES / ÉPISODE 5

 


EPISODE 5 – L’art des ronces 

 La première traduction existante de The Man Within n’est en rien bancale ni fautive, comme l’était celle du Ministère de la Peur, ainsi que je pense l’avoir largement démontré dans mes précédents posts. Mais elle a vieilli, et une fois de plus il nous faut comprendre comment vieillissent les traductions. Ce n’est pas le processus de traduction en soi qui vieillit, encore que sa méthode peut répondre à des exigences aujourd’hui obsolètes ou contestées, c’est bien souvent le lexique, les tournures, la scansion, tout ce qui entre en écho avec l’époque grammaticale. Soit l’exemple suivant – Andrews, en fuite, se débat parmi des ronces de mûriers, et Greene s’amuse à personnifier ces épines revêches :

« The blackberry twigs plucked at him and tried to hold him with small endearments, twisted small thorns into his clothes with a restraint like a caress, as though they were the fingers of a harlot in a crowded bar. He took no notice and plunged on. The fingers grew angry, slashed at his face with sharp, pointed nails. ‘Who are you anyhow? Who are you anyhow? Think yourself mighty fine”.”

Traduction de Clairouin:
“Les ronces des mûriers s’accrochaient à lui pour le retenir par leurs frôlements : de petites épines plantées dans ses vêtements l’agrippaient tels les doigts d’une fille dans une taverne. Il n’y prit pas garde. Les doigts se firent courroucés et lui griffèrent la figure de leurs ongles durs et pointus. ‘Qui es-tu ? Mais qui es-tu donc ? Tu t’en crois joliment !’. »

Ma traduction : « Les ronces des mûriers s’agrippaient à lui et tentaient de le retenir amoureusement, leurs petites épines torves s’accrochant à ses vêtements et simulant des caresses, comme les doigts d’une catin dans une taverne bondée. Il n’y prêta pas attention et s’enfonça davantage. La fureur s’empara des doigts, qui griffèrent son visage de leurs ongles effilés et pointus. ‘Mais tu te prends pour qui ? tu te prends pour qui, avec tes airs supérieurs ?’ »

Les différences sont, certes, minimes, mais l’on voit tout de suite ce qui ne passe plus aujourd’hui : le mot « fille » pour traduire l’anglais « harlot » (que je traduis néanmoins par un mot vieillot, « catin », car l’action se situe au début du XIXe siècle) ; l’adjectif « courroucés », dont l’emploi s’est un peu perdu ; et cette étrange expression qui ne nous parle plus guère : « Tu t’en crois joliment ! ».

Au fil du texte, on tombe sur d’autres termes ou expressions qui n’ont plus vraiment cours : « deux vieilles femmes jabotaient » ; « il sauta sur pied » ; « vous avez pris toute la bonne mine de la famille » ; « leur vie rude passée à boire et sacrer » ; « peu chiche de horions »… (Pourtant, il faudrait pouvoir imaginer le plaisir de la traductrice, au moment d’écrire ce « peu chiche de horions »…)

Il ne s’agit évidemment pas de « moderniser » le texte, d’une part parce qu’il a déjà un siècle au compteur, ensuite parce que l’histoire qu’il met en scène, on l’a dit, se situe plus au moins au début du dix-neuvième siècle, même si elle est imprégnée d’une troublante intemporalité. Il serait certainement intéressant de relever, dans ma propre traduction, les éléments qui ne survivront pas à l’épreuve du temps. Mais comment un traducteur pourrait-il savoir à l’avance ce qui, dans la langue, dans sa langue, sera frappé d’obsolescence ? Et s’il parvenait à repérer ce qui finira par « détoner », comment y remédierait-il ? C’est parce que la langue est vivante qu’elle peut se permettre de laisser derrière elle les lambeaux de ses mues récurrentes. Si traduire n’est pas échouer mieux, je ne sais pas ce que c’est…

dimanche 4 mai 2025

RETRADUIRE GRAHAM GREENE / EPISODE 4 / TRADUCTION ET PUDIBONDERIE


EPISODE 4 – Traduction et pudibonderie 


 Comme dans bien d’autres romans de Greene, il règne dans Deux Hommes en un une atmosphère onirique, ou plutôt cauchemardesque, une ambiance de contes made in Grimm, ce que semblent confirmer l’abondance de visions et plusieurs références à l’histoire de Hansel et Gretel. Et comme souvent également chez Greene, le personnage principal semble prisonnier d’une enfance dont il ignore s’être échappé. L’omniprésence du brouillard, au début du roman, impose une texture floue qui empêche l’arrivée de la réalité. S’il faut deviner plutôt que voir, percevoir plutôt qu’entendre, méjuger plutôt que discerner, alors advient une sorte de marge de manœuvre douteuse, qui permet et excuse des actes injustes et des réactions injustifiées. A moins que ce brouillard soit précisément la réalité, rendue méconnaissable par la peur de vivre…

Dans ces conditions, comment aborder la traduction ? Celle dont nous disposons est signée Denyse Clairouin : cette dernière, née en 1900, a traduit également Train to Istanbul (en français Orient Express), Le serpent à Plumes de David Herbert Lawrence, mais hélas sa carrière sera brève, comme on va le voir. On dispose de quelques lettres adressées par Greene à Clarouin, qui nous permettent d’en savoir un peu plus sur la publication de ce premier roman. Accueilli aux éditions Plon par Jacques Maritain, L’homme et lui-même paraît amputé, à la demande Maritain, de cinq passages qu’il juge un peu trop connotés sexuellement. Greene s’en offusque, mais son admiration pour Maritain et son amitié naissante avec Clairouin font qu’il ne se livre pas à un bras de fer.

Les passages en question sont en fait de simples bouts de phrase. Par exemple, à un moment, Lucy, la prostituée, demande à Andrews s’il pense que les pratiquants se comportent comme tous les autres hommes, le sous-texte étant évidemment sexuel. Un peu plus loin, Lucy s’adresse à Andrews et lui dit ceci : « Donne-moi ta main. Pose-la maintenant ici, et là, et là. Maintenant tends ta bouche. Tu me sens là, tout près de toi ? C’est bien. Serre-moi contre toi. Tu peux m’avoir davantage si tu le désires. » Ce passage a été tout bonnement supprimé à la traduction. Plus loin, le paragraphe suivant : « La jeune femme était étendue sur les draps. Elle avait jeté sa chemise de nuit par terre. Elle était mince, avec de longues jambes et des petits seins fermes. Avec une pudeur qui ne cherchait pas à faire illusion, elle posa ses mains à plat sur son ventre et lui sourit. » est devenu : « La femme reposait étendue sur le lit. D’un geste de modeste feinte elle se couvrit de ses mains et sourit à Andrews. » Maritain n’a visiblement pas apprécié ces passages… Oh, la pudeur de l’époque…

Quoi qu’il en soit, Denyse Clairouin fut une amie proche de Greene – ainsi que son agent en France (et non à La Havane…). Greene rappelle dans ses mémoires que, lors des émeutes causées par l’affaire Stavisky, tous deux se promenaient dans Paris en voiture et « cherchaient les ennuis ». En 1942, alors que Greene travaille lui aussi pour les mêmes services, il tombe sur le carnet d’un espion suisse, égaré malencontreusement par ce dernier, et tombe sur le nom et l’adresse de son amie traductrice. Il craint alors pour la sécurité de cette dernière – il apprendra plus tard que Denyse Clairouin a travaillé dans la France occupée pour les services secrets anglais. Et apprendra alors le son sort tragique qui fut le sien dans un camp de concentration.

Greene sera désormais traduit par Marcelle Sibon, à laquelle succéderont, dès 1969, Georges Belmont (traducteur entre autres de Henry Miller, James Hadley Chase et Anthony Burgess, assisté pour certains titres de Greene par Hortense Chabrier), puis, dès 1980, Robert Louit (à qui on doit de nombreuses traductions de Ballard et K. Dick – respect).

samedi 3 mai 2025

RETRADUIRE GRAHAM GREENE / EPISODE 3

EPISODE 3 —  Deux hommes en un contre un homme en deux

Deux Hommes en un se déroule en trois actes, exactement comme dans une tragédie. Peu de décors, donc : d’abord un paysage désolé aboutissant à un cottage où Andrews, en fuite, se réfugie, et où il se livre à une passe d’armes avec l’orpheline Elizabeth ; puis la ville de Lewes où Andrews se rend à contrecœur pour témoigner au procès des contrebandiers qu’il a dénoncés par une lettre anonyme ; et enfin de nouveau le cottage où l’intrigue va connaître une fin tragique. Ce qui frappe, à la traduction, c’est-à-dire lorsqu’on est confronté à la matérialité de la langue, à son système, c’est, d’un point de vue statistique, la récurrence des mots « fear », « frightful », « coward » (peur, effrayant, lâche), comme si Greene, par la répétition lexicale, cherchait à saturer le champ de la veulerie qui caractérise son personnage.

Andrews a peur, non de la mort, mais de la vie elle-même – il le dit lui-même. Tous ses actes, depuis sa violence impuissante jusqu’à son romantisme déplacé, naissent de cette lâcheté. Mais c’est moins le portrait d’un lâche que, tout simplement, celui d’un homme ordinaire auquel on assiste, le portrait à vif d’un homme dont les motivations, mises à nues, réduites à la concupiscence et à la peur, ne font pas illusion quant à sa dimension morale. Ainsi, quand Andrews accepte enfin de témoigner contre les contrebandiers, non seulement il le fait sur l’insistance de la vertueuse Elizabeth qu’il convoite, mais également que parce qu’une autre femme, Lucy, lui a promis ses faveurs s’il témoignait.


Mais surtout, Andrews se bat contre deux hommes : son père qui le battait et le méprisait, et le pirate Carlyon, qu’il aimait mais qui à présent veut sa mort. A ses yeux, les femmes sont soit des catins soit des saintes, voire les deux en même temps ou à tour de rôle – tout dépend du profit, moral ou charnel, qu’il espère en tirer. Mais bien que détestable en tous points, Andrews fascine nécessairement en ce qu’il nous renvoie un visage cru et réaliste de la personnalité masculine. Plus qu’un anti-héros, il apparaît comme le porte-parole d’une virilité blessée se réfugiant dans une posture victimaire. Ce qui devrait, au jour d’aujourd’hui, faire plus que nous parler…