On connaît assez bien la vie de l'écrivain américain William S. Burroughs, grâce entre autres aux biographies de Ted Morgan et Barry Miles, mais le fait est qu'on ne s'était jamais penché attentivement sur son séjour à Vienne en 1936-1937. C'est chose faite désormais grâce à Thomas Antonic, dont les éditions Grèges publient un texte plus qu'instructif intitulé Burroughs chez les Nazis.
Les liens entre Burroughs et l'Europe débutent tôt, puisqu'en 1927, alors âgé de 13 ans, il se rend à Cannes et sur la Côte d'Azur avec sa famille. En 1933, il séjourne à Paris et à Londres, puis se rend en Algérie (alors département français) sur les traces de L'Immoraliste de Gide. Puis, en 1936, nouveau séjour à Paris avant d'arriver à Vienne – on est deux ans après la Nuit des Longs Couteaux. Vienne n'est pas Tanger: les homosexuels y sont persécutés, ce qui n'empêche pas une certaine classe sociale de vivre des amours "illicites", par exemple à l'hôtel König vin Ungarn, où est descendu Burroughs.
Mais qu'allait faire le futur auteur du Festin Nu à Vienne? Tout simplement des études de médecine, études que lui permettait de suivre son diplôme de fin d'études secondaires, alors qu'aux Etats-Unis il aurait dû passer des cours préparatoires (biologie, chimie, maths). C'est dans cette ville que Burroughs assiste à la montée en puissance du nazisme, entouré de professeurs pronazis et antisémites, au nombre desquels un certain Eduard Pernkopf, chantre de l'hygiène raciale et anatomiste n'hésitant pas à travailler sur des cadavres de victimes du nazisme.
À partir de nombreux documents, Thomas Antonic traque intelligemment dans l'œuvre de Burroughs des échos circonstanciés de ce séjour à Vienne, certes bref mais l'ayant mis concrètement au contact de l'idéologie nazie. Et le fait est que dans son œuvre, on n'est pas en manque de médecins peu recommandables, comme l'illustre Dr Benway, qui apparaît dans plusieurs de ses livres. Antonic évoque également la figure passionnante de Ilse Herzfeld (épouse Klapper), que Burroughs épouse le 2 août 1937, un mariage ayant essentiellement pour but d'aider Ilse à renouveler son visa et fuir l'Europe au bord du gouffre (elle souhaitait émigrer aux Etats-Unis, et finit par se rendre à New York au début de l'année 1939).
Antonic, en fin lecteur de Burroughs, nous permet ainsi de voir dans quelle mesure le séjour viennois de l'auteur a alimenté sa peinture d'un monde tordu où le spectre nazi sait prendre diverses formes.
À noter que l'essai de Thomas Antonic est suivi d'un autre essai, signé David Frank Allen, intitulé Malaise dans la syphilisation et portant sur la destruction de la subjectivité dans l'œuvre de Burroughs.
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Thomas Antonic, Burroughs chez les nazis, éditions Grèges
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