jeudi 9 octobre 2025

Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (10)


Épisode 10 – L’ETRANGE DESTIN DE HARRY LIME –


  Le Troisième Homme (le film, plus que le roman) doit en partie sa renommée) à ce fameux air que siffle Harry Lime, et qu’on entend jouer à la cithare dans plusieurs scènes. On sait avec précision comment cet air est parvenu à figurer dans le film : Carol Reed, le réalisateur, cherchait désespérément un air qui puisse servir de ritournelle, et c’est en entrant dans un bar à vins de Vienne qu’il tomba sur la personne d’Anton Karas. Mais Karas n’avait jamais rien composé de sa vie et Reed dut le convaincre de venir en Angleterre où le réalisateur le séquestra quasiment dans un studio d’enregistrement jusqu’à ce que le pauvre Karas, qui n’avait qu’une envie, retourner dans son bar à vins viennois, après douze semaines passées à suer quatorze heures par jours, finisse par accouder du célèbre air. Air qui fit sa renommée mondiale, l’amenant à jouer devant la princesse Margaret ou le Pape Pie XII.

L’air de Karas fut même repris lors d’une série radiophonique de la BBC intitulée Les Aventures de Harry Lime. Sur cette série, on dispose de quelques infos assez surprenantes. E effet, un certain Harry Alan Towers, producteur de radio, qui avait le même agent de Graham Greene, s’est aperçu que ce dernier n’avait pas vendu les droits du personnage de Harry Lime au moment de la vente du scénario. Welles a alors signé avec Towers pour produire les aventures du personnage qu’il incarnait dans le film de Reed. Il s’agissait de préquels mettant en scène certaines des choses moins sombres que Harry Lime était censé avoir faites. Seize épisodes – sur les 52 enregistrés par les Américains– furent été acquis par la BBC : on peut d’ailleurs les écouter à cette adresse. Welles est crédité comme auteur de dix scripts, y compris le premier épisode, ‘Trop de voyous’, diffusé le 3 août 1951. Le cinquième épisode s'intitulait ‘Vaudou’, un sujet sur lequel Orson Welles avait beaucoup d'expérience, remontant à son séjour en Amérique du Sud pendant la Seconde Guerre mondiale. Chaque épisode commençait par le thème musical du Troisième Homme, l’air de Karas joué à la cithare, interrompu par une détonation d’arme à feu. Puis la voix de Welles prenait le relais : « C’est le coup de feu qui a tué Harry Lime. Il est mort dans les égouts de Vienne, comme le savent ceux d’entre vous qui ont vu le fim Le Troisième Homme. Oui, tel fut la fin de Harry Lime… mais ce n’était pas le début. Harry Lime a eu de nombreuses vies… et je peux toutes les raconter. Comment je le sais ? Très simple. Parce que mon nom est Harry Lime. »

Mais ce n’est pas tout, les aventures de Lime ne s’arrêtent pas là… Quinze des 52 épisodes furent adaptés en un volume de nouvelles intitulé Les Vies de Harry Lime, publié en 1952 par l’éditeur Pocket Book en Angleterre. Comme auteurs de ce livre sont mentionnés “Orson Welles and others »…

Mais ce n’est pas tout (bis). Welles essaya de tirer un scénario de long métrage d’un des scripts radiophoniques (script portant le nom de « Buzzo Gospel », mais aussi de « The Dead Candidate »), scénario qu’il proposa au producteur du Troisième Homme, Alexander Korda. Le projet n’aboutit pas, et le scénario donna lieu à l’écriture d’un roman, rédigé « directement» en français par Maurice Bessy (qui était pourtant crédité comme traducteur…), et publié en France en 1953 sous le titre Une grosse légume mais sous le nom de Welles (et par ailleurs jamais publié en Angleterre… puisqu’il n’existait apparemment pas de version originale, juste un script).

En fait, l’histoire est plus compliquée (ter !)… Car Welles avait fait courir une fausse rumeur en déclarant que livre Une grosse légume était la traduction et l’adaptation romanesque d’un traitement filmique qu’il avait rédigé pour Korda. Or en 1978, un certain Matthew Asprey Gear a découvert, dans les archives du Musée national du cinéma à Turin le texte original du roman, signé par Welles, texte acquis par le Musée lors d’une vente aux enchères puis remisé dans ses archives, où l’on pensait à tort qu’il s’agissait d’un simple traitement (il affichait comme titre juste V.I.P.). Ce n’était donc pas un traitement qu’avait traduit Bessy, mais bien un roman écrit par le grand Orson. Encore que — car rien n'est sûr et certain dès qu'il s'agit de Kane/Arkaddin/Lime et consorts…

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