lundi 21 juillet 2025

Festivons d'Avignal (3): Le festin nu des invisibles

 


One’s own room Inside Kabul  – autrement dit une pièce, non de théâtre, mais d'appartement, quelque part à Kabul – à peine entré dans la longue pièce rectangulaire, sur les côtés de laquelle deux banquettes rouges nous invitent à prendre place, on découvre un véritable festin s'étendant d'un bout à l'autre de la pièce, sur une nappe à même des tapis, des dizaines de plats et d'assiettes – mais c'est un festin nu, il n'y a rien dans les plats, ou plutôt si, il y a l'absence de nourriture, la faim à l'état céramique – en observant plus attentivement, on s'aperçoit que chaque assiette, chaque plat est hanté par ce grand tabou, cette grande peur des talibans: la femme ::: des visages, des torses, des formes en creux ou en reliefs, une langue rouge qui saille d'un bol, et tout autour, sur les murs, le motif qui revient sur le papier peint est encore cela, cet interdit qui menace les nouveaux monstres au pouvoir ::: une femme – seules deux fenêtres latérales permettent de voir le monde extérieur – sous forme de vidéos montrant ce que la jeune femme afghane de 21 ans qui parle – Raha – voit depuis sa chambre, ainsi que des plans du marché aux oiseaux (des cages, des cages, des cages – et seulement des hommes qui vont et viennent) – c'est un journal de détention, des notes sonores jetées comme des miettes aux oiseaux omniprésents dans ces images, les oiseaux qui chaloupe entre désarroi, tristesse et des illusions d'espoir – car depuis que les Talibans ont repris le pouvoir, en une nuit, les femmes afghanes ont été dévorées chaque jour un peu plus par l'ombre instaurée. Plus le droit de marcher chanter parler – vivre. Raha enlève, une à une, les cordes de sa guitare dans l'espoir qu'on lui laissera cette coquille vide si jamais on vient fouiller chez elle. La métaphore n'est plus une métaphore: même le son a été privé de sens.

Une heure durant, une voix vivote comme si elle voulait battre de nouveau des ailes. Il est question d'électricité sans cesse coupée, et coupant les survivants du monde extérieur, réduisant l'existence des femmes à de vagues taches ménagères. Une heure durant, une voix et des images tentent de meubler le vide – peuplé soit de silences soit de coups de feu – dont la poussière indicible se dépose lentement, comme le temps, dans la litanie des récipients déserts.


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