On a commencé le Festival d'Avignon par un pièce off, l'excellentissime L'Événement de Joëlle Fontanaz. En scène, sur son rocher sisyphéen, un trio d'énergumènes réinvente le chœur antique pour narrer une énième et désopilante version du feu offert aux humains. Dans une communauté officiée par (le gentil barde) Santana et (la pythie) Iris, une certaine Hélène (Destroy?) vient se ressourcer entre toilette sèche et méditation sylvestre. Plutôt que des hosties, on cuit des pizzas dont on distribue les païens morceaux aux zélotes rassemblées. Mais qui dit pizza dit four, et c'est là que le bat blesse et que tout crame.
Comment raconter ceci en même temps que cela, voilà que ce ces trois corps-voix vont s'évertuer à tisser, leurs paroles s'empiétant, se complétant, se chevauchant, s'interrompant, se croisant, en un canon foutraque (mais millimétré) qui laisse passer des éclats et des lignes de sens, comme si des silex parlants se frottaient les uns aux autres. Le rire naît autant de la confusion que de la clarté; l'événement du four foireux, à la fois éclairant et enfumant, transmis en paroles avec la même intensité fuligineuse, d'abord des flammèches de sens, des crépitements de vocables, puis de longues langues de sens dévorantes, des brasiers de récits hoquetants, des pétarades de gloses.
Tantôt endiablés, tantôt parcimionieux, à la fois figés comme des récitants mais se tordant lentement comme des sybilles inspirées par leurs mémoires complémentaires, les trois interprètes – Joëlle Fontanaz, Mathias Glayre et Nina Langensand – changent de place et de postures au gré d'un récit qui parfois se répète et souvent diverge, les strates dudit récit entrant en danse, sismographiant le chahut. Nos oreilles deviennent des radars, faut-il démêler, brasser, fusionner ce qu'on entend, doit-on se laisser noyer dans les flux, doit-on/peut-on, la question d'emblée sera posée.
De l'apparent chaos vocal naît une espèce de chant contrarié et hypnotique. Oui, c'est cela, raconter, depuis l'aube des temps, depuis le feu primitif, raconter n'a toujours été que cela: laisser des voix tisser d'impatients écheveaux de sens, faire chorale du réel comme on fait feu de tout bois.
Une communauté tente de conserver sa cohérence malgré la combustion qui la travaille, et ses vains efforts pour recoudre des liens nous sont transmis dans une cascatelle sonnante et trébuchante. On applaudit des deux oreilles.
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Lien: https://www.festivaloffavignon.com/spectacles/6274-l-evenement
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