jeudi 26 juin 2025

Le Louis Lambert de Balzac: Une œuvre traversée

 

Peut-être avez-vous lu Louis Lambert, ce roman de Balzac paru en 1832, et qui conte l'histoire d'un étudiant surdoué oscillant entre métaphysique et spiritualisme pour sombrer finalement dans la folie. C'est un des romans les plus étranges de Balzac, assurément, d'où cette entreprise un peu folle – elle aussi – dans laquelle se sont lancées les éditions Le Lampadaire, qui ont publié récemment un grand volume relié intitulé sobrement Le Cas Lambert, véritable introspection/extrospection de l'œuvre balzacienne et débutant par la reprise du texte lui-même pour se poursuivre, de façon aussi déconcertante que perspicace par une cinquantaine de pages sur lesquelles sont reproduites des photos, toutes issues de l'iconographie psychiatrique.  Une façon sans doute de répondre à l'inquiétude qu'exprima Balzac dans une lettre à sa sœur, lettre dans laquelle il s'excite et se caféine ainsi:

"Louis Lambert m'a coûté tant de travaux! que d'ouvrages il m'a fallu relire pour écrire ce livre. Il jettera peut-être, un jour ou l'autre, la science dans des voies nouvelles. Si j'en avais fait une œuvre purement savante, il eût attiré l'attention des penseurs, qui n'y jetteront pas les yeux. Mais, si le hasard le met entre leurs mains, ils en parleront peut-être!…"

Disons-le: le souhait de Balzac est largement exaucé – exhaussé, a-t-on envie d'écrire – grâce à ce passionnant volume, qui enchaîne les points de vue comme autant de chemins où s'aventurer. Volume qui balise le spectre clinique du roman comme de la personne Louis Lambert, que ce soit par des textes du début du vingtième siècle – preuve qu'on s'intéressait alors, cent après sa parution, à la dimension schizo de l'érudit Lambert, dont on perçoit quelque chose d'étrange:

"La folie devient une ruse de la narration, employée pour éviter qu'on ne croie l'auteur fou, car ce n'est pas lui qui est fou, mais ses idées, trop novatrices pour être acceptées par le commun des mortels. Ce sera donc un fou qui les énoncera, subterfuge qui permet d'en entendre l'énoncé (…)" 

— que par des "interpolations" qui enrichissent et décalent analyses et documents. Car si Louis Lambert peut être envisagé comme un double possible de Balzac (qui suite à un grave accident de voiture entrevit des liens inquiétants entre création et folie), ce livre se veut une expérience transversale entre la fiction balzacienne et de multiples discours sur la névrose, abondamment annotés, où l'on ne croisera pas que des cliniciens puisqu'y surgissent, éclairants ombragés, Victor Segalen aussi bien que Henry Miller, Rousseau,  Montaigne, sans compter l'ombre forcément portée de Michel Foucault.

Portrait kaléidoscopico-aliénistique d'un personnage devenu "cas", l'ouvrage publié par Le Lampadaire (dont l'audace éditioriale n'est plus à démontrer) nous enfonce aussi bien dans les arcanes du roman balzacien que dans le grand débat sur la folie qui n'a cessé d'agiter la société et ses commentateurs (sans parler de ses juges) depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Le tout savamment désorchestré, afin qu'on entende mieux chaque bois, vent et cuivre de folie, par Julie Cheminaud  (Postface), avec comme maîtres d'œuvre et d'écriture Sophie Saulgnier et Hubert (sic) Lambert.

On peut lire ce livre comme une anthologie fracturée de la folie lambertienne, mais on peut aussi le lire comme un roman du roman, une "fiction électrique" – tout sauf cataleptique ! – où toutes les messages transmis par les courants de pensée branchés sur le pôle Lambert convergent vers une expérience littéraire d'un genre nouveau. Le tout illustré de tant de visages fantômes qu'on pourrait croire qu'il s'agit là d'une forme aussi bâtarde que nécessaire de diorama somnambulique. Ce que toute enquête littéraire un tant soit peu ambitieuse, finalement, se doit d'être.

C'est là, après "Lecture de prison," le deuxième volume de la collection "Curiosités" ourdi par le surprenant Lampadaire. Une aventure éditoriale remarquable, érudite, soignée, fascinante – que vous faut-il de plus, à part lire ou relire Louis Lambert ?

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PS Et si vous ne trouvez pas le livre chez votre libraire, commandez-le ! Tous les bons livres ne sont pas sur les tables des fatales nouveautés recommandées, il faut chercher, demander – être lecteur-lectrice, c'est tout un devenir-Fantômette ! 

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(Un grand merci à Sophie Saulnier qui m'a envoyé le livre et a attendu si patiemment ma lecture.)



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