Deux Hommes en un se déroule en trois actes, exactement comme dans une tragédie. Peu de décors, donc : d’abord un paysage désolé aboutissant à un cottage où Andrews, en fuite, se réfugie, et où il se livre à une passe d’armes avec l’orpheline Elizabeth ; puis la ville de Lewes où Andrews se rend à contrecœur pour témoigner au procès des contrebandiers qu’il a dénoncés par une lettre anonyme ; et enfin de nouveau le cottage où l’intrigue va connaître une fin tragique.
Ce qui frappe, à la traduction, c’est-à-dire lorsqu’on est confronté à la matérialité de la langue, à son système, c’est, d’un point de vue statistique, la récurrence des mots « fear », « frightful », « coward » (peur, effrayant, lâche), comme si Greene, par la répétition lexicale, cherchait à saturer le champ de la veulerie qui caractérise son personnage.
Andrews a peur, non de la mort, mais de la vie elle-même – il le dit lui-même. Tous ses actes, depuis sa violence impuissante jusqu’à son romantisme déplacé, naissent de cette lâcheté. Mais c’est moins le portrait d’un lâche que, tout simplement, celui d’un homme ordinaire auquel on assiste, le portrait à vif d’un homme dont les motivations, mises à nues, réduites à la concupiscence et à la peur, ne font pas illusion quant à sa dimension morale. Ainsi, quand Andrews accepte enfin de témoigner contre les contrebandiers, non seulement il le fait sur l’insistance de la vertueuse Elizabeth qu’il convoite, mais également que parce qu’une autre femme, Lucy, lui a promis ses faveurs s’il témoignait.
Mais surtout, Andrews se bat contre deux hommes : son père qui le battait et le méprisait, et le pirate Carlyon, qu’il aimait mais qui à présent veut sa mort. A ses yeux, les femmes sont soit des catins soit des saintes, voire les deux en même temps ou à tour de rôle – tout dépend du profit, moral ou charnel, qu’il espère en tirer. Mais bien que détestable en tous points, Andrews fascine nécessairement en ce qu’il nous renvoie un visage cru et réaliste de la personnalité masculine. Plus qu’un anti-héros, il apparaît comme le porte-parole d’une virilité blessée se réfugiant dans une posture victimaire. Ce qui devrait, au jour d’aujourd’hui, faire plus que nous parler…
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