lundi 12 février 2024

Blood Simple: simple sens?


On le sait, les résumés d'œuvres, qu'il s'agisse de livres ou de films, sont dangereux – sauf, je suppose si l'œuvre en question est une sculpture (genre: Ce bloc de bronze réalisé par Botero n'est autre qu'une femme heureuse). Oui, les résumés, parce qu'ils sont courts, ont tendance à en dire long, or personne n'a envie de savoir qu'Emma Bovary meurt à la fin. Mais le pire, ce sont les "avis", le commentaire qui accompagne l'œuvre. Ayant revu avec plaisir Blood simple, le premier film de Joel Coen (1984), disponible sur l'excellente plateforme Mubi, quelle ne fut pas notre surprise, à Marion et moi, en lisant l'appréciation qui introduisait ce film avec l'élégance d'un thermomètre se trompant d'orifice.

Mais d'abord, de quoi est-il question dans le film du frère Coen? (Attention spoilers!!) Une femme quitte son mari abusif pour un type pas très futé; le mari trompé commandite l'assassinat des amants; le privé chargé de la sale besogne préfère tuer le mari et empocher l'argent. L'amant croit que c'est la femme qui a tué le mari, lequel mari n'est pas tout à fait mort et doit donc être achevé (par l'amant). Le privé décide de tuer les amants pour éviter les indiscrétions. Il réussit à tuer l'amant mais la femme le tue. Vous avez suivi? L'intrigue est retorse à souhait, quoique bien ficelée, et certains plans valent le détour, comme la dernière vision qu'a le privé avant de mourir, à savoir le dessous d'un lavabo, d'où perle une goutte, ultime instance de vie organique qui lui est donnée de contempler.

Revenons au départ, à cet "avis" que donne le site Mubi. Le voici:

Entre horreur et film noir, le premier film des frères Coen a marqué le début de leur fascination pour les personnages au destin sinistre. Dans ce film surréaliste et imprévisible, avec Frances McDormand dans le rôle d’une femme provoquant le malheur, les erreurs de communication sont meurtrières.

Outre le fait que le film n'a rien de "surréaliste", sauf à penser qu'André Breton fait un caméo discret, déguisé en bouteille de tequila, on notera la façon dont est qualifiée l'héroïne : une femme "provoquant le malheur". Est-il besoin de commenter le choix de ce verbe: provoquer? A lui seul, il résume – puisqu'il est question ici de résumé – une certaine conception de la femme. Cette dernière provoque, au double sens du terme: elle est provocante / elle est cause de malheurs. De là dire que ces deux choses sont équivalentes, il n'y a qu'un pas, ou plutôt qu'un trébuchement. Etymologiquement, "provoquer" signifie "inciter à une action violente". Pas la peine d'être sourcier (ou sorcier) pour entendre le sous-texte, euh, pardon, le sur-texte: "elle l'a bien cherché"…

Alors qu'il aurait été plus simple de résumer ainsi Blood Simple: "Trois crétins – un mari violent et lâche, un amant benêt et lâche, un privé cupide et violent – cherchent à se débarrasser d'une femme, mais celle-ci, après avoir été harcelée par le mari, insultée par l'amant, menacée par le privé, échappe à leur violence, leur lâcheté, leur cupidité et leur crétinerie." Je ne suis pas sûr de me faire embaucher par Mubi pour rédiger des "avis", mais mon résumé me semble un peu moins tendancieux. En revanche, l'auteur de cet avis a raison sur un point: "les erreurs de communication sont meurtrières"…

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