La légende, dit-on, débute ainsi. Par un jour d'automne (ou d'été, ou peut-être de printemps) de l'année 1964 (ou 1963), sur un quai de la gare Saint-Lazare, une femme pleure intérieurement. C'est une Américaine d'une cinquantaine d'années, au regard de chien battu (ou de chouette secrète), et elle vient d'apprendre par un employé des chemins de fer français qu'on avait égaré ses bagages. Oh, ce n'est pas la perte de ses rares effets personnels qui la fait ainsi se fracturer de l'intérieur, non, car elle se fiche pas mal d'avoir perdu ses quelques châles et ses gros pulls mauves – en revanche, si on ne retrouve pas très vite son graal, elle ne répond de rien. Quel graal ? Il s'agit de sept valises plus précieuses que tout l'or de Cipango. Sept grosses valises bâillonnées de courroies et constellées de tampons divers dans lesquelles repose, sept fois divisé, son manuscrit. Le temps passe, les quais se vident et se remplissent. Soudain, la femme distingue comme une étrange cohorte, qui avance vers elle cahin-caha. Ce sont des employés de la société Cook. Chacun pousse une brouette et dans chaque brouette tremble une valise. Le manuscrit de Marguerite Young est sauf, et Marguerite Young n'est plus que soleil. La légende peut respirer.
Tout a commencé en 1947. La jeune Marguerite Young s'est fait un nom dans les lettres américaines. Dix ans plus tôt, elle a publié un premier recueil de poèmes, Prismatic Ground, suivi à quelques années d'intervalles de deux autres livres. Young s'intéresse aux communautés utopistes américaines, fréquente Richard Wright, Anaïs Nin, Flannery O'Connor, entretient une correspondance avec Truman Capote et Carson McCullers, elle voyage beaucoup. Elle s'est lancée en 1947 dans l'écriture d'un roman, en se disant que ça allait lui prendre deux ans. Elle en montre très vite une quarantaine de pages (une quinzaine?) à son éditeur, qui l'encourage à continuer ce récit intitulé pour l'instant Worm in the Wheat.
Marguerite Young va travailler tous les jours à l'écriture de ce roman, elle l'emmènera partout avec elle, le regardera croître, incapable d'y mettre un terme, car c'est un roman très particulier, organique, qui semble vivre sa vie, il accouche sans cesse de lui-même et la magie dans laquelle il prospère et vibre semble infinie.
Marguerite Young va travailler tous les jours à l'écriture de ce roman, elle l'emmènera partout avec elle, le regardera croître, incapable d'y mettre un terme, car c'est un roman très particulier, organique, qui semble vivre sa vie, il accouche sans cesse de lui-même et la magie dans laquelle il prospère et vibre semble infinie.
Quand elle y met le point final, nous sommes en 1964. Elle y a consacré dix-huit années de sa vie. Elle le fait parvenir aux éditions Scribner's où, bien sûr, c'est la stupeur: le manuscrit semble avoir traversé les temps, il évoque un monolithe et défie l'entendement. Il fait 3 449 pages. Il s'intitule Miss MacIntosh, My Darling, et déjà on dit de lui que c'est le plus beau livre du monde.
[à suivre…]
Le récent billet à propos du Figaro (et de Marie Cosnay) m’a fait penser au débat entre Jonathan Franzen (Freedom) et Ben Marcus (l’Atelier de Flamme). Débat déjà ancien car initié par un « Mr Difficile, William Gaddis et le problème des livres durs à lire » paru dans le New Yorker en sept. 02, (http://adilegian.com/FranzenGaddis.htm) et fraichement réparti par « Pourquoi la fiction expérimental menace de détruire la publication, Jonathan Franzen et la lie telle que nous la connaissons dans Harper’s Magazine en oct. 05 (http://www.williamgaddis.org/marcus.pdf). Il faut signaler que Franzen a fait la couverture de Times Mgazine en 10.
RépondreSupprimerJF s’attaque tout d’abord à l’élite de NYC qui ne jure que par le New Yorker et Harper’s, considérant que les autres ne sont que des trous du cul (ass-hole dans le texte). Il s’ensuit un modèle binaire d’auteurs suivant un « contrat » ou un « statut ». Dans le premier genre, le consommateur –lecteur dirige. Il va de soit que dans l’autre cas, le lecteur est profondément méprisé. JF prend ensuite comme exemple le livre de W. Gaddis (Les Reconnaissances) (et en partie un autre livre plus autobiographique (J.R.) pour montrer son profond ennui à les lire.
La réponse de BM est cinglante. « Un auteur travaillant intensément pour produire de l’art à partir de mots » espère en un cerveau développé (Il introduit les aires de Wernicke, derrière les aires de Broca). Il reconnait à JF d’être parmi mes meilleurs auteurs de sa génération, « mais d’être certainement le plus anxieux, motivé par la gloire, mais hostile au gens qui la lui confère ». En fait le message adressé en citant la difficulté de lire W Gaddis devrait se comprendre comme étant » Hello, je suis le lecteur que vous attendez ». Suit une longue discussion sur la facilité de lecture. Puis BM revient sur la dichotomie « contrat »/ « statut » de JF pour la démonter et produit sa propre version de Mr Difficile.
Je vous invite à lire ces deux textes, et leur suite, nombreuse en googlant « Franzen-Marcus ». A ce stade, l’anecdote du Figaro parait bien mièvre (il est vrai qu’avec un tel esprit d’ouverture, on ne peut attendre grand-chose). Je regrette tout d’abord qu’il y ait si peu de critique (valide, et non pas simple reprise d’un 4eme de couverture). Qu’il y ait également si peu de vie littéraire (cela va faire bondir). Mais où sont les courants (tels les post modernes de Lot49). Où en est la littérature expérimentale (cf Jonathan Safran Foer et son « Tree of Codes »).
Et dire qu'il nous faudra vieillir comme elle sans rien avoir écrit qui puisse être posé sans être moqué.
RépondreSupprimerVivre sans écrire avec ou sans esprit, en transfusion directe sur certains de ces noms disposés, c'est toujours une tristesse à recouvrir comme un cahier de l'écolier qui nous hante et que nous protégeons sans le vouloir de tout ce temps.
Et ça paraît en septembre 2015 en Lot49, c'est bien ça?
RépondreSupprimerÇa me tue ces gens qui négligent de sauvegarder leurs précieux fichiers dans le cloud !
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