Les vide-greniers sont une occasion en fer-blanc de faire des découvertes bibliographiquement improbables. Prenez Glen Chase. Qui lit encore Glen Chase, aujourd'hui, hein? Visiblement, il a eu des lecteurs en Californie et en Haute-Marne. L'homme a une œuvre derrière lui comme d'autres un agent du FBI: se retourner peut être dangereux. En l'occurrence, Glen Chase est l'auteur, entre autres, d'une série romanesque comportant au moins vingt-neuf titres, série intitulée Cherry Delight, The Sexecutioner, parus entre 1972 et 1977, c'est-à-dire grosso modo, pour situer historiquement la période, entre le moment où, suite à une explosion de l'avion, l'hôtesse de l'air Vesna Vulovic, qui se trouvait dans la partie centrale d'un DC-9 de la JAT, est projetée à l'extérieur de la carlingue, et, après une chute de 10 000 mètres, s'écrase près du village tchèque de Kamenice, s'en sortant avec seulement deux deux jambes cassées, une fracture du crâne, ainsi qu'une paralysie qui s'estompera avec le temps, et l'assassinat de Hans-Martin Schleyer (tout le monde suit?).
En France, la série mettant en scène la torride et experte en boxe birmane Cherry Delight porte le titre générique "Cherry O" (il lui manque le viril attribut 07, mais ce O singulier dit assez l'ouverture d'esprit de la dite agente secrète…) et fut publiée par Edition et Publications premières, avec en couverture des photos de pépés dénudées, toutes munies d'un gun au canon impressionnant (un Ruger MK 512?), signées Yves Boujenah (qui fit également les couvertures de la défunte collection OSSEX, dont un des titres Up your axe est traduit en français par La chatte sur un doigt brûlant). Donc, Cherry Delight est une Bond femelle assoiffée de justice et d'orgasmes – "Elle est rousse, elle est explosive. Elle appartient au S.P.A.S.M. (Service Spécial Anti-Stupéfiant Anti-Maffia), et seule , elle se bat contre la maffia !"
L'éditeur français des Cherry dut trouver que les titres originaux n'étaient pas assez accrocheurs, bien que tous carabinés à leur manière (Tong in Cheek, Chuck You Farley, Fire in the Hole…). Ce qui nous vaut donc une série de titres français tous plus mutins les uns que les autres, dont on aurait tort de bouder la saveur tantôt graveleuse, tantôt joycienne : Maffia vous Fillettes, Cherry O chez Mao, Capot d'Anglaise, Le Sexe à piles, L'arme à l'œil, Tant qu'il y aura des zooms, Touche pas à la femme-blanche [sic, pour le trait d'union], Le saphir du bois de Boulogne, L'enfer vaut l'endroit, Gratte-ciel mon mari, Les Yogas de la Marine, Coolie piégé, Tout feu tout femme, les joyeux de la couronne, Le romain de ma sœur – et enfin un de mes préférés: Macumba les pattes (le fameux Fire in the Hole cité plus haut). On se demande pourquoi ils n'ont pas essayé le titre "Al Capote chique à gogo"…
Traduits pour la plupart par Jacques Guiod (par ailleurs traducteur de Dragon Rouge, de Thomas Harris, et des Carnets de Guerre de Vassili Grossman, excusez du peu), ces romans alternent scène d'action au passé simple ("le morceau de plomb que je lui logeai dans la gorge lui ôta toute envie de meurtre") et scène érotiques savamment campées ("on se serait cru dans le métro aux heures de pointe"), et ce avec une régularité métronomique qui laissent pantois (plutôt que pantelant).
On trouve parfois, par exemple dans La Main au Fez, des phrases qu'on aimerait offrir à William Vollman sur un coussin de velours – je cite: "Mon vagin chatoyait comme une aurore boréale autour de l'index impérieux." (Les pages 64 à 66 de La Main au Fez qui enrobent cette citation ont de quoi révéler n'importe quel adolescent à autre chose que la peinture des maquettes).
On notera également un ton particulier dans les quatrièmes de couverture, exercice difficile s'il en est (il en est). L'un deux commence par cette friande accroche: "Couscous, me revoilà!" Il y a mieux, certes, mais c'est un début. Un autre mentionne "la symphonie des cinq sens", et comporte cette mise en garde gandhienne: "Ça ira pour cette fois, mais Nirvana pas!". On peut également citer la trouvaille suivante: "Comme disait Hitler: My tailor is Reich!" Hum…
Bref, pareilles pépites ne devaient pas laisser indifférents les Californiens et les Haut-Marnais dans les années 70. Certes, on peut préférer à cette série celle des OSSEX, pourvue généreusement en titres tout aussi inventifs: A l'Oued rien de nouveau; Plus un poil de sec; Sabbat ça vient; La main occulte; Tais-toi tu m'exciques; On a marché sur ma lune; Kama sous toi; Le singe mue; La poule aux yeux d'or; La chatreuse de Parme; Branle bas le combat; Ottawa que je m'y mette; Une belle paire de Nippons; Rentre tes blancs mutants; Les raisons de la polaire…
On sent bien que l'imagination avait pris le pouvoir et que Pierre Messmer n'allait pas nous les briser longtemps. Le livre de poche s'ouvrait aux possibles et ça baisait furieusement dans les tourniquets des gares, à grand renfort de jeux de mots et d'allusions humides. Tout ça pour dire que la rentrée littéraire, c'est, comme dirait Cherry D., "quand on veut, comme tu veux, où tu veux, si tu peux".
Ben mon neveu…
L'éditeur français des Cherry dut trouver que les titres originaux n'étaient pas assez accrocheurs, bien que tous carabinés à leur manière (Tong in Cheek, Chuck You Farley, Fire in the Hole…). Ce qui nous vaut donc une série de titres français tous plus mutins les uns que les autres, dont on aurait tort de bouder la saveur tantôt graveleuse, tantôt joycienne : Maffia vous Fillettes, Cherry O chez Mao, Capot d'Anglaise, Le Sexe à piles, L'arme à l'œil, Tant qu'il y aura des zooms, Touche pas à la femme-blanche [sic, pour le trait d'union], Le saphir du bois de Boulogne, L'enfer vaut l'endroit, Gratte-ciel mon mari, Les Yogas de la Marine, Coolie piégé, Tout feu tout femme, les joyeux de la couronne, Le romain de ma sœur – et enfin un de mes préférés: Macumba les pattes (le fameux Fire in the Hole cité plus haut). On se demande pourquoi ils n'ont pas essayé le titre "Al Capote chique à gogo"…
Traduits pour la plupart par Jacques Guiod (par ailleurs traducteur de Dragon Rouge, de Thomas Harris, et des Carnets de Guerre de Vassili Grossman, excusez du peu), ces romans alternent scène d'action au passé simple ("le morceau de plomb que je lui logeai dans la gorge lui ôta toute envie de meurtre") et scène érotiques savamment campées ("on se serait cru dans le métro aux heures de pointe"), et ce avec une régularité métronomique qui laissent pantois (plutôt que pantelant).
On trouve parfois, par exemple dans La Main au Fez, des phrases qu'on aimerait offrir à William Vollman sur un coussin de velours – je cite: "Mon vagin chatoyait comme une aurore boréale autour de l'index impérieux." (Les pages 64 à 66 de La Main au Fez qui enrobent cette citation ont de quoi révéler n'importe quel adolescent à autre chose que la peinture des maquettes).
On notera également un ton particulier dans les quatrièmes de couverture, exercice difficile s'il en est (il en est). L'un deux commence par cette friande accroche: "Couscous, me revoilà!" Il y a mieux, certes, mais c'est un début. Un autre mentionne "la symphonie des cinq sens", et comporte cette mise en garde gandhienne: "Ça ira pour cette fois, mais Nirvana pas!". On peut également citer la trouvaille suivante: "Comme disait Hitler: My tailor is Reich!" Hum…
Bref, pareilles pépites ne devaient pas laisser indifférents les Californiens et les Haut-Marnais dans les années 70. Certes, on peut préférer à cette série celle des OSSEX, pourvue généreusement en titres tout aussi inventifs: A l'Oued rien de nouveau; Plus un poil de sec; Sabbat ça vient; La main occulte; Tais-toi tu m'exciques; On a marché sur ma lune; Kama sous toi; Le singe mue; La poule aux yeux d'or; La chatreuse de Parme; Branle bas le combat; Ottawa que je m'y mette; Une belle paire de Nippons; Rentre tes blancs mutants; Les raisons de la polaire…
On sent bien que l'imagination avait pris le pouvoir et que Pierre Messmer n'allait pas nous les briser longtemps. Le livre de poche s'ouvrait aux possibles et ça baisait furieusement dans les tourniquets des gares, à grand renfort de jeux de mots et d'allusions humides. Tout ça pour dire que la rentrée littéraire, c'est, comme dirait Cherry D., "quand on veut, comme tu veux, où tu veux, si tu peux".
Ben mon neveu…
du mal à me remettre de Gratte-ciel mon mari.
RépondreSupprimerRien ne sera plus jamais comme avant (sanglots)
ÉnOrme...
RépondreSupprimer(Ah, les trésors cachés de la Haute-Marne...)
Glen Chase, qui était aussi Rod Gray et partiellement Troy Conway, cachait en réalité Gardner Fox, génial scénariste de comics chez DC dans les années 60.
RépondreSupprimerQuant aux romans OSSEX et Cherry O publiés en France par EPP, ils ne s'agissait pas (toujours ?) des textes originaux. Jacques Guiod (et Alain Lacombe, Serge Poulenc, Jacques Girod, Chantal Plançon et Amédé Volfgang entre autres) ne traduisaient pas mais... écrivaient de nouvelles aventures. ça explique pourquoi OSSEX compte 60 et quelques volumes en france contre 20 ou 25 aux USA. Idem pour Cherry O.
Et pour faire chier, les photos de couv' ne sont pas toutes de Yves Boujenah. Patrick Merien prend très vite la relève. C'était aussi le photographe attitré de la collection Eroscope (même éditeur, mêmes auteurs, quelques textes exceptionnels)