Internet va-t-il enterrer le roman sérieux ? A cette question, posée il y a quelques jours par le journal The Guardian, l'écrivain Tim Parks, emboîtant par ailleurs le pas à des déclarations similaires de Will Self, a répondu sans hésitation par l'affirmative. Selon lui, l'attention du lecteur moderne est bien trop sollicitée par l'internet; sans cesse fragmentée, elle ne se concentrera plus sur des lectures complexes. "Le livre ne peut pas concurrencer l'écran", conclut-il. Mais qu'est-ce que Tim Parks appelle un "roman sérieux"? Il définit ainsi le type de livres menacés par Tweeter et Candy Crush: "le roman doté d'une prose élégante et hautement distincte, d'une finesse conceptuelle et d'une complexité syntaxique". Défini ainsi, le roman semble en effet voué à disparaître. Mais il n'est pas sûr que ça soit Youtube qui portera un coup fatal à la prose élégante et la finesse des idées… On sent bien dans les propos de Parks une nostalgie pour une littérature de classe, et il semble confondre belle ouvrage et prose audacieuse. Peut-on parler de prose "élégante" concernant Céline? De finesse conceptuelle chez Faulkner?
Pour John Banville, qui réagit aux propos de Parks, et la question du Guardian, pas d'inquiétude à avoir. De toute façon, selon lui, les lecteurs "sérieux" sont environ deux mille et il faut faire avec. La plupart des gens se fichent pas mal de l'art, ils ont d'autres soupapes. Pas la peine de faire du prosélytisme… D'ailleurs, Banville se passerait bien de Faulkner, aussi la disparition de ce genre de romans ne l'affecte guère.
Une fois de plus, on assiste à la parade de cet épouvantail moderne: le trouble du déficit de l'attention. Le lecteur moderne est soupçonné d'être comme un enfant, incapable de fixer son attention sur quoi que ce soit de "complexe". C'est possible, mais n'est-ce pas précisément le pari de la littérature que de bousculer et fabriquer des lecteurs? Peut-être ne peut-elle en fabriquer qu'un certain nombre? Peut-être ce nombre est-il sujet, au fil des époques, à des contractions, des variations? Depuis quand le nombre de lecteurs est-il garant de l'audace d'une littérature?
Bien sûr, on peut avancer que les technologies actuelles, pilotées par des puissances économiques plus rouées que les anciennes et balourdes dictatures, ont bien compris que l'écran était un grand capteur d'énergie et de pognon, et qu'un individu plongé dans une catalepsie spéculaire basée sur la fragmentation et la répétition tendait à poser moins de problèmes et à consommer plus.
Les romans faciles, les romans bâclés, les romans paresseux: sont-ils le fruit d'une sur-présence de l'internet? A l'évidence, non. Les romans complexes, novateurs, frondeurs sont-ils contrariés par la multiplications des écrans? Non plus.
Qu'est-ce qui menace la littérature sinon les écrivains eux-mêmes? Si, effectivement, certains intègrent la prétendue menace de l'internet et se sentent en position de concurrence, alors, oui, ils risquent de vouloir s'adapter et de "customiser" leur écriture pour s'assurer le peu d'attention qu'apparemment est prêt à leur accorder le lecteur moderne. Kafka: "Tu es le problème à résoudre. Pas un écolier à la ronde."
Merci Claro ! C'est tellement juste !
RépondreSupprimerMerci Claro ! C'est tellement juste !
RépondreSupprimerLe débat est toujours un peu le même : les bd/comics/mangas vont tuer le livre parce qu'ils se parcourent plus vite, les jeux vidéos vont achever le livre parce qu'ils sont plus addictifs, le cinéma, la radio, la télé vont enterrer le livre parce que plus modernes, ... pourquoi ne pas aussi citer les parcs d'attraction, le sport, le jardinage, le musée, le zoo ?
RépondreSupprimerS'il s'agit de concurrence sur le temps de loisirs disponible, potentiellement, toute activité nouvelle est susceptible de menacer le livre. Faut croire que, jusqu'ici, la concurrence ne suffit pas à en détourner ses adeptes.
"J'écris pour 200 lecteurs" (Stendhal)
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