mercredi 26 mars 2014

Forever Young: le plus beau livre du monde (2)

Après la parution, en 1965, de Miss McIntosh, My Darling, son auteur, Marguerite Young, comprit que le livre ne lui apporterait aucune renommée de son vivant et elle vécut plus ou moins à l'écart de son temps, se consacrant uniquement à l'écriture et à l'enseignement. Jusqu'à la fin de sa vie, elle travailla à la biographie d'un socialiste américain, le syndicaliste Eugene Debs. Elle comptait écrire trois volumes à son sujet mais ne parvint qu'à en écrire un, car entretemps le projet avait pris de l'ampleur et était devenu un vaste essai sur la pensée utopiste au dix-neuvième siècle et la création du mouvement socialiste aux Etats-Unis. Le manuscrit, là encore, était énorme: 2400 pages. L'éditeur Knopf en a acquis les droits en 1992 et l'a publié en 1999 sous le titre  Harp Song for a Radical: The Life and Times of Eugene Victor Debs. Mais entretemps Marguerite Young était morte. Le 17 novembre 1995. A l'âge de 87 ans.

On sait que c'est grâce au soutien d'Anaïs Nin que le roman de Marguerite Young put bénéficier d'une seconde vie. Peu de temps avant sa mort en 1977, Nin, persuada l'éditeur Harcourt Brace Jovanovich de publier une édition poche de Miss MacIntosh, My Darling – dix mille exemplaires furent ainsi imprimés en 1979. Mais le mal était fait. Du fait de sa taille imposante (pourtant la moitié de La recherche du temps perdu…), le livre fut peu lu et n'eut droit qu'à très peu d'articles, malgré quelques louanges dithyrambiques. Certes, ils furent quelques-uns à clamer son incessante splendeur – Kurt Vonnegut qualifia Young de génie; Jerzy Kosinski parla d'un exploit monumental; Howell Pearre estima que ce roman était le plus important paru depuis Moby-Dick; William Goyen le rangea aux côtés des œuvres de Joyce, Broch, Faulkner – mais au final Miss McIntosh, My Darling reste relativement inconnu.
    Il y a fort à parier que s'il avait été écrit par un homme, il aurait bénéficié d'une plus grande considération. Mais une femme, qui plus est éprise de socialisme et d'utopie! Une femme indépendante, qui plus est! A cela s'ajoute bien sûr le fait que MMMD – ainsi qu'on a coutume d'abréger son titre – échappe à toute catégorisation. On ne peut le résumer. L'appréhender est une expérience vertigineuse, sa lecture une plongée en apnée dans des strates d'enchantement infinies. Il porte en lui sa propre négation et sa perpétuelle renaissance, tel un rêve dans un rêve, et semble flotter dans un univers parallèle, ce qui le rend plus proche de l'œuvre d'un Henry Darger que des écrits de James Joyce, à mon sens. C'est un brasier de givre et d'éclairs, un foisonnement de sensations – la pensée s'y fait chair, la chair y parle toutes les langues. Pourtant, à peine l'a-t-on commencé qu'on est littéralement envoûté. Une magie d'écriture à l'état pur. On le feuillette alors, inquiet à l'idée que son incandescence puisse faiblir – il n'en est rien: quelle que soit la page à laquelle on l'ouvre, c'est le même saisissement, la même puissance, le même déferlement d'image, le même tourbillon onirique, d'un lyrisme granitique et incessant. C'est aussi le livre des métamorphoses, des transformations, des apparences: une tragédie grecque, un drame shakespearien, et une fascinante pastorale.
      Mais que peut bien raconter le plus beau livre du monde?

[à suivre…]

5 commentaires:

  1. La suite, la suite !!!

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  2. lu la question mais est-ce bien la question? Claro, je lis ce qui va avant, après.

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  3. Henry Darger ?
    Est-ce une façon de laisser entendre que le livre de Mc Intosh est en quelque sorte pathologique ou délirant ? Qu'on serait face à quelque chose qui serait de l'ordre du "fou littéraire" ?
    Je le dis, sans être péjoratif. Darger, c'est vraiment très beau mais c'est une oeuvre qu'on ne peut pas regarder sans prendre en compte son aspect borderline ou schizoïde. De monomaniaque. Ou dit plus joliment avec un mot anglais est-ce de l'outsider art ?

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  4. De Henri Drager, le récit The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion. (Attention il y en a pour 15 143 pages), mais normalement en 15 volumes, mais il y a des dessins (3 volumes d’aquarelles).
    On y décrit les aventures de Robert Vivian et des 7 sœurs, princesses d’Abbienna, un royaume chrétien en rebellion contre le régime de John Mandelais et des Glandelinians qui veulent réduire les enfants en esclavage. (On pourrait traduire ces deux régimes par Angéliques et Hormonaux)
    Dire qu’il avait l’esprit dérangé. Placé dans un orphelinat catholique de Chicago, on le surnomme « le fou ». A 12 ans, placé en asile à Lincoln, IL, il y est enregistré sous la seule dénomination « masturbation ». Il est certain qu’il a souffert de la mort de sa mère à la naissance de sa sœur comme le montrent ses dessins.
    Fou littéraire ? Pas de trace chez A. Blavier, ni chez R. Queneau, ni encore chez O. Justafré. Est-ce son origine américaine ?
    Dire que c’est de l’art (outsider art)…. Les aquarelles sont très suggestives (http://www.folkartmuseum.org/darger) sans entrer dans une morbidité sous-jacente. Il serait plutôt à considérer comme le facteur Cheval (Joseph Cheval) ou Raymond Isidore (dit Picassiette). Des autodidactes qui ont développé leur art – et leurs fantasmes - , mais sont ils les seuls ?

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  5. Thanks a lot for giving this information. I am a fan of obscure and under-appreciated masterpieces. Although the book looks a bit intimidating, I will try to read it some day.

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