jeudi 21 juin 2018

Un an de feuilletons (et c'est reparti pour un tour)

Un an ou presque, déjà, de Feuilletons dans "Le Monde des Livres". Plus d'une quarantaine d'ouvrages chroniqués. Autant de femmes que d'hommes, ou presque. Essentiellement de langue française – six ou sept livres en traduction, seulement (Lispector, Max Frisch, Wilcock, Jim Shepard, Jelinek…). Des gros livres (Jauffret, Bouillier, Lispector), des livres très fins (Auzanneau, Ben Lerner…). Quelques regrets, entre autres celui de n'avoir pu traiter le très beau Lambeau de Philippe Lançon (qui a eu droit aux premières pages du MdL) – mais ouf, j'en ai parlé ici, sur ce blog.

Deux critiques négatives seulement – il faut dire que mon prédécesseur, Eric Chevillard, a dézingué à peu près tout ce qui était dézinguable. Evidemment, comme à chaque fois que vous dézinguez un écrivain, vous obtenez deux sortes de réactions: celle de l'intéressé ou de ses supporters (ce qui m'a valu dans Le Figaro d'être comparé à ces "cuisiniers rasés et barbus qui pullulent dans le XXème arrondissement", et d'être vitupéré dans divers organes fascistoïdes, tiens tiens…); celles de purs et durs (?) qui estiment que descendre des luminaires est du temps et de l'énergie perdues, comme si la critique ne devait être que sérieuse, pondérée, révérencieuse. (L'an prochain, promis, je ferai attention. Je me raserai et je rattraperai le temps perdu par des génuflexions.)

Côté éditeur, une certaine diversité, ou une diversité certaine, comme vous voudrez. P.O.L (3); Verticales (3); L'Arbre Vengeur (3); Rivages (2), Gallimard (1); Héros-Limite (2). Mais aussi: Corti, Tinbad, Cambourakis, L'Olivier, Verdier, Buchet-Chastel, Des Femmes, Lunatique, L'Éveilleur, Le Quartanier… Des livres atypiques: Rouge de soi, de Babouillec, auteure autiste; Transcription, de Heimrad Bäcker; Jours d'inceste, écrit par une anonyme… De sacrés éclats de rire, à la lecture du navrantissime A l'aube, de Philippe Djian, avec son inénarrable et déjà culte "Assise sur le lit, elle tournait en rond"… Des livres poignants, Deuil, de Dominique Fourcade, paru quelques mois après la mort de Paul Otchakovsky-Laurens. Dérangeants: Jours d'inceste. Extraordinaires: Jérôme, de Jean Pierre Martinet (une réédition). Décapants: Play Boy, de Constance Debré… Quelques écrivains dont j'attendais avec impatience le nouveau livre: Jauffret, Bouillier, Marie-Hélène Lafon, Noémie Lefebvre, Stéphane Bouquet, Frédéric Léal, Antoine Boute…

De fulgurantes découvertes (en ce qui me concerne, hein): Clarice Lispector, Jean-Pierre Martinet… Des livres, aussi, que j'ai bien aimés, mais dont je n'ai pas parlé, faute d'avoir trouvé l'angle, ou le ton (le cas, par exemple, du Dernier cri, de Pierre Terzian (éd. sun/sun; ou l'énigmatique livre de Marie Darrieussecq, Notre vie dans les forêt). Certains livres, aussi, dont la déontologie m'empêche décemment de parler (ceux publiés par mes deux éditeurs actuels, Actes Sud et Inculte; ceux écrits par mes compagnons d'Inculte, celui écrit par mon éditeur Yves Pagès – pour ce dernier, je me suis rattrapé sur mon blog). Ceux que j'ai traduits – mais bon, là, hein, faut pas pousser. Quelques-uns, que j'aurais bien égratignés, mais hélas déjà pris, et en plus pour être loués… Et puis tous les livres reçus ou lus ou découverts trop tard, puisque à partir du mois de janvier, on ne parle plus au Monde des livres sortis avant la fin de l'année passée. La loi est dure mais c'est la loi. Plaisir aussi de voir mon feuilleton, une fois par mois, côtoyer l'excellente rubrique consacrée par Céline Minard à la poésie.

Voilà. C'est reparti pour un an… Les livres de la rentrée arrivent déjà, certains très attendus, d'autres profondément surprenants. Eté studieux en prévision (en outre, je me suis promis de lire le très excitant roman de Frank Witzel, Comment un adolescent maniaco-dépressif inventa la fraction armée rouge au cours de l'été 1969, traduit par Olivier Mannoni, paru en avril dernier…). Ah j'oubliais: je vous invite de toute urgence à lire, dès la rentrée, le court et percutant premier roman d'Emma Glass, Pêche (Flammarion) que j'ai traduit. Parce que, bien sûr, je ne pourrai pas en parler dans Le Monde des Livres (pas plus que du phénomaniaque Argent Animal, de Michal Cisco, à paraître au Diable Vauvert). Non mais.

5200 signes chaque semaine pour tenter de parler de style, de cadence, de construction – plutôt que de raconter l'histoire qui est racontée dans le livre, ou de faire le portrait des personnages dont le portrait est fait. 5200 signes pour donner envie aux lecteur.e.s de saisir physiquement l'écriture. Un rendez-vous en page 8 – comme une boule de billard pas pressée de filer à la trappe.



jeudi 7 juin 2018

A paraître ::: en traduction

Lors d’une conférence sur la finance en Amérique du Sud, une idée germe dans l’esprit de cinq économistes : l’argent animal. Cette nouvelle monnaie serait vivante et donc capable de se reproduire. Mais l’idée n’est pas accueillie avec enthousiasme par tout le monde et les cinq économistes vont être la cible de calomnies, de menaces et d’attaques.
Dès lors le climat de tension et de mystère qui marque le début d’Argent animal n’a de cesse de s’épaissir, le roman alternant rêves, délires, considérations philosophiques ou économiques… Les histoires s’engendrent les unes les autres, à l’infini, de la même façon que l’argent animal croît sans cesse et se multiplie, envahissant le monde.

::: Michael Cisco, Argent Animal, Diable Vauvert (A paraître le 6 septembre)



(+)




Il est arrivé quelque chose à la jeune Pêche, du sang coule entre ses cuisses. Ça lui fait mal de marcher mais elle parvient à rentrer à la maison en titubant où le cauchemar continue, avec ses parents qui ne semblent s’apercevoir de rien. Seule ou presque, elle va devoir vivre avec un corps meurtri qui change de façon inquiétante, hantée par son agresseur, l’affreux Lincoln aux relents de saucisses. Pour suivre Pêche au plus près, Emma Glass invente en même temps qu’un monde loufoque une langue charnelle et musicale, où chaque mot tente à la fois d’incarner et de réparer l’irréparable. Premier roman fascinant par son inventivité rythmique, Pêche explore les jours et les nuits d’une chair blessée et fait de l’empathie une expérience inédite, physique.

::: Emma Glass, Pêche, Flammarion (A paraître le 22 août)