jeudi 12 octobre 2017

Des bijoux indiscrets aux jouets intimes, avec Fleur Breteau

La tentation est grande de tendre la main vers le titre de Fleur Breteau, et de s’emparer de la sobre virgule (fournie sans les piles) qui protège l’amour de ses accessoires – puisque son livre s’intitule très précisément L’amour, accessoires et qu’il relate son expérience dans une boutique qui vend des (soyons concis) ustensiles érotiques. Une fois muni de cette virgule ma foi assez joliment galbée, et certainement fonctionnelle avec un peu d’imagination, il serait, là encore, tentant d’en faire un usage un peu instinctif et très possiblement agréable. Mais avant de faire vibrer cet adjuvant encore mystérieux et de l’appliquer sur la zone requise de notre imagination, évitons d’emblée un écueil qui n’aboutirait qu’à un surplus d’écume. Il n’est pas dit qu’il faille déambuler dans L’amour, accessoires comme ces clients qui s’aventurent dans la boutique où a travaillé l’auteure. Certes, Fleur Breteau joue le jeu, et se livre à une petite typologie, alerte et touchante, drôle et distancée, des intrigué.e.s qui viennent tâter du sex-toy entre ses murs, et son livre ne se garde nullement de l’effet catalogue, enchaînant les micro-récits circonstanciels à un rythme assez soutenu. Mais ce serait négliger les nombreuses antichambres que recèle L’amour, accessoires, et qui en font bien autre chose qu’une enquête au pays des canards coquins.

Remettons donc les pendules d’Eros à l’heure contemporaine. D’une certaine façon, on pourrait dire que le sextoy est la queue (pardon !) de la comète (pas de quoi…) de la libération sexuelle, et qu’il célèbre les noces du consumérisme et du jouir-sans-entraves, tout en (apparemment ?) signant l’acte de décès du sex-shop à la papa. On sait qu’historiquement c’est à l’ancienne pilote allemande Beate Uhse qu’on doit le passage à l’ère moderne du sextoy, avec in fine la transformation du vilain vibro vendu par catalogue en beau canard trônant sur une étagère.

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Finie l’officine un peu moite, hybride honteux entre la lumpen-librairie et le gluant pipe-chaud. Bienvenue dans l'aire du sexe climatisé ! Le plug anal a désormais droit de cité (et d’intromission) à condition bien sûr de ne pas contenir de phtalates (une saloperie qu’apprécie peut-être le PVC mais nettement moins le clito).

On apprend donc pas mal de choses dans L’amour, accessoires, mais comme je le disais, en manipulant distraitement la virgule du titre, son intelligence repose ailleurs, et frappe-toi le cœur car c’est là que dort le génie de la mémoire. Deux digressions – qui bien sûr n’en sont pas, comme toutes les digressions dignes de ce nom – permettent de mieux apprécier le métier/rôle social dans lequel s’est glissée Fleur Breteau. Il y a tout d’abord le récit de cette agression subie un soir de Saint-Valentin, quand un homme la suit, la harcèle, la malmène, et qu’elle parvient in extremis à lui échapper – ainsi naît la violence qu’elle retourne tout :
« Et s’il faut mourir, se noyer ? En quelques secondes, la mort se matérialise en moi pour la première fois de mon existence, elle se matérialise comme un bienfait, un sas de secours, une destination de vacances déraisonnable. »
(En lisant ces mots, j’ai pensé aux récents propos de Finkielkraut sur les féministes, ces « mauvaises joueuses », et je me disais que cet académinable qui se plaint encore d’un crachat reçu pendant Nuit debout n’a vraiment pas idée de ce que c’est de se faire serrer contre une porte vitrée mais passons, à force de siroter sa bile il finira bien par s’hoqueter lui-même.)

Comme le dit Breteau un peu plus loin, « l’envie de mourir ne rend pas plus fort ». Cet « incident » (qui n’en est pas un, comme elle le rappelle à propos, mais une des innombrables variantes du viol caractérisé) peut aider le lecteur à circuler autrement entre les rayons érogènes où vibre l’abeille d’on ne sait plus en vérité quelle concupiscence. Parmi les accessoires de l’amour, on doit certainement pouvoir ajouter le consentement, le discernement, le respect. Si l’amour n’est pas un objet (quoique…), les objets de l’amour, eux, ne sont pas dispensés d’humanité. On n’achète pas un gode bilobé sans y réfléchir à deux fois. Question de bon sens, et non de sens unique.

Autre récit parallèle qui insuffle une dimension nouvelle à l’intrigante virgule : la découverte par l’auteur d’un petit secret familial, que finit par entrouvrir un jour la grand-mère. L’arrière-grand-tante de Fleur Breteau, une certaine Marthe, fut un temps la patronne du Sphinx, « club et maison de première grandeur, dont Matoune sera la créatrice, la daronne et la marquise ». Bref, un bordel. Une maison close ouverte à pas mal de vents, sauf qu’en 40, hop, les Allemands, ça ne rigole plus, et Marthe se replie dans le sud. Cette histoire lointaine, un peu honteuse, mais non sans gloriole, vient résonner avec le job de l’auteure, qui en semble non une continuation mais une étrange émanation —
« Et j’aperçois un gène, un gène malin et vivace qui s’échappe du génome de cette arrière-grand-tante pour s’infiltrer au mien, il se glisse incognito dans mon grand ruban d’ADN, entre deux autres gènes assoupis qui ne remarquent rien ; il se dandine et reste là, au chaud. »
Bien sûr, ce tour de passe-passe génétique cache quelque chose. Car le monde du sex-toy met en relief, lui aussi, le rôle ancillaire dans lequel est confinée la femme – et Breteau de glisser opportunément un petit rêve mythologique, où sont convoquées les femmes fortes (Grisélidis Réal, Simone de Beauvoir, Louise Michel, Jane Goodall), sans oublier l’indispensable Tirésias…

Pendant ce temps-là, les hommes attroupés tremblent, entre deux viols, devant le mystère du point G. Après s’être tapé quelques Sabines, ils veulent se détendre au Salon Vénus. Face à la nouvelle religion de l’orgasme, Fleur Breteau cherche à remettre la sensualité à sa place – il lui arrive de conseiller plutôt des vacances qu’un dildo – et ose même un sésame : la gratuité. Oui, des idées gratuites, pas forcément des boules de geisha. Afin de survivre aux cinquante nuances d’aigri qui étouffent le sexe à piles. Et d’affronter enfin la fatale question : « Sommes-nous trop occupés pour désirer ? » Le désir ? Oui, il est temps de l’attraper par la queue, car, ne l’oublions pas, c’est « la seule arme de joie massive ». 

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Fleur Breteau, L’amour, accessoires, éd. Verticales



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1 commentaire:

  1. Le désir ... Un mot qui s'impose et qu'on n'impose pas . J'irai donc faire un détour du côté de cette Fleur ,avant de découvrir Allan Moore et puis aussi j'irai dans vos pages puisque vous en avez et ensuite si je me délecte ,je reviendrai sur ce blog
    c'est bien un traducteur pour ceux qui n'ont qu'une seule langue .

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