mercredi 14 septembre 2016

L'enfer de la traduction

On a parfois l'impression que la vie du traducteur est un enfer. Il passe son temps à se plaindre. A se plaindre de tout. Des délais, par exemple. Non mais l'autre il veut le texte pour dans trois mois, il me prend pour qui, Speedy Gonzalès? Si je lui rends dans trois mois, dans cinq il y est encore sur son bureau, mon texte. Et puis tu sais quoi? Machin m'a demandé un essai. UN ESSAI. J'ai déjà fait cinq trads, merde. Et l'autre, là, qui corrige tout, qui me change sofa pour canapé, non mais je rêve. Evidemment, ils ont pas été foutu de mettre mon nom en couve. Ça va pas avec leur charte graphique, il paraît. Putain, quels cons. Et l'à valoir, tu crois qu'ils sont pressés? Trois fois que je réclame. On s'en occupe. C'est parti à la compta. Ah oui, c'est toujours parti à la compta. Qui doit vivre au Groenland, tiens. Non mais je te jure. J'en ai marre. Et puis tu crois qu'ils me fileraient un texte chouette, un jour? Non parce que cet auteur, dès fois, on se demande ce qu'il lui est arrivé. Et qui c'est qui se fait critiquer? Bibi. Mais c'est pas moi ! c'est lui qui écrit comme une merde sans frein! Non mais. Bon, leurs épreuves, trois jours pour les relire. C'est court, putain. D'autant qu'ils veulent pas que j'apporte des corrections. N'importe quoi. Et après, tiens, ils t'appellent, la gueule enfarinée, pour que tu accompagnes l'auteur à ses rendez-vous presse. Parce qu'on sait jamais, hein, dès fois qu'il faudrait faire l'interprète… Ras le cul. Carrément. Quant au prix du feuillet, je t'en parle pas. Ils ont pas vu le prix de la baguette. Et que je t'arnaque avec le calcul informatique, hop! Franchement, ce métier, j'en ai ma claque.

Oui, bon, j'exagère à peine. On entend ça tous les jours dans le milieu. Eh bien vous savez quoi? C'est injuste. Les délais sont courts? Mais c'est pour que ça soit plus rentable pour le traducteur! Un essai? Mais c'est pour que le traducteur ne s'engage pas dans un texte qu'il n'aimerait pas, ne sentirait pas. Des corrections intempestives? Mais c'est pour stimuler l'intellect, pour enrichir la trad! Le nom du traducteur absent de la couverture? Oui bon, c'est pas un générique la couve, hein. On n'est pas dans Star Wars. L'a valoir qui tarde à arriver par la poste? Oh mais c'est que c'est complexe la compta. C'est pas comme la trad. Un texte chouette? Mais tout texte a ses qualités. Même les mauvais. Surtout les mauvais, d'ailleurs, parce que, vu qu'ils sont mauvais, quand ils ont des qualités, on les repère tout de suite, elles sautent aux yeux. Pas assez de temps pour relire des épreuves? Mais c'est normal, il faut rester dans la dynamique, l'urgence, la synergétique. Oui, bon, la synergie. Et on ne peut plus toucher au texte? Ben non, votre trad est parfaite, alors à quoi bon? Aider à la promo? Mais quelle chance! Côtoyer l'auteur! Avoir des rapports privilégiés avec lui? Pouvoir clarifier sa pensée auprès des journalistes! Une aubaine. Le prix du feuillet? Ah mais ça, c'est comme ça, et puis c'est un métier qu'on fait par passion.

Bref, le débat reste tout vert.

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Traduction du texte en image en haut à gauche: "Etant un traduiseur est aimer chevaucher un vélo, à l'exception le vélo est sur incendie, et tu es sur incendie, et toutes les choses sont sur incendie, et tu es dans l'enfer."


3 commentaires:

  1. Le débat est tout bib (bab'beloula) :

    "...et puis c'est un métier qu'on fait par passion." Les infirmières aussi font leur métier par passion... Fais gaffe ! ça peut mener au suicide !

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  2. Ah mais il en manque. Quand l'auteur fait une digression, qu'il est un peu inventif dans un essai, qu'il parle de Charles Dumont sur 4 pages dans un bouquin de médecine, faut dire à l'éditeur qu'il déconne, l'auteur. Et il faut les supprimer, ces 4 pages. Non, sans demander à l'auteur. Tu parles. Non : on a le droit, c'est dans le contrat avec sa maison d'édition...

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