jeudi 15 octobre 2015

Resplendir en s'effaçant


Dès la première page, il devait être question d’une religieuse perdue en Corse qui se retrouve nez à nez avec un bouc impressionnant, mais comme souvent en littérature, ce qui se passe est tout autre chose. Ce n’est donc pas cette pleutre nonne dont on va nous parler, mais de la vie mouvementée du colonel Percy Harrison Fawcett, né 1867. Allez comprendre.  Va pour Fawcett. 
Dans un récit nerveux et scintillant tel un poème de Cendrars, Malek Abbou, l’auteur de ce conte affolé, déploie l’existence improbable  – quoique réel… – de cet explorateur chargé de délimiter les frontières entre Brésil et Bolivie.  On le suit dans ses pérégrinations, sur terre, sur l’eau, où il côtoie splendeurs et horreurs (les sbires des plantations jouent au bilboquet… avec des nourrissons guarayos qu’ils lancent en l’air puis empalent sur leurs machettes…), il fréquente Arthur Conan Doyle, l’anarchiste Jules Bonnot ( !), se prend de passion pour d’énigmatiques cités d’or, obtient de Rider Haggard, l’auteur de She, une statuette qu’il soumet à des expériences médiumniques de psychométrie, puis rameute quelques fous, dont son fils qu’il arrache à un destin hollywoodien, afin de s’enfoncer dans la jungle de Xingu pour n’en plus jamais revenir. Mort ? Le crâne fracassé ? Ou assimilé, intégré, fondu au noir dans l’or invisible de cités invisibles ? D’autres explorateurs partiront à sa recherche, en vain. Le récit s’achève là, ou presque…
Le livre change alors de cap. Et l’auteur d’évoquer une soirée passée avec un certain Altino, un « authentique paulastino publiant dans des journaux lusophones des études sociologiques ». Ledit Altino, qu’intéresse la vie de Fawcett, sait certaines choses sur les habitants mystérieux de ces cités dont nul n’est revenu – sauf lui. Il a même été sauvé, recueilli, guéri (et initié) par ces spectres habiles, qui ont maîtrisé l’art ultime du camouflage (« l’effacement est aussi une manière de resplendir »). Comment s’y prennent ces sages-hors-du-temps pour n’être pas débusqués ? Leur recette :
« Les lianes. Hallucinogènes. Une infusion. L’ayahuasca d’abord qui est déjà elle-même une décoction de deux autres végétaux : la chacruna et le mariri. Ce cocktail pousse loin la perception si on l’associe à la floripondio qui produit une extase colorimétrique de longue durée. L’association des trois est la condition de cet illimité solaire qui permet à la psyché de voir et de reconnaître partout, jusque dans le sang d’un colibri ces couleurs que l’œil nous refuse. »
Bien sûr, il y a derrière tout cela une motivation excellente : la quête de la volupté, de la sensualité unique. C’est un peu comme le chien-tigre à double truffe : au début on n’y croyait pas trop.
Le mérite premier de ce texte riche en prodiges et fulgurances, c’est de réussir en quarante pages ce que nombre d’écrivains auraient raté en quatre cents. Un roman épique, fantasque, scientifique, à la fois récit d’exploration, réflexion sur la théosophie, recueils d’anecdotes exotiques et matrice poétique, vrai/faux témoignage, mais sous forme elliptique, brève, électrique. Prenons-en de la graine : le lyrique peut se faire flèche, l’épique caméléon. Le confidentiel gouffre.
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Malek Abbou, Vies de Percy Harrison Fawcett, éd. Impeccables, 2011, 12,50 €

3 commentaires:

  1. Que le lyrique sache, puisse "se faire flèche", c'est ô combien vrai (cela fait bien longtemps que le savent ceux qui s'escriment à cerner de plus près le "lyrique", cette anguille, ce serpent de mer, ce riche et ambigu vocable qui veut tout et ne rien dire, assaisonné qu'il fut à trop de sauces - toutes, peut-être...)
    "Resplendir en s'effaçant"? Mille fois oui - probablement la SEULE manière de resplendir pour de vrai!
    Tout en devinant (lucide et douloureux savoir futur) qu'il s'en trouvera toujours des pantins, des cuistres et des baudruches pour vous rappeler à l'ordre (ne pas trop resplendir,encore davantage s'effacer...)

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  2. "L'effacement soit ma façon de resplendir, la pauvreté surcharge de fruits notre table, la mort, prochaine ou vague selon son désir, soit l'aliment de la lumière inépuisable."
    Jaccottet, Que la fin nous illumine

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  3. Après avoir épuisé voire essoré la journée à enquêter sur Percy et sa disparition qui depuis a su générer le mythe sans les insectes qui vont dans ces parages exotiques, mes conclusions sont les suivantes, je vous les livre ( gratuitement ) :
    En ces temps reculés il est plus que probable qu'il ait trouvé son anthropophage aussi pouvons nous invoquer le cannibalisme comme raison à la disparition énigmatique de sa dépouille. Remarquons que les zones vierges tendent à disparaître sans que rien ne prouve que les pratiques répréhensibles et susceptibles des sanctions prévues par la Loi n'aient vraiment totalement déserté l'habitus aussi me vois-je dans l'obligation d'alerter le lectorat potentiel de l'éventuel danger encouru à traverser en dehors des passages zébrés dûment prévus, ultime recours en regard de la face cachée de l'homos citadinus.

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