[Pendant l'été, le Clavier fouille dans ses archives et vous ressort des posts anciens, parce qu'on ne sait jamais. Aujourd'hui, ce post du 17 janvier 2012…]
Qui n'a pas vu Le Jour et la Nuit, le film de BHL, a de a chance.
L'inouï l'attend. C'est une expérience, une expérience indépassable,
qui se situe entre la révélation et l'embolie, et qui permet de
réévaluer le sens du mot "ridicule" dans des proportions dantesques.
L'auteur du film, qui a renouvelé la pensée philosophique un peu comme
Bécassine a réinventé l'idée du voyage, s'est aventuré dans l'étroit
sentier du milieu de l'inanité pour entrer dans la forêt profonde de la
non-image. Des visions l'habitaient, tels des nains de jardin planqués
derrière des pneus qui jamais ne rouleront, et il a cru bon de leur
offrir une scène, avec cet humble panache qu'on pourrait croire jailli
d'un tout autre orifice. S'inscrivant sans ciller dans la lignée de
Godard et de Welles, dont il se pense visiblement l'héritier, BHL nous
offre ici un objet affolant non identifiable.
L'intrigue? Elle devait gésir au fond d'on ne sait quel facétieux baril
de lessive d'antan, coincée entre deux volumes de la série Harlequin. Un
enthousiaste producteur se rend au Mexique en compagnie d'une blonde
actrice pour convaincre un maudit écrivain qu'il faut adapter son
premier roman (j'antépose à dessein les épithètes pour gâcher le
suspens…). L'écrivain en question ne s'est jamais remis d'une grande
passion amoureuse, a quitté les rivages mondains pour s'exiler dans la
vase de la page blanche, pardon, de la blanche page, et consacre
désormais ses loisirs/son spleen à voler en montgolfière, qui est comme
chacun le sait un ballon qui monte et descend mais n'obéit qu'aux vents,
un peu comme l'opportunisme. Jamais éloge de la boursouflure n'a été
aussi métaphoriquement incarné, reconnaissons-le. La zeppelinade est de
taille. C'est la vessie portée à son point culminant, dans la pure
tradition de l'arroseur arrosé (ici, le voleur volé).
Le casting relève d'une époustouflante zoologie. Il est évident que BHL a
supplié ses acteurs non seulement de jouer faux, mais de mal jouer
faux. Un Karl Zéro excité et benêt, roi déchu de l'intonation, passé
maître dans le trépignement et le froncement de sourcils, à qui on a dû
faire croire que le film serait muet mais que Lilian Gish aurait du
retard. Une Arielle Dombasle tout entière vouée au perfectionnement de
sa cambrure, filmée sous toutes les coutures à jamais béantes de son jeu
placebo. Un Alain Delon transfiguré par l'absence d'inspiration au
point de laisser sur l'écran les marques indélébiles de sa cuistrerie et
qui s'exprime avec un inénarrable débit chiraquien. Il y aussi Xavier
Beauvois, qui semble furieux d'avoir été casté; Marianne Dennicourt, qui
attend patiemment le moment de dire ses répliques; Kalfon, qui s'en
fout mais aime ça; Lauren Bacall, en guest-star vouée aux gémonies du
grotesque; plus une dizaine de Mexicains choisis pour leur hygiène
dentaire déficiente et la sueur qui perle à leur front fourbe.
Comme dans le plus ambitieux soft porn de M6, l'intrigue amoureuse,
d'essence purement hamiltonienne, se double d'un arrière-fond social,
ici un vague soulèvement populaire contre un propriétaire terrien féru
d'expulsions mais un peu flageolant du flageollet. Un érotisme torride,
ou plutôt torréfié, innerve ce chef d'œuvre néo-platonicien, parsemé de
scènes dénudées jusqu'à en voir l'inepte et celluloïdique trame.
Techniquement, on est dans l'hyper espace, la salade décomposée, le
nanar brut. Une image aussi sophistiquée qu'une carte postale oubliée
sur un radiateur en fonte, cadrée par un amoureux du rectangle fixe.
Quelques plongées d'une audace telle qu'on les préférerait réservées aux
maîtres nageurs. Un montage qui laisse à penser que la machine Avid est
tombée en panne dès le premier jour et qu'on l'a remplacée par des
ciseaux émoussés et de la colle avariée, le tout au service d'un rythme
si inventif qu'il rappelle essentiellement la démarche de Pollux. Et des
dialogues, ou plutôt des phrases, qui oscillent entre formule foireuse
et réplique rassise, proférées avec le naturel qui sied à l'inertie des
sentiments. Sous nos yeux médusés, les scènes se succèdent, purgées de
tout complexe esthétique, bâclées avec une désinvolture que la
post-production porte au pinacle de l'amateurisme. Le suicide
d'Alexandre dans sa montgolfière est un grand moment de solitude
cinétique, qu'éclipse à peine la scène gore où une guêpe pique l'épaule
de Dombasle, et où même la guêpe joue mal.
Au moins, reconnaissons à BHL d'avoir démontré, en réalisant ce film,
qu'il avançait dans sa carrière avec une cohérence stupéfiante, puisque
le montage du film est du même acabit que l'articulation de ses idées.
Œuvre crypto-pâtissière où tous les ingrédients sont mauvais et où aucun
ne vient relever l'autre ni lier la crème de l'ennui, Le Jour et la Nuit
raconte avant tout une histoire de mort: celle d'un non-auteur
assassinant en lui le désir de fiction afin de passer pour on ne sait
quel Orphée revenu du bazar des dénis.
Un des derniers plans du film nous montre Lauren Bacall en train de
serrer sur son sein un ouvrage de chez Grasset, tel un cataplasme à base
de papier et de mayonnaise qui ne fera jamais repartir son cœur. Il
doit y avoir plus vide et plus pathétique que ce dernier plan, mais à
quoi bon chercher. Le film est un tel récit enivré d'inanité, une telle
marinade de complaisance, que lui chercher un au-delà relève du
chimérique. Mais surtout, le film véhicule un discours sur la figure de
l'écrivain si monotypé qu'on se demande pourquoi Barbara Cartland n'a
pas fait un procès en plagiat à BHL.
Bref, et même si "aucune image ne peut la rendre la beauté de ce décor",
il faut voir ce film pour ce qu'il est: un immense et simplissime lapsus
au cours duquel l'auteur, à son insu boursouflée mais au prix d'un
acharnement thérapeutique insensé, nous serine son indépassable
incompétence, avec au bout du tunnel cet espoir: poussée au paroxysme de
sa vanité, la médiocrité est le bien souverain. La pensée est un
artifice, la langue une pirouette, l'image un décor: seule compte
l'emphase.
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RépondreSupprimereh oui.
RépondreSupprimerquelques précisions toutefois sur le tournage de "Le Jour et la Nuit", telles qu'on les enseignent dans toute bonne école de cinéma.
RépondreSupprimerle tournage a eu lieu un lundi de 95, jour traditionnel de lessive, d'où il s'ensuit que les (trop) rares photos le montre sous la désastreuse image d'un sans chemise.
faut il aussi rappeler que Chabrol disait de ce chef d'oeuvre que c'était "le plus mauvais film jamais tourné" (toujours suite au fonctionnement des laveries automatiques).
mais qu'en fait le succès commercial est venu du broyage et de la mise en vente des affiches comme anti-limaces.
encore merci à cet exportateur des idées qu'il n'a pas.
Ce film est introuvable hélas, car il pourrait en cas contraire devenir la meilleure blague mondiale. Le navet le plus impérissable et le plus drôle de toute l'histoire du cinéma. Tout le monde aurait envie de vivre cette expérience... J'imagine déjà les séquences de visionnage culte qu'on pourrait en faire pendant des générations ! BHL a dû s'opposer à cette postérité.
RépondreSupprimerUn coup d'barre? Claro et ça repart !!
RépondreSupprimer(rhhaaaa! merci :D )