jeudi 11 juin 2015

Mauvais cycle

Je pense détenir enfin la preuve indubitable de la bêtise humaine et en particulier de la bêtise masculine. Je vous explique.

Je suis depuis peu l'heureux locataire d'une place de parking situé sous mon immeuble. Pour y accéder, on m'a fourni un badge. Je dois donc badger pour entrer et badger pour sortir. Si j'entre sans badger, disons à la suite d'un véhicule qui lui a badgé, c'est une erreur monstrueuse, et aussitôt ma carte passe en "mauvais cycle", ce qui signifie que la porte ne s'ouvre pas et que je dois emmerder par interphone un type qui doit s'ennuyer ferme et du coup m'ouvre à distance. Or il se trouve que la première fois que je suis entré dans le parking, je n'ai pas badgé, pour la bonne raison que le badge n'était pas encore prêt. Vous suivez?

Donc, désormais, je suis en mauvais cycle et je dois à chaque fois faire chier le type à l'autre bout de l'interphone. Bien, me dis-je, mettons un terme à cette situation absurde. Je demande donc au type du parking ce qu'il faut faire pour ne plus être en mauvais cycle. Et là, cet homme éclairé qui vit dans l'ombre m'explique qu'il ne faut pas entrer dans le parking sans badger. Et que, pour tout me dire, ce sont souvent "les femmes" qui entrent sans badger. J'essaie de lui expliquer que ma femme ne conduit pas, qu'on m'a laissé entrer la première fois sans badge parce que je n'avais pas encore le badge. Rien à faire. "Ce sont souvent les femmes", répète-t-il, navré. Oui bon d'accord si tu veux, admettons que les femmes sont connes et que toi tu es intelligent, partons de cette hypothèse hautement improbable. Comment faire pour abolir le cauchemar de ce mauvais cycle. "Ce sont souvent les femmes", conclue-t-il, maussade, un peu chagriné par cette vérité apparemment éternelle qui l'empêche de remédier à la situation. "Ça m'embête de le dire, mais j'ai pu le vérifier, oui, ce sont souvent les femmes." Est-ce à dire que les femmes n'entreraient dans les parkings qu'après s'être assuré qu'un véhicule conduit par un homme les précédait et allait donc badger à leur place? Un peu stupéfait, voire stupéfié par cette révélation ontologique, j'envisage tour à tour l'émasculation, la décapitation, etc. Y aurait-il un rapport menstruellement secret entre ce "mauvais cycle" et la "nature imparfaite" des femmes?

Le fait est qu'au bout de quatre mois la situation n'a pas évolué d'un iota malgré quelques tentatives pour rectifier le tir. On va le voir, on lui téléphone, on aborde comme par la bande ce délicat sujet, mais à chaque fois il nous fait comprendre que c'est nous qui ne comprenons pas. Et que bon, madame est bien gentille, et monsieur sûrement un peu con, mais, hélas, "ce sont souvent les femmes". Je vais donc rester jusqu'à ma mort contraint de sonner à l'interphone pour qu'on déclenche à distance l'ouverture des portes. J'en ai pris mon parti. Je suis résigné. Ah, humanity…

J'espère toutefois que le jour où le corbillard contenant le type du parking se présentera devant les grilles du cimetière, celles-ci refuseront de s'ouvrir, et qu'une voix sépulcrale sortira du haut-parleur et annoncera, à la grande stupéfaction de la famille du défunt: Mauvais cycle !

7 commentaires:

  1. Essaie d'entrer une fois sans badger ::: tu retombes dans le bon cycle et il te pousse des seins. Du coup, le type ne pourra plus dire que les femmes sont connes.

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  2. Maxime LILENFELD11 juin 2015 à 13:38

    Débadgez le parkinguier en douce pour voir s'il se déguise en femme pour reprendre son poste de travail un matin histoire de justifier la raison de son entrée dans le mauvais cycle! Ou dessinez des moustaches à votre compagne. Juste pour voir si pouvez enrayer la machine.

    Je crois que cette dinguerie va me faire rire pendant des heures encore. C'est foutrement débilitant! Merci! Merci!

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  3. Voilà ce qui arrive quand on a trop lu Kafka.

    Qui a dit que la vie imite l'art?

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  4. Il fut une époque à laquelle, avant de préférer partir m'encanailler du côté de Champigny sur Marne, je vivais dans le douzième arrondissement de Paris, et a laquelle il m'arrivât exactement la même aventure. Etant entré dans le parking sans badger (pour les mêmes raisons de badge non-encore-prêt - à la différence notable toutefois que les femmes n'avaient rien à voir à l'affaire; non, les coupables, il fallait les chercher du côté des étrangers, en tout cas c'était ce que soutenait inlassablement et avec la même capacité à tourner en boucle sur un même sujet mon concierge (lequel avait la fâcheuse habitude de ponctuer chacune de ses maximes d'un fatal "c'est vrai où c'est pas vrai ?" (je dois confesser non sans honte que je n'ai jamais eu le courage en toutes ces années de répondre "c'est pas vrai" (encore moins "c'est vrai" il va se soi, même si là nous sortons du domaine du courage)) - et j'en finis là de mes digressions avant de m'embrouiller dans mes ponctuations et risquer de ne plus trouver la sortie de cette phrase), étant entré sans badger donc, je me retrouvais dans l'incapacité de sortir, car je découvrais émerveillé que pour sortir de quelque endroit que ce fût, encore fallait-il y être entré ! Sans entrée, pas de sortie (ni de dessert !) Et sans voiture, pas d'entrée non plus, puisque l'ingénieux système ne semblait se déclencher, outre consécutivement au passage du badge, qu'en présence d'un volume supérieur à celui du corps humain.

    La seule issue fût finalement d'attendre qu'une personne utilise son badge afin de sortir et de se ruer sur les chapeaux de roue, moteur hurlant et pneus crissants, à sa suite avant que la barrière ne se referme, pour pouvoir re-rentrer (en badgeant) se garer.

    Bref, vous savez ce qu'il vous reste à faire !

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  5. J'admire votre haut degré de civilisation. Vraiment.

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  6. J'ai bien ri ! Merci, Claro et Stéphane Régnault !

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  7. J'ai bien ri ! Merci Claro et Stéphane Régnault !

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