mercredi 15 avril 2015

L'indispensable mortification du texte

Comme je goûtais hier à l'une des meilleures entrecôtes qu'il m'ait été donné de tâter de l'incisive, je m'enquis auprès de l'experte patronne (des lieux) des modalités (de sa mise en gloire) Oui, bon, bien sûr, je ne posai pas la question en ces termes amphigouriques, mais c'était pour vous appâter par du gros style bien persillé. Bref, j'appris ainsi qu'il existe une pratique cruciale qui consiste à "mortifier" la viande, c'est-à-dire à
"laisser reposer au froid ventilé les viandes qui viennent d'être abattues pour permettre à la rigidité cadavérique de disparaitre. La mortification ou maturation est de 4 à 5 jours pour le veau et le porc, de 6 à 7 jours pour le mouton et de 10 à 12 jours pour le bœuf."
OK,  vous êtes peut-être végétarien, et ce genre de précision vous répulse, mais là n'est pas le problème. Ce qui m'intéresse ici, c'est ce terme de mortification, et l'usage qui en est fait. N'est-il pas étonnant que le même terme désigne tour à tour la nécrose (sens pathologique), la maturation (sens culinaire) et la quête d'une élévation spirituelle par la pénitence et la souffrance (sens religieux)? Le corps, donc, sa viande articulée, vécue comme une matière à parfaire et vexer. Déplaçons l'image, et considérons le travail sur le texte comme une exercice de mortification, indispensable et salutaire. Afin que le texte gagne en saveur, et perde de sa roide structure, afin donc qu'il s'affranchisse de sa production mécanique pour retrouver une dimension organique, ne convient-il pas de le laisser "reposer" un temps après l'avoir soumis à toutes sortes de vexations, après en avoir travaillé la chair rétive? On pourrait ainsi évoquer l'œuvre non de miséricorde mais de mortification à laquelle s'attache l'écrivain.
Mortifie ton texte, ami écrivain! pensai-je, plutôt fier de ma réflexion matinale, tout en me demandant néanmoins à quelle comparaison capillotractée j'aurais recouru si d'aventure j'avais pris une tête de veau en place d'une entrecôte… Ce que j'ai fait, d'ailleurs, maintenant que la mémoire me revient. L'entrecôte, c'est Martin ce malin qui l'avait prise, et pourtant on lui avait dit le plus grand bien des harengs pomme à l'huile, allant jusqu'à lui proposer de lui en mettre un ramequin afin qu'il s'en fît une idée. Ceux qui ont vu OSS 117 me comprendront.
Bon, je vais voir quelle philosophie de l'écriture on peut extraire de la tête de veau et je vous rappelle.


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L'Auberge Pyrénées Cévennes, 106 rue de la Folie Mericourt, 75011 Paris

3 commentaires:

  1. Merci Claro, pour ce délicieux exercice de philologie.
    Quant à L'Auberge, Pudlowksi est lui aussi un fan :
    http://www.gillespudlowski.com/18252/restaurants/auberge-pyrenees-cevennes-paris-11e-comme-en-province

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  2. Dans mon jeune temps on parlait du ressuyage des viandes après l'abattage, mais la mortification je trouve ça plus parlant ! Que boit-on dans cette auberge Céveno-Pyrénéenne ? Du Pic Saint-Loup ?

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  3. Vous pouvez être fier, c'est à cette heure l'apogée dont on taira l'effort. Luxation du poignet?

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