jeudi 16 avril 2015

La geste soit de Farigoule: Benoît Vincent en marche

Existe-t-il une écriture de la marche? Certes, l'ambulation est propice à la description et à la réflexion, comme si le mouvement linéaire créait deux tourbillons, l'un extérieur (je vois le monde, je le raconte), l'autre intérieur (je plonge en moi, je m'explore), mais il est possible que la marche en écriture soit avant tout une tentative pour mettre au point de nouvelles rythmiques, instaurer le primat de la scansion (le souffle) sur la narration (le motif). A l'instar de Céline Minard, qui avec son premier roman, R, travaillait Rousseau et Schmidt en terre dauphinoise, voici Benoît Vincent à l'assaut des terres de Haute-Provence, pour une rocailleuse odyssée intitulée Farigoule Bastard.

On y suit, pas à pas, pensée après pensée, un berger qui se rend à Paris pour une rétrospective de son œuvre. Berger-artiste, donc. Hum. Le berger est curieux et aimerait, comme le lecteur, savoir de quelle œuvre il peut bien s'agir. Il se met donc en route. Mais partir, c'est dire adieu, c'est parsemer d'escales sa fuite, c'est fendre l'immobile du paysage, inventer des écarts, trébucher, explorer les arcanes de l'égarement. Farigoule Bastard est un "hollow man" à sa façon, empli de la paille des désillusions mais taraudé par l'allumette de la résistance. Son cœur a saigné, mais ses yeux ont vu. Et sans doute pourrait-on dire qu'il aspire à devenir paysage, paysage mental, bien sûr, mais avant tout paysage d'écriture, et tout le travail de Benoît Vincent est dans cette fusion: faire de Farigoule une langue avant tout, une syntaxe capable d'entrer en phase avec la matière des roches, la peau des plantes, les ondes de l'air:
"Farigoule Bastard est objet de transition, ou moyeu, ou vérin. / Moyeu, qui porte et élance. / Vérin, qui gagne d'une chambre l'autre. / Dès le début il a fallu négocier. Ce n'est pas qu'un concept comme l'autre. / En observant de près, on y décèle de petites surfaces, spongieuses, râpeuses, de celles qui accrochent les tissus puis ne lâchent plus, de celles qui abritent des microfaunes hérissées, des levures fuligineuses, de minuscules trafics monocellulaires, des bains, des bouillons."
En botaniste des affects imperceptibles, l'auteur construit son livre à la façon d'un peintre changeant souvent de technique, passant du cubisme au fauvisme, du collage à l'impressionnisme, permettant ainsi à son personnage d'expérimenter sa dissolution, ses variations, les "inéluctables modalités du visible". Farigoule cesse alors d'être un nom accolé à un corps pour devenir le corps même du texte, sa machine patraque. Sans cesse redéfini, il s'évade de lui-même où il sait ne trouver que matière à déchirement – une certaine Celle qui n'est plus là… –, et s'offre à la page-paysage en quasi martyr et presque feu follet, ayant choisi de "déposer son nom" comme d'autres leur glaive.

Ecrit, on l'a dit, à même la partition de la marche, de l'avancée, façonné par un souffle attentif aux aheurtements, aux savantes incongruités, où faune et flore se liguent pour aiguillonner la peau du marcheur, Farigoule Bastard est un "autrement" riche et rugueux, une robinsonnade qui se mâche et surtout se machicote – puisque machicoter, c'est "chanter seul un verset en y ajoutant, ou retranchant des notes qui sont sur le livre à chanter, et cela pour donner plus de grâce au chant". Mais Benoît Vincent nous avait prévenus: "sa gibecière est cornemuse".

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Benoît Vincent, Farigoule Bastard, Le Nouvel Attila, 124 pages, 16 €

Benoît Vincent est botaniste et écrivain. Ses quatre premiers ouvrages (dont deux essais sur Maurice Blanchot et Pascal Quignard) ont paru chez Publie.net. En 2012 il publie un hypertexte sur la ville de Gênes, GEnove, Villes épuisées (www.ge-nove.net). Il est également en charge du projet collectif Général Instin et co-responsable de la revue en ligne Hors-Sol.


2 commentaires:

  1. C'est tentant...

    Et je pense à ce poème de Boris Vian dans Je voudrais pas crever :

    J'AI ACHETÉ DU PAIN DUR

    J'ai acheté du pain dur
    Pour le mettre sur un mur
    Par la barbe Farigoule
    Il n'est pas venu de poule
    J'en étais bien sûr, maman
    J'en étais bien sûr.

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  2. j'avais écrit a propos de Farigoule Bastard, et puis le commentaire s'est effacé, perdu dans les grandes oreilles de la NSA sans doute (qui surveille de près ce site oh combien subversif)

    donc FB, (et en prime Ariane dans le labyrinthe de Philippe Bollondi)
    deux textes que je n'aurais peut etre pas lu (quoique provenant de le Nouvel Attila, donc à lire)

    FB, un texte plein de poésie, avec plein de mots "valise" ou inventés, voire même existants
    la chaleur ou la burle, des forèts de blaches, l'altremonde, une branque a affolé la grège.....
    je veux bien qu'il (benoit vincent) soit botaniste et qu'il nous réserve des noms d'oiseaux (au sens noble) ou de plantes, mais cela ajoute au charme de ce petit livre fort bien écrit.

    Ariane. maintenant. le mythe revisité (et enjolivé), une vraie merveille
    le tout vu par boniface (le vendeur de billets a l'entrée du labyrinthe)
    il y a tout le monde
    Ariane et sa soeur Phèdre (on n'avait pas vu ça dans Racine)
    donc les deux soeurs (qui de détestent), le beau Thésée que l'une va aider et qui va choisir l'autre (du vrai mélo de boulevard)
    le Minotaure (en fait je préfère la représentation qu'en fait Picasso)
    bref un texte très bien écrit

    et après cela on voudrait supprimer ce blog ????
    pour une fois qu'il y a des choses à lire (et d'autres à éviter, cf les Moix si sures ((? oui c'est mauvais)

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