lundi 30 mars 2015

Les icônes animées du magicien Hogan


Un jour, « dans le tohu-bohu d’une foire du livre en Allemagne, un après-midi d’octobre, 2012 », un éditeur dublinois confie à Pierre Demarty – écrivain éditeur chez Grasset et traducteur de l’anglais–, un texte discret, presque confidentiel, paru en 1976, écrit par un auteur âgé à l'époque de vingt-six ans et dont on ne sait quasiment rien, un certain Desmond Hogan, plus secret encore que Salinger, et que certains ont surnommé « l’homme qui avait disparu ».  Ebloui par la découverte de son œuvre, Pierre Demarty décide de publier l’intégralité de cette œuvre éconduite injustement par la postérité : cinq romans, un récit de voyage, quelques nouvelles. Le premier texte que vous pourrez lire s’intitule Le garçon aux icônes, et il fait l’effet de braises palpitant sans relâche sous la cendre.
C’est l’histoire d’une mère et de son fils, un fils étrange, retiré en lui-même, rongé par des secrets, un fils qui un jour quitte leur Irlande natale, puis revient, puis part à nouveau et cette fois-ci ne donne plus de nouvelles. La mère est encore jeune, elle a la cinquantaine, elle est veuve, et son fils – Diarmaid – est son bien le plus précieux. Elle partira donc en Angleterre, à sa recherche, quittant pour la première fois ou presque une Irlande secouée par les attentats, enlisée dans le temps. A partir de ce fragile canevas, Desmond Hogan tisse un chant salvateur, où chaque seconde, chaque mot est susceptible de libérer des diamants d’émotions, de visions, de souvenirs.
Diarmaid a été à jamais marqué par le suicide d’un ami, il confectionne d’étranges icônes avec des bouts de rien, pleure souvent, à la fois proche de sa mère et coupé de toute possibilité d’amour – attiré par Londres, ce mauvais garçon qui sifflote mains dans les poches, peu sûr de lui mais certain de son altérité, part un jour, tel un Rimbaud fugueur, sans œuvre ni espoir, laissant sa mère – Susan – seule face à un destin de madone, entre la confection de robes et la désolation d’un pub. Mais Susan a besoin de la force vitale de son fil, même absent, pour retrouver l’élan de sa jeunesse perdue. S’il faut errer, elle errera. S’il faut s’approcher des fêlures, elle s’en approchera. Elle est animée et troublée par le goût sauvage de renaître, magnétisée par ce fils qui ne saurait être opaque à son cœur.
L’écriture de Desmond Hogan est une pure merveille de pudeur et d'audace, de distance et d’empathie, et l'auteur s’empare du personnage de Susan avec une précision toute flaubertienne, qui fait que son récit rappelle bien souvent les Trois contes, progressant par touches légères, tout en approches  musicales. Les choses tues et cachées, les émotions en lisière, les tremblements du cœur, la chair en réveil, tout affleure et rougoie dans ces pages où l’essentiel infuse le quotidien, dans des phrases déposées comme des offrandes :
« Une présence dans la nuit. Pourtant les nuits de Galway Est étaient désolées. Pleines de vaches vêlant, de fermiers flatulant, de vieilles femmes occupées à mourir ici ou là d’un cancer ou d’une solitude contractée jadis à la foire. Oui, c’était une contrée toute de trahisons. Les morts semblaient s’attarder. Quelque chose d’inavoué dans leur vie. En été seulement, quand la pavots vagabondaient le long des murets et qu’une mélodie de Chopin s’échappait de la maison du docteur où une femme, son épouse, se pliait roidement aux lois de l’été. »
L’amour de Susan pour son fils est une boîte de Pandore, et à peine la mère l’entrouvre-t-elle qu’un monde entier s’en échappe, en mille souffles entêtants, non seulement le monde intérieur de ses contradiction et de ses se renoncements, mais aussi celui, plus subversif, plus ravageur, de ses désirs, ses attentes, ses peurs. Les icônes s’animent, et le temps, lentement, explose – la quête de l’amour indicible brûle plus sûrement qu’une foi. L’écriture de Hogan, par sa subtile liturgie, confie au lecteur les secrets d’une sidération qu’on croyait perdue – une écriture que Demarty épouse et cadence à la perfection.
Désormais, chaque année, on guettera le retour de la comète Hogan, l’homme qui a disparu pour mieux nous ravir à nous-mêmes.
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Desmond Hogan, Le garçon aux icônes, traduit de l’anglais (Irlande) et présenté par Pierre Demarty, éd. Grasset, 19€ – parution le 1er avril

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