mercredi 28 janvier 2015

Fondane pour mémoire

Juif. Roumain. Poète. Philosophe. Dramaturge. Essayiste. Traducteur. Naturalisé français. Que sont nos identités? A ces questions, l'Etat français n'eut qu'une réponse lorsque Benjamin Fondane résista au nazisme: elle l'arrêta. Déporté à Drancy, puis à Auschwitz, il fut gazé début octobre 1944. Juif. Roumain. Poète. Le devoir de mémoire ne sert-il pas à grand-chose, comme l'a prétendu récemment Michel Houellebecq dans un entretien où il se voit déjà académicien, comme quoi chaque homme a les rêves qu'il mérite.

Et sans doute la mémoire n'est pas un devoir, mais un muscle, qu'il convient d'exercer et d'entraîner sans cesse, et c'est souvent ça, lire: se souvenir, lire pour se souvenir, lire pour qu'entre les lignes d'autres textes se souviennent, de nous, du lecteur que nous avons été et de celui que nous serons.

Les textes eux aussi se souviennent, certains du passé, d'autres de l'avenir, et nous nous déplaçons dans leur ombre portée, à la fois inquiet et confiant. Donc Benjamin Fondane. Juif. Roumain. Poète. Qui n'a n'a pas oublié les pogroms d'Ukraine, les cohortes d'émigrants —
Émigrants, diamants de la terre, sel sauvage,
je suis de votre race,
j'emporte comme vous ma vie dans ma valise,
je mange comme vous le pain de mon angoisse,
je ne demande plus quel est le sens du monde,
je pose mon poing dur sur la table du monde,
je suis de ceux qui n'ont rien, qui veulent tout
– je ne saurai jamais me résigner.
Ce non-savoir né du perpétuel déplacement de soi par les autres – ne pas savoir se résigner – est l'autre versant de la mémoire. "Pas assez de réel pour ma soif" s'écrie Fondane dans un poème. Il faudra donc non pas créer du réel, de la fiction, mais chanter la soif, laisser chanter la soif jusqu'à ce que les gorges saignent. On peut bien sûr rajouter du sens au monde, écrire des romans à thèses, déguiser ses phobies en récits, jouer les prophètes médiatiques, briguer des fauteuils en bois, couiner avec les putois, prendre la langue pour un gant de toilette usé et s'en frotter la bouche en guise de fondement. On peut aussi relire Fondane:
J'entre dans le mouvement qui me fuit, et j'ai peur,
mes mains, mes mains et ce qu'elles tiennent du monde.
Dans le passé sanglote une bouche ouverte,
ce n'est qu'une chanson pour le pays des ombres

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Benjamain Fondane, Le mal des fantômes, liminaire d'Henri Meschonnic, Verdie Poche, 9€50

3 commentaires:

  1. J'avoue avoir ignoré l'existence de Benjamin Fontane.Merci pour ce passé composé.

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  2. Maxime LILENFELD28 janvier 2015 à 14:07

    Pourtant, avec "les esprits nomades", c'est bien à nous "Hommes des antipodes" qu'il parlait dans l'Exode. Il faut vérifier si Onfray qui se voit philosophe et Houellebecq qui se voit déjà académicien ont "vu" ce poème leur tomber entre les oreilles. Nous ne méritons pas tous les penseurs qui "s'infligent" à nous!

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  3. Je like parceque tu es vivant.

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