mardi 9 décembre 2014

Bergé, luminaire

Eric Chevillard écrit une chronique dans le journal Le Monde. On l'a sollicité, entre autres, pour son art du laminage, sa verve, son humour. Il ne prend donc pas de gants. Concernant Modiano, il a donc dit ce qu'il avait à dire. Ça ne plaît pas à Pierre Bergé, actionnaire du Monde. Le 10 octobre dernier, sur son compte Twitter, il publie ceci:
"Pauvre Chevillard que personne ne lit et qui se venge en démolissant Patrick Modiano prix Nobel de littérature 2014."
Et récemment il récidive, en faisant un parallèle entre Chevillard et Denis Cosnard, un journaliste économique du Monde ayant par ailleurs commis un ouvrage sur Modiano:
"#leMonde. Chevillard ou Cosnard? Ou le connard n'est pas celui qu'on pourrait croire."
Passons sur l'insulte d'une finesse inouïe; passons sur cet usage audacieux de Twitter. Chevillard a menacé depuis de "s'immoler par le feu dans le hall de l'immeuble". En revanche, revenons sur ce "que personne ne lit". C'est marrant, on l'a déjà entendu récemment dans la bouche de Jérôme Garcin à propos de Volodine. A croire que certains pètent un câble dès qu'on touche à leurs idoles ou dès qu'on gagne en reconnaissance, et en reviennent alors à ce bon vieil argument économique soi-disant imparable: Bon, ce type ne vend pas beaucoup, donc c'est comme si "personne" ne le lisait, donc c'est un auteur forcément aigri, donc il se venge. Et en plus on est décomplexé: on le dit. Comme si on disait: c'est un pauvre de toute façon. 

Autrement dit, le message est le suivant. Si vous n'avez pas beaucoup de lecteurs, vous n'avez pas le droit de critiquer. Corollaire 1: le droit de critiquer se mérite, et ce mérite c'est les ventes. Corollaire 2: Entrez dans la catégorie des poids-lourds et on verra après. Corollaire 3: de toute façon, quand vous vendrez vraiment, on sait bien que vous ne critiquerez plus.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce ton condescendant et menaçant – "pauvre Chevillard que personne ne lit" – me fait penser à ces éminences grises qui virevoltaient autour des rois de France et qui, quand elles parlaient de poètes un peu gênants, disaient des choses de ce genre: Pauvre Clément Marot… Pauvre François Villon… Pauvre? Un terme qui, dans la bouche de Bergé, prend un relief saisissant. Mais il est vrai qu'on ne peut pas dire: "Riche Pierre Bergé, que tout le monde lit". Le M/monde est décidément mal fait…

 

11 commentaires:

  1. Y'en a qui dise que quand on vieillit on redevient l'enfant qu'on a été. A l'insulte on pourrait croire Pierre Bergé revenu au collège. Mais avec le jeu de mot sur le nom, j'ai plus l'impression qu'il est rendu au niveau CE2. Allez, encore un petit effort et son babillage sera mignon.

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  2. oui avec ce Bergé on atteint des sommets...
    j'admire aussi (au sens classique) cet intéressant raisonnement, qui en dit long sur le personnage.

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  3. Si Chevillard disparaît du Monde Des Livres, je m'immolerai par la pensée !

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  4. Ce matin, j'ai lu sur le site lexpress.fr un article qui, via une citation mutilée, augurait d'une imminente crémation expiatoire d'Eric Chevillard ("je m’immole par le feu dans le hall du journal").
    J'ai cru bon de réagir en envoyant sur ce même site le texticule suivant :



    Pourquoi donc, dans votre article, avez-vous tronqué la réponse de Chevillard à Bergé ? En fait, elle se termine ainsi :


    " [...] J’ai donc le choix : ou bien je lui envoie ma démission – mais pourquoi pas des fleurs avec ? Ou bien je m’immole par le feu dans le hall du journal.

    Ou j’attends plutôt qu’il me vire ; et au moins les choses seront claires. "


    Etant, pour ma part,
    1. hostile à tout abandon de poste en présence de l'ennemi,
    2. favorable à la survie des espèces menacées,
    3. en quête de la plus grande clarté,
    j'ose espérer qu'Eric Chevillard choisira la troisième possibilité ( "... j’attends plutôt qu’il me vire ; et au moins les choses seront claires. ") et je déplore d'autant plus vivement qu'elle ait été exclue de votre "citation".



    Claude Pascal

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  5. Comme, d'un coup, on se sent un peu moins seuls (vous savez, ces si rares lecteurs de ce "connard") à lire vos propos ; si bienvenus ces éclairs de justesse et de rage contenue mais ô combien salutaires... merci, merci de vos mots ! ! !

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  6. Je suis avide des derniers conseils de lectures de Levy, Musso et Pancol.
    Ils sont comblés par les honneurs et donc pas pauvres et pas aigris.

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  7. Un berger est un gardien de troupeau de moutons, ne l'oublions pas. (Je n'ai rien contre cette profession, bien sûr, dans le réel. Disons que la transposition anthropomorphique, en ce cas, remet les choses à leur place). Hardi, Chevillard: tranche-le au fil de l'outil et vends-le "à la découpe", "à la cheville" car il ne t'arrive pas plus haut - pardon pour le tutoiement.

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  8. Je suis extrêmement surpris des propos de Mr Bergé ! Pourquoi s'acharner sur Eric Chevillard ? Il n'est même pas myopathe!

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  9. je n'écoute plus (depuis belle lurette) "le masque et la plume" cette émission de clowns incultes, (les"grosses têtes" du service populiste). Bientôt, si Monsieur Chevillard le quitte, je ne lirai plus "le monde des livres" ! Mais ce n'est pas grave, j'aurai ainsi le temps de relire ses livres... et d'autres, que personne ne lit !...

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  10. Pas mal, le Bergé. Le maître du Monde se prend vraiment pour le Maître du monde, et les gens du quotidien jadis de référence pour ses valets. Comme disait mon père : les gueux* enrichis ne valent rien.

    Mais il n'est pas encore le maître de l'orthographe dans son touite offensé : une majuscule à un nom commun en cours de phrase, accent oublié sur « littérature » et mal orienté sur « assurément ».

    * Notre milliassaire n'est pas né dans la crotte mais guère loin : mère instit, père gratte-papier.

    PS On peut être d’extraction modeste et monter plus haut, à condition de ne jamais oublier d'où on sort.

    « La Société des rédacteurs du journal s’inquiète »

    Jadis, cette Société ne se serait pas inquiétée, elle se serait révoltée.

    Quant à Hubert Beuve-Méry, il n'aurait même pas laissé cet affairiste parvenu s'approcher de la Rue des Italiens.

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