lundi 24 novembre 2014

Volodine et les roquets

On ne va pas épiloguer sur l'émission radiophonique Le Masque et la Plume, qui a depuis longtemps confondu pseudo-irrévérence et vulgarité assumée, fausses postures et vrais ressentiment, mais force est de constater qu'à chaque fois, à part quelques audaces vite châtrées, il s'agit, globalement, de se "moquer" de la littérature. De ricaner du fond de son ignorance. D'ériger le péremptoire en lampadaire et de s'y soulager à sa faible lumière.

En les écoutant parler l'autre jour de Terminus radieux, le roman de Volodine ayant décroché le Médicis, on a donc pu, une énième fois, assister à ce si français carnaval de la bêtise qui fait se gondoler les panses et enfler les "cerveaux".

Qu'ont-ils dit, ces critiques éclairés dont la verve semble se tendre à elle-même un miroir orné de lampions. Que le roman de Volodine était d'une "lecture ardue" (Garcin) – mais que "ce n'était pas grave" (ceux qui le défendaient). Passons sur la sortie d'Arnaud Viviant, d'une virulence grotesque et complaisante, où l'éructation confina au haut-le-cœur, où le tapage de cuisses parut l'inverse démesuré de l'applaudissement. Même ceux qui cherchaient à défendre Volodine se sentaient impuissants face au mépris goguenard de Garcin et consorts. Que retenir alors de cette levée de boucliers contre Volodine? Dans le fond, rien. Sur Volodine, ils n'avaient rien à dire: juste des sensations, des boutades, des insultes. C'était censé être drôle, je suppose. Mais en fait, ce qui se jouait là une fois de plus, ce n'était rien d'autre que la haine de la littérature dès lors qu'elle s'incarne dans un projet souterrain et perdure à l'écart du cirque promotionnel ; une haine de tout ce qui se fait dans l'ombre et accède soudain à la (relative) lumière. Comme l'a souligné d'emblée Garcin, "avant ce prix personne d'ailleurs quasiment ne l'avait lu". On sent bien ce que signifie ce "quasiment", quel clivage il célèbre. Mais voilà qu'un prix lui est décerné, et là c'est la curée.

Pourtant, le véritable tour de force de ceux qui ce jour-là ont insulté Volodine et son œuvre (et ses lecteurs, tant qu'à faire) fut le suivant: établir clairement et sans complexe la supériorité de la raillerie poisseuse et hoquetante sur une œuvre jugée "ardue". Répondre à la complexité par la simplification. Passer du "ce n'est pas ma tasse de thé" à "ça sent la bile". Au vu de l'incroyable et obscène véhémence mise en branle, on est contraint de s'interroger: comment se fait-il que la littérature la plus discrète qui soit paraisse à ce point dérangeante à ces "esprits chagrins"? Serait-ce justement sa discrétion, son travail de sape, qui l'ait rendue aussi odieuse aux yeux de ces grosses têtes qui n'ont rien à envier Philippe Bouvard et sa clique?

En fait, il aura suffi d'un prix littéraire pour qu'un écrivain, qui par ailleurs s'est toujours "méfié" du milieu littéraire, soit livré en pâture à quelques histrions. Comme si ces fiers masqués et cocasses emplumés n'avaient pas supporté que, soudain, l'inestimable ait un prix. Le lecteur, même s'il fait partie du "quasiment personne", en tirera les conclusions qui s'imposent.






28 commentaires:

  1. J'ai partagé votre malaise (et colère ?) à l'écoute de l'émission, mais je trouve que vous minorez un peu trop la voix de ceux qui ont défendu le livre, même s'ils avaient bien du mal à s'exprimer comme vous le soulignez. Le masque et la plume a bien des défauts, mais peu d'émissions proposent le même contenu, et elle ne mérite pas d'être discréditée par ces quelques "histrions" sans classe. Gardons en tout cas à l'esprit qu'il n'y a pas de mauvaise publicité, et en ce qui me concerne l'émission m'a donné envie de découvrir ce livre, plus qu'aucun autre présenté.

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  2. J'ai pas lu Volodine, mais tu fais du bien là...

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    1. ha ben depuis, j'ai lu Volodine (Terminus radieux et quelques autres) et j'ai même pas fait le lien entre cette chronique, lue en 2014 (que google et ses algoritme rappellent opportunément à mon souvenir) et ma lecture de 2016 et du coup, je suis très étonnée de ces critiques, tellement il me semble que Terminus radieux, c'est justement la littérature à l'état pur, l'écriture qui entraine de par son seul déploiement le désir de lire encore et la jubilation pour ne pas dire la jouissance à le faire et ce sans l'artifice de la narration qui peut produire facilement ce genre d'effet et en ceci, elle se compare au désir lui-même et en ceci elle est infiniment vivante, personnellement, je n'avais jamais connu ça, enfin, si bien sur mais dans cet univers si éloigné de moi j'en étais plus impressionnée encore, de la pure littérature

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    2. la gratuité de l'écriture, loin des ambitions de l'écrivain, n'y est sans doute pas pour rien (et Deleuze: on n'écrit pas pour être écrivain, etc. etc.)

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  3. Tu m'ôtes les mots de la bouche. Je me disais justement qu'il faudrait quand même écrire un truc là-dessus.

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  4. Une seule question en fait : mais pourquoi diable écouter Le Masque et la Plume ?...
    Le silence et un livre (ou un stylo ?) ne seraient-ils pas préférables ?

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  5. Quentin Leclerc à propos de cette émission : "Encore cet idiot d'Ezine, qui, en réponse à la question de Garcin lui demandant s'il a lu le dernier Volodine, confesse, avec un air de satisfaction intense et une prétention toute outrageante : « Personnellement, non ». Quelle époque de cons, tout de même."
    - http://ql.relire.net/?p=819

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  6. J'ai écouté. Bon. Ça donne envie de gerber, je crois qu'on peut le dire comme ça.

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  7. Je fais partie des quasiment personne qui ont lu le dernier Volodine avant qu'il ait reçu le Médicis, après avoir lu une critique dans l'Obs (pourtant pas un fanzine underground...). J'ai été soufflé, immergé pendant une semaine dans ce texte puissant.

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  8. Je me situe quelque part dans le quasiment personne qui lit Volodine (et Bassmann... et Draeger...) et qui se tamponne pas mal de ce qu'en pense Arnaud Viviant...

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  9. Il y a belle lurette que je ne n'arrive plus à écouté jusqu'à la fin cette émission du service populiste sans m'indigner et m'emporter devant l'ignorance crasse de ses "critiques" (une nouvelle fois hier !) et que je me suis tourné vers les émissions littéraires de France culture. On peut là aussi ne pas toujours être d'accord, mais c'est quand même d'un tout autre niveau !

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  10. Merci. Arnaud Viviant, petit personnage boursouflé de vacuité, Garcin en juge des élégances, à vomir. Et même si je n'ai pas lu Volodine, j'avais honte d'entendre ça, honte que cela parvienne à ses oreilles.

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  11. Le comble étant que Volodine ait reçu en 2000, pour Des anges mineurs, le Prix du livre Inter. Décerné par un jury constitué de leurs propres auditeurs...

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  12. J'avais envoyé un message qui n'a pas été lu. En gros : "Que pensez-vous du prix Médicis offert à Volodine, l'un de nos meilleurs écrivains actuels, que vous raillâtes de façon éhontée". Le cynisme de Jean-Louis Ezine était d'une bêtise confondante. Au moins 2 personnes ont pris le parti de Volodine, dont, étonamment, la cruche nunuche de France Inter. Au total, je n'arrive pas à comprendre cet aveuglement. Erik Wahl

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  13. Lire Volodine.
    Les écrivains (non débutants) ont-ils le cuir si sensible ? Écoutent-ils France Inter ? Faut-il les tenir au courant de ces "critiques" ?

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  14. Je n'ai pas encore lu Terminus Radieux, je vais le faire. En revanche, je peux dire qu'il y a belle lurette que je ne tiens aucun compte des avis du Masque et de la Plume. Vous me faites plaisir!

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  15. La lecture de M. Volodine masque les emplumés et dévoile les nécessaires contingences de la littérature ; un partage de ma lecture...
    http://vivrelivreoumourir.over-blog.com/2014/10/antoine-volodine-terminus-radieux.html

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  16. Certes, mais Ezine n'était pas là... Il y avait Patricia Martin (France Inter), Olivia de Lamberterie (Elle), Jean-Claude Raspiengeas (La Croix), et Arnaud Viviant (Transfuge).

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  17. M'enfin, c'est à ça que servent les critiques : nous indigner, nous émouvoir, nous faire réagir.

    Il m'arrive d'être outré lorsque Le Masque et la Plume démolit un livre ou un film que j'ai aimé - mais je refuse de m'abaisser à la violence de cet article et de la plupart de ses commentaires (traiter Patricia Martin de "cruche nunuche", franchement !). J'aime Le Masque et la Plume justement parce que ses critiques assument leur subjectivité, et nous bousculent. Je suis parfois irrité (notamment par Jean-Louis Ezine, souvent condescendant, prétentieux et à-côté-de-la-plaque), voir scandalisé par tel ou telle critique. Je découvre parfois des bijoux : car vous oubliez de dire que cette émission fait AUSSI découvrir des auteurs peu connus, donne AUSSI envie de lire. Bref, j'écoute cette émission justement parce qu'elle est subjective et charpentée, parce que ses participants sont parfois ouvertement de mauvaise foi, parce qu'ils sont vivants. Leurs coups de cœur sont d'autant plus convaincants qu'ils ne se privent pas de descendre une œuvre qu'ils n'aiment pas.

    Cette curée (article + commentaires) me laisse perplexe.

    Évidemment, Le Masque et la Plume énerve et déçoit parfois, mais c'est justement parce qu'il est une vraie émission de critique. Bon, oui, c'est vrai, il ronronne de plus en plus, certaines critiques sont plus du théâtre (égotique) que de l'analyse, etc., et il est parfaitement légitime de le critiquer à son tour et de lui préférer d'autres émissions plus argumentées et policées. C'est vrai, quand Jérôme Garcin se pique de se mêler à la critique en faisant l'éloge (exagérée) d'une œuvre qu'il a aimée ou en se moquant (outrancièrement) d'une œuvre qu'il n'a pas aimée, il est pénible. OK. Mais de là à arriver à une telle outrance, une telle excommunication et une telle condescendance, c'est disproportionné et pas sérieux.

    Réhabilitez Volodine si vous avez aimé son livre. Mais ce que vous faites ici est du même ordre que ce que vous critiquez : vous descendez en flamme une émission, en amalgamant tout le monde... et vous "oubliez" l'essentiel, qui est de parler de l’œuvre.

    J'aurais attendu ici un éloge de "Terminus Radieux" qui aurait contrebalancé l'émission. Au lieu de ça, je dois inférer de votre colère que Volodine est un génie (mais je dois vous croire sur parole), sans aucune "matière" consistante pour m'en convaincre. Dommage.

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  18. Pourquoi ne casserait-on pas, même vulgairement, même à l’aide d’arguments boiteux, un écrivain qu’on n’aime pas ? Souvent, plus c’est injuste, plus ça fait rire, et que la tête de turc soit Volodine ou un autre, qu’importe. On n’a pas tant d’occasions que ça de s’amuser et les blagues les plus lourdes sont souvent les plus drôles, les critiques les plus foncièrement malveillantes et injustes, les plus délectables. Sur son blog, Claro traite d’ « histrions » les critiques du « Masque et la plume » qui ont démoli le dernier roman de Volodine, les accusant d’une « haine de tout ce qui se fait dans l’ombre ». Accusation drolatique, quand on sait que le Volodine occupe une place relativement enviable dans le petit cirque littéraire et que son dernier opus vient de décrocher le Médicis. En réalité, Volodine n’est pas moins un « histrion » que ceux qui tournent ses produits en dérision. Qu’est-ce d’autre, en effet, qu’un histrion, que quelqu’un qui déballe en public ses élucubrations pour en faire commerce ? Beckett ou Sartre ou n’importe lequel des plus encensés écrivains du siècle passé, sans compter Hugo, Maupassant ou Flaubert, n’étaient pas moins des histrions que Volodine. Penser le contraire, c’est prendre la littérature au sérieux, alors qu’elle n’est jamais, pour le lecteur, qu’un divertissement passager. Il est vrai que, comme Pascal l’a justement fait remarquer, le divertissement, c’est tout dans la vie, avec la bête à deux dos.

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  19. bien d'accord avec vous, le petit Arnaud Viviant qui monte sur ses ergots pour se faire mousser est quasiment insupportable, il y a des gifles qui se perdent

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  20. Et pour Jacques C qui après tout a raison de réclamer pour croire, il y a sur ce blog un bel article sur Ecrivains, le précédent Volodine, qui est aussi l'un des plus beaux à mes yeux, c'est ici : http://towardgrace.blogspot.fr/2010/09/volodine-un-singulier-pluriel.html (Quant à Terminus radieux j'en ai commis un moi-même : http://hublots2.blogspot.fr/2014/09/terminus-radieux-de-volodine.html

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  21. Moi qui lis Volodine – c'est pas pour me vanter – je m'étonne que vous dépensiez tant d'énergie pour ou contre les emplumés (et les masqués). Leur œuvre ne mérite peut-être pas tant de passion? (ou alors je n'ai rien compris à la littérature?)

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    1. Chère Virginie, ne vous étonnez pas car ce n'est ni de la dépense ni de l'énergie, juste des petites réactions critiques qui m'amusent ou m'agacent et n'occupent guère de temps dans ma journée, que je consacre, rassurez-vous, à de de tout autres choses. Cordialement, Claro

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  22. Traiter Patricia Martin de « cruche nunuche » me semble plutôt modéré.
    J’ai le souvenir d’avoir entendu ladite Martin parler un matin sur France Inter du livre de Teulé sur François Villon et terminer sa chronique en citant ce qu’elle prenait pour du Villon : « Le temps a laissé son manteau/ De vent, de froidure et de pluie »...

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  23. Volodine a déjà eu un prix il y a quelques années je sais plus pour lequel de ses romans "Des anges mineurs" peut-être...... Et alors ?

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  24. C'est scandaleux mais rassurant. Volodine accueilli en grande pompe par cette clique m'aurait offusqué, car il s'agit du plus grand écrivain français vivant. Je le lis depuis 2005 et l'ai toujours dit à mon entourage.

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