lundi 30 juin 2014

Et que rien ne m'apaise: Cortázar en poésie

La poésie de Julio Cortázar n'est pas assez connue, aussi veillera-t-on à ne pas passer à côté du volume intitulé Crépuscule d'automne, paru chez Corti en 2010 et superbement traduit par Silvia Baron Supervielle. La poésie, pour Cortazar, était inévitable, surtout après la parution de Marelle. Dans une lettre à son ami Fredi Guthman, que la traductrice cite dans sa belle préface, Cortázar écrit ceci:
"Maintenant les philologues, les rhétoriciens, les versés en classifications et en expertises se déchaîneront, mais nous sommes de l'autre côté, dans ce territoire libre et sauvage et délicat où la poésie est possible et arrive jusqu'à nous comme une flèche d'abeilles…"
Bzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz.                                                                Stttttttttttttttiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing!
Une poésie qui se cherche, qui cherche le lecteur, vibrionne et harcèle, fait mine de se poser puis décoche son venin, tantôt convolutée à l'image des fictions du romancier argentin, tantôt élégiaque, imprégnée d'Apollinaire, où l'amour est moins un sentiment qu'une déflagration consentie, où les images se mordent, avec un rien de solennité pour cacher les blessures. 
Un écrivain qui mine, sape et subvertit la fiction — tel que Cortázar –, un écrivain travaillant autant les formes longues que brèves, comment un tel écrivain pourrait-il renoncer la poésie? Très souvent, il en vient, qu'il en ait publié ou non; c'est par elle qu'il a accédé à la phrase, l'image, la ponctuation, le rythme; d'elle il a appris beaucoup de choses, dont le secret de la prose et la méfiance du récit. Ses plus fortes lectures, ce sont les poètes. Qui écrit de la prose, de la fiction, ne peut oublier Rimbaud, Apollinaire, Rilke, Villon, Vallejo, etc. Ecrire sans eux serait comme de boiter en croyant qu'on sait marcher (et surtout en oubliant que courir est possible). L'usage des vitesses, qu'enseigne la poésie, le sens des fractures, qu'elle exalte : sans l'un et sans l'autre, le "prosateur" n'est qu'un scribe sourd.
La poésie est détour, donc fulgurante partout où elle nous égare. Il faut être poète de la langue pour devenir artificier des formes, et Cortázar le prouve à chaque page:
"Si je dois vivre sans toi que ce soit dur et sanglant,
la soupe froide, les chaussures percées ou que, en pleine opulence
se lève la branche sèche de la toux aboyant sur moi
ton nom déformé, des vocables d'écume, et que les draps
se collent à mes doigts et que rien ne m'apaise."
_______
Julio Cortázar, Crépuscule d'automne, traduit de l'espagnol (Argentine), par Silvia Baron Supervielle, éditions Corti, coll. Ibériques, 24 €

[note:
j'ai acheté ces poèmes
à la librairie Charybde
qui ne vend en principe
que de la fiction –
comme quoi…]


4 commentaires:

  1. Lire également Poèmes d'amour de Borges traduis et présentés par Silvian Baron Supervielle. Où l'on arpentera l'oeuvre poétique de Borges tel un détour fulgurant, un moment d'intense lucidité de la langue. Un contrepoids magestueux à la fiction de l'auteur, un lieu de fulgurance et de mise à l'épreuve du sentiment, du construit.

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  2. Dommage que ça ne soit pas en version bilingue…

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  3. Merci Claroje. Livre incroyable. Une lecture magnifique. Je vous dois une très belle découverte. Comment ce texte est - il arrivé entre vos mains?

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  4. Découvrir, par vos beaux et poètiques soins, l'écriture de Cortazar et des poèmes poursuivre la traversée., entrer en roman : Marelle et sentir surgir dans ma vie littéraire une oeuvre qui sera de chevet. Merci à vous Claro, très cher, pour le chemin que vous tracez. . .

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