vendredi 8 novembre 2013

Pas d'ascenseur = pas de Chevillard

Le lecteur de ce blog a pu s'en rendre compte: je fais souvent ici l'éloge des livres d'Eric Chevillard. Il y a à cela une excellente raison: Eric Chevillard tient une chronique littéraire hebdomadaire dans le journal Le Monde.
Ainsi, pensais-je naïvement, peut-être qu'à force de dire le plus grand bien de ses livres, je finirai bien par m'attirer sa bienveillance et, partant, un article élogieux sur mes propres œuvrettes, signé de son influente main. Las! Il y a pire que la gratitude, il y a l'éthique! Comme me l'a expliqué Chevillard lui-même – à qui j'écris souvent de longs mails flatteurs et larmoyants –, mon soutien constant et enthousiaste à son travail se révèle en fait… contre-productif! Car plus j'encense ses textes et plus il lui devient difficile, pour ne pas dire impossible, d'en faire de même pour moi dans les colonnes du Monde, sous peine d'être taxé de "renvoyer l'ascenseur". J'ai donc perdu beaucoup de temps à le lire et à écrire sur lui. J'en suis mortifié. Tout ça pour… ça? Et moi qui croyais que ça marchait comme ça, dans l'édition… Le dépit est de taille.

Du coup je ne parlerai pas du dernier livre de Chevillard, Péloponnèse, paru récemment chez Fata Morgana, un livre pourtant réjouissant qui se veut un florilège de coups de gueule, d'acrimoniques diatribes contre divers éléments de notre quotidien – les pierres, le ciel, la contemporanéité, la porte, etc. –, l'auteur se livrant, tel un Ponge irascible et mutin, à un démantibulement systématique de ces évidences qu'on sait pourtant superfétatoires. Ainsi la porte, qui finit par occasionner l'érection de murs, et donc nécessite la présence d'un maçon, or qui dit maçon dit poste de radio, d'où nuisance sonore…
On le voit – ou plutôt, non, on ne le verra pas, puisque je m'interdirai d'en parler – la méthode Chevillard consiste à traquer la logique de l'inanimé (en cela il est poète) afin de faire fuir (et déborder) la langue à tout propos. Mais ce qu'il faudrait rappeler, si l'on n'avait pas décidé de taire la chose, c'est combien, derrière l'apparente légèreté de ces textes (dont on ne dira rien) qui font la part belle à l'incongru, tremble toujours, évanescent mais têtu, le spectre de la finitude:
"Ce vieillard accroche encore comme des linges élimés ses chairs grises et jaunes aux tringles mal jointes de son squelette tordu, brinquebalant, désormais inapte à la locomotion, à la préhension et qui rassemble ses dernières forces pour se roidir dignement dans son suaire." (Le temps)
En vérité, Chevillard, dans ce roboratif Péloponnèse (que je m'abstiendrai bien d'encenser), se fait peintre des plus rugueuses vanités, et le lecteur qui mâchera sa prose sentira plus d'une fois craquer sous sa fragile dentition le mortifère et oblong os de seiche dont on sait qu'il sourit, une fois reflété & redressé dans notre mémoire, du sourire du crâne futur – mais tout ça, bien sûr, je ne le dirai ni ne l'écrirai, car Chevillard m'a bien fait comprendre que c'est peine perdu: l'ascenseur ne remontera pas.
Qu'à cela ne tienne ! La prochaine fois qu'il sort un livre, je te l'agrippe, toc. Je te le ragrippe, toc. Je le pends au portemanteau. Je le décroche. Je le repends. Je le décroche. Je le mets sur la table, je le tasse et l'étouffe. Je le salis, je l'inonde. Il revit. Je le rince, je l'étire, etc. – et ciao Michaux!

7 commentaires:

  1. "Péloponnèse", ça fait trois semaines que je l'ai commandé, trois semaines qu'il n'est pas arrivé dans ma librairie (petite, certes, provinciale, aussi). J'y ai pourtant trouvé Jourde, et Minard, et M.L. Stedman, etc... Mais de Chevillard, point! Il faut vraiment être patient, dans nos régions reculées, pour gagner son Chevillard...
    Et la grenouille? Elle me fait songer à "Music-Hall".

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  2. Quel égoïste, ce Chevillard ! Tout ça parce qu'il est trop occupé à encenser Jardin !

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  3. En 4e, Fata Morgana pourra écrire : "Même Claro n'en parle pas !"

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  4. Je te vois bien écrire de longs mails flatteurs et larmoyants, oui.

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  5. Sans compter qu'on ne peut même pas poster de comms sur son blog, je sais vraiment pas ce que j'y fais chaque jour.

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  6. J'aime qu'on l'appelle "poète" ! Merci Claro, toujours là pour lui ! Ha ! Ha ! Ha ! Mais, chut !

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