mercredi 15 mai 2013

Une phrase sinon rien

Je ne sais pas si la patrie est vraiment reconnaissante quand il s'agit des grands hommes, mais le fait est qu'il se produit parfois entre eux de stimulants échanges. C'est donc avec un intérêt tout particulier que j'ai lu l'allocution prononcée par Bernard Henry-Lévy, le 11 avril 2013, à l’occasion de la remise à Jean d’Ormesson du Prix Scopus. BHL faisant l'éloge de messire Jean: bigre, me suis-je dit, ça doit être édifiant. Et le fait est que le texte du "filozofe" (je pense qu'il est temps d'orthographier ainsi le mot quand on parle de BHlL afin d'éviter les confusions), le fait est que l'éloge taillé par l'immortel réalisateur du Jour et la Nuit est tout en pudeur et finesse. Il faut dire qu'il s'adresse à "l’écrivain dont le nom, dans le monde entier, signifie le talent français". Ce n'est pas rien. Bref, je lisais son texte avec une espèce de crainte mêlée de tremblements quand soudain je tombe sur ce paragraphe incroyable, dont la construction syntaxique laisse à penser que BHL a décidé de bouleverser radicalement notre conception étriquée de la dictée:
"Et puis parce que je crois être, en disant tout cela, en évoquant cette familiarité entre les deux formes de rapport au Nom qu’incarnent, d’une part, les descendants de ceux dont ton ancêtre, le premier d’Ormesson dont l’Histoire moderne ait archivé la trace, Anne-François d’Ormesson de Noiseau, est en quelque sorte le prototype (ancien président à mortier au Parlement de Paris, député de la noblesse aux Etats-Généraux, allant au supplice, en avril 1794, en compagnie de Malesherbes, de sa famille et, donc, comme je l’ai dit, du frère de Chateaubriand auquel tu te trouves, par ce biais, apparenté) et, d’autre part, les descendants des survivants la pire, de la plus longue, de la plus acharnée persécution dont l’Histoire des hommes porte témoignage (et il va de soi que, pour moi, la singularité de cette persécution, sa radicalité, sa folie, sont sans équivalent) — je crois, dis-je, être au plus près de ce sentiment de sympathie qu’ont pour toi tous ceux qui sont dans cette salle."
(Je vous laisse six minutes supplémentaires pour la relire. Vous me remercierez plus tard.)

Bon, après avoir vainement tenté de percer le miracle langagier de cette phrase je me suis aperçu que la meilleure façon de l'appréhender c'était de la colorier, si possible sans déborder. J'ai opté pour un joli rouge pompier. Le résultat est épatant. Mes neveux et mes nièces en sont dingues

3 commentaires:


  1. Le Rien absolu, sidéral, le Vide ampoulé (oxymore pour lequel l'auteur de l'éloge aux pompes et œuvres du vieil adolescent chevrotant me remerciera sans doute plus tard), tout ça en une seule phrase, eh bien chapeau bas, beaucoup l'ont tenté, BHL l'a fait!
    Et cela répond aussi par anticipation à la question de badiousienne facture (que nous ne nous posons plus depuis longtemps, mais que des naïfs se posent peut-être encore), à savoir "de quoi notre filozofe pas si nouveau que ça est-il le nom?"

    RépondreSupprimer
  2. Mon avis, c'est qu'en malmenant la langue comme ça, il a voulu publiquement faire la nique à toutes les inepties étriquées de la grammaire française dont les académiciens se revendiquent les bons prêtres. Et mon Dieu, si j'en ai un, il a rudement bien réussi son coup! Pas comme Rabelais, selon ce qu'en dit Céline. Un vrai anarchiste de la prose orale BHL.

    RépondreSupprimer
  3. Le Clavier fournit-il le Doliprane ?

    RépondreSupprimer