vendredi 12 avril 2013

Labro-Houellebecq: le choc des petits taons

La CLAPV - la Critique Littéraire Assistée Par Vidéo - en est encore visiblement à ses balbutiements. Même si l'intention est louable: non  plus écrire sur les livres mais en causer, histoire de ne pas se positionner sur le même terrain que l'insecte observé, prudence oblige. C'est du moins ce qu'on se dit – se dit en se tapant sur les cuisses – en regardant le clipounet mis en ligne sur le site du Point, clipounet que Philippe Labro consacre au nouveau livre de Houellebecq, Configuration du dernier rivage. (Vous remarquerez, à ce propos, que les trois premiers mots dudit titre forment un acrostiche révélateur: CDD – pour le "R", on ne l'a pas encore vraiment dans la tête). Ma foi, on dit bien "parler d'un livre", alors pourquoi s'échiner à  "écrire dessus", c'est là  un sport risqué, et à notre connaissance seul le vicomte de Valmont a su s'acquitter de cette prouesse, même si c'était pour promener sa virile plume à même le charnu pupitre d'une courtisane
Ah, Labro !  Le président d'honneur de la Compagnie des écrivains du Tarn-et-Garonne et l'immortel auteur de ce récent incipit dont Chevillard a eu la bonté de nous régaler dans sa chronique: "Personne n'est capable d'entendre l'ultime soupir d'une fleur qui se fane." (Sauf Interflora, mais bon, laissons là pissenlits et racines.) Or donc, Papy Labro, avec sa chemise rose saumon, laquelle, à l'instar du poisson précité, sait remonter le courant et se comporter (Labro, pas le poisson) devant la caméra comme s'il donnait la réplique à Jacqueline Maillan, ou plutôt comme s'il radiodiffusait sa pensée, rompu qu'il est à confondre micro et chromo.
Il dessine aussi, dans les airs, des signes dandy-cabalistiques que même un golem siglé H&M aurait du mal à interpréter. Le voilà alors qui se lance (ô trapéziste se moquant du filet, pourtant à provisions!) dans un éloge (?) improvisé - improvidé, oserait-on presque - et ce avec une faconde qui servirait mieux la promotion d'un shampooing pour chauve.
Labro nous cause donc, citations à l'appui, du nouveau recueil de poèmes de Michel H., que nous ne commenterons hélas pas ici, faute d'humour,  nos zygomatiques étant un peu lasses, mais dont un rapide survol nous a permis de vérifier que Mallarmé était mort intestat. Certes, il fait rimer "corps" avec "aéroport", et cela seul impose le respect. Il y a même dans ces pages quelques alexandrins, mais comment dire? ""Tu te cherches un sex-friend/Vieille cougar fatiguée/You're approaching the end/Vieil oiseau mazouté." Sors de ce corps, Léo Ferré ! Run, Timsit, run ! Pas merci du tout, Satan! Mais revenons à Labro.
Avec dans la voix des trémolos qui évoquent, musicalement parlant, le crissement d'un déambulateur sur l'arête du trottoir au moment de traverser au rouge à l'heure de pointe, surjouant juste ce qu'il faut le coquet cabotin de salon, Labro, l'œil pétillant comme du mousseux de chez Dior, le poignet souple et disert, se lance dans une critique – accrochez-vous bien: – en avant-première – le livre ne sort en effet (et hélas en librairie aussi) que le 17 avril, or, comme nous l'explicite Labro: "J'aime bien être un peu en avance sur les copains". Good news: ce type a encore des amis. Puis il soupèse l'ouvrage, avec une moue dubitativo-respecteuse, le feuillette comme s'il compulsait une souche de chéquier qu'il aurait retrouvée après dix ans d'interdit bancaire, et assène: "C'est assez mince et ce n'est pas du tout un roman." On n'exigeait pas tant de puissance exégétique, mais bon, gagné par un pressentiment, on continue à visionner, hagard, tandis que clignotent, follement, sur notre front, les mots: ATTENTION::: SPOILER!!!
Puis, soudain, surgit, telle une panthère à trois pattes hors du marigot, cette intuition comptable: "C'est plutôt une centaine de poèmes." Ah. Il avait donc raison: ce n'est pas du tout un roman. Incroyable esprit de déduction. Sherlock + Holmes = CQFD. Subjugué, médusé, fasciné, stupéfié, rivé, bref, en manque d'épithète, on attend la suite, le jugement, der Verdikt. Qui vient (puis, confus, s'en va, veau velu que la tondeuse épargne): "Pas mal de talent, pas mal d'humour, beaucoup de désespoir." Talent: vodka. Humour: Sirop d'orgeat. Désespoir: Tabasco. Même un barman ne saurait être aussi précis. On regrette juste de ne pas avoir les proportions de ce curieux cocktail. Cela dit, pour ce qu'on va faire dudit breuvage…
Mais Mister Labro est avant tout un lecteur. Un homme-kili, lancé sur les pistes vierges et enneigées du slalom beau. Oui, Labro lit – et en direct, en plus, grâce à cette diction qui dût être celle de Tonton Lagarde et Mémé Michard si le le magnétophone avait réussi à capter leur divin débit. (Labro écrit aussi, mais bon, comme a dit le poète, "nul n'est capable d'inhaler l'ultime pet d'un légume qui se tale"). Et là, il nous prévient. Il a lu – lu – lu…quoi? ah ! Lu les titres des poèmes de l'amer Michel. C'est déjà un gros effort. Certains de ces titres, nous prévient-il, sont, eh bien, ni plus ni moins: "extraordinaires". Et de nous donner, grand seigneur mais, hélas, piteux pitre, un exemple: "L'amour et les autres." Ouch. Là, on se gratte la tête. A-t-il dit ce qu'il a dit? L'a-t-il vraiment dit? N'aurait-il pas dit un truc plus fou, plus barré, genre "L'âme ourlée zotre"?, et on aurait alors mal compris, bref, un truc qui justifie l'emploie un peu coûteux de cet "extraordinaire". Sentant qu'il risque de nous donner des cours de pédalage dans la choucroute existentielle, Labro, en maestro consommé (sans jeu de mot, quoique…), ajoute, über-patelin: "Mais c'est très bien écrit." Ouf. Enfin de la frappe chirurgicale. Le Matricule des Anges se fait chier pour rien, je vous le dis tout net. La critique, c'est de la balle, alors sors ta raquette à mouches.
Mais non. La critique littéraire est un art. Une technique. Les noces de l'analyse et de la synthèse: disséquer, recoudre. Qui n'a jamais farci de gigot ne me comprendra pas. Elle est aussi mémoire. Labro, pas bégueule ni amnésique pour un sou, tente alors un numéro de haute voltige et se fend (se craquèle) d'un exercice de litt-comp, qu'il ratatine et fusionne en une formule lapidaire (et donc poreuse, hélas): "On sent parfois une influence aragonïenne." Comprenez: ça fait penser à Aragon. Aragon? Que vient-il faire là? Ah oui, sommes-nous bêtes. Ce sont des vers, ça parle d'amour et de désillusion. Il aurait dit "karmique" qu'on aurait compris "carêméique" – d'après Maurice Carême. Il prononce alors le nom d'Aragon, tel quel, au cas où ce très joli adjectif – aragonïenne – nous aurait laissé pantois, ce qu'il, faut dire, fit. Précisons que cette fine analyse est délivrée comme si notre  paléontologique Nisard palpait un os de trente centimètres de long et nous confiait : "Pour moi, c'est clair, ça sent grave son stégosaure." Euh, d'autres épiphanies, papi? Mais bien sûr. Et c'est reparti: On y sent "l'influence du hakaï [sic] japonais". Tu m'étonnes. Ça fleure même carrément Hiroshima et les sushis. En fait, ce qu'il veut dire, c'est que c'est souvent court et que ça se mord la queue dont d'ailleurs ça cause.
Puis Labro, l'éternel parolier de Johnny, l'auteur du fascinant Des cornichons au chocolat (sûrement incantatoire), le réalisateur audacieux de Tout peut arriver (sûrement prémonitoire), nous susurre sans surprise cette curieuse conclusion, qui enterre fissa Barthes, Blanchot et Bataille : "Y a plein de choses." Wow. De la critique dans sa forme la plus condensée, la plus culinaire, aussi. Le tout dit avec la plus grande décontraction, voire une once d'indifférence. Labro, à la fin, est las. Lire l'amuse mais l'ennuie. Il doit avoir d'autres choses à faire. Alors il soupire comme une fleur qui fane et nous laisse à notre exaspérante perplexité. Rideau. Dodo.
Ah, Vidéo-Gag, que de crimes on commet en ton nom !

7 commentaires:

  1. Il faudra bien finir par reconnaître que Labro n a jamais ete aussi bon que sous la dorure du melancolique de salon...

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  2. Vous commencez affectueux pour continuer vous jouant cruellement et finir furieux toujours drôle décoiffant quel réveil hilarant sur ce cadran mal luné qui révèle votre sagacité emplumée, et rien demain? Quel ennui!

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  3. Super critique, en effet, et très drôle!!!

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  4. Alors, comment dire ? J'ai bien ri en te lisant ce matin, et du coup j'ai eu l'idée d'aller regarder ce clipounet dont tu parles, histoire de rire encore et même un peu plus, si c'était possible... et là ! consternation !!! C'est plutôt de l'ordre du tragique quand on le regarde et qu'on l'écoute, pas drôle du tout et frisant même l'obscène (au premier sens du terme, bien évidemment). J'aurais dû rester sur mon hilarité première et te faire confiance pour monter au front à ma place, ce que je ne manquerai pas de faire à l'avenir... Pour me remonter le moral, je m'en vais manger une salade de jeunes pousses d'épinards frais, avec une sauce au fromage de chèvre frais, nuoc-mam préparé (je te filerai ma recette à l'occasion !) et huile de colza vierge première pression à froid... et des oeufs frais pondus du jour à la coque avec des mouillettes de bon pain au beure 1/2 sel de chez Bordier... un régal !

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  5. Très drôle. Mais cruel et dangereux. J'ai voulu aller vérifier sur le site du Point. Encore plus dramatique que dans mon souvenir. Manquaient juste les dessins de Wolinski illustrant les papiers de Jacques Marseille à la grande époque, pour rire hin hin hin des fonctionnaires minables et de leur légendaire feignasserie.

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  6. "über-patelin"... Excellent! N'oubliez pas d'activer la traduction du Pynchon, quand même!

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