mercredi 17 avril 2013

Comment je me suis disputé avec ma vie textuelle

Je ne sais pas trop si les écrivains publics ont encore la cote. En tout cas, ils existent. J'espère qu'ils aident les gens à coucher par écrit tout ce qui a intérêt à le rester (couché, pas écrit). Il y en a un qui parfois m'envoie ses propositions. Je le remercie. Ses services sont louables, et pourraient peut-être m'aider. Mais comment dire? Il a une drôle de façon de me signifier son soutien:
"Qui n’a jamais eu pour ambition de transmettre à ses enfants où petits enfants, le récit de sa vie afin de perpétuer de génération en génération un légitime patrimoine affectif comme cadeau ultime et personnel ? Nous pouvons vous accompagner dans cette expression de vos souvenirs, des évènements qui ont jalonnés votre vie, dans leur traduction écrite et fidèle"
D'abord, je voudrais lui dire que son ne devrait pas prendre d'accent, qu'évènement en fait s'écrit plutôt avec deux accent aigus. Et qu'il ne faut pas accorder le verbe jalonner conjugué au passé composé avec son sujet, événements, et encore moins avec son complément d'objet, qui vient après l'auxiliaire avoir. Mais bon. Je fais tellement de fautes pourries sur ce blog que j'aurais beau jeu d'enquiquiner ce brave homme avec mes remarques de petit paltoquet lettré. J'écris parfois comme un oxymore qui aurait bu trop d'hypallage.
En outre, plus je relis sa profession de foi, plus je me dis qu'il touche juste, quelque part. "Perpétuer de génération en génération un légitime patrimoine affectif comme cadeau ultime et personnel." Mazette. Et si c'était ça, au fond, que je cherche à faire ? Du coup, je m'interroge. Je me prends des points d'interrogation dans la gueule? Je mords la poussière du signifié. Rien à faire.
Car en fait, je cherche très précisément à ne pas "transmettre" à mes enfants le récit de ma vie, refuse de "perpétuer" quoi que ce soit "de génération en génération", et surtout pas un "patrimoine affectif", ce qui me semblerait le pire des cadeaux. Je n'ai aucune envie qu'on m'accompagne dans "l'expression de ses souvenirs", comme si j'étais l'heureux propriétaire de petits monstres dont il convient de dégourdir les jambes torses. Quant aux "événements qui ont jalonné" ma vie, dans leur "traduction écrite et fidèle", j'espère qu'ils auront la décence de ne pas se prendre pour des balises.
Décidément, je suis un bien mauvais client pour l'écrivain public. Et encore moins de la graine d'écrivain public. Mais c'est peut-être justement cette inadéquation qui fait de moi une cible stimulante aux yeux des maîtres de l'écriture négociable. Et je crois déjà entendre ces plumes professionnelles me susurrer à l'oreille: "Tu vois, tu plais aux spams. C'est bon signe, non?"

7 commentaires:

  1. Ah! toi aussi, tu écris événement avec deux accents aigus? Et ton traitement de texte ne râle pas? Le mien crie de plus en plus fort.
    Et puis, côté déclaration de non-patrimoine affectif, pareil. Il est vrai que je ne suis pas ministre. (Toi non plus, ne l'oublie pas.)
    Amitiés,
    Pierre

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  2. "L'expression de mon patrimoine affectif" ne pourrait être qu'un tissu de mensonges et je ne serais que monceau d'infidélités si je voulais suggérer une "traduction écrite et fidèle des événements qui..." C'est encore un problème de traduction : à chaque fois que j'évoque, avec de vieux amis, des moments que nous avions intensément vécu ensemble, je dois partir en guerre et contre eux et contre moi-même.
    Belle photo qui dit ce que je veux dire.

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  3. premier arret sur votre blog, j aime

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  4. P.S. : c'est vrai, Claro, vous laissez parfois des fautes d'orthographe. Moi aussi sans doute qui l'ai apprise pourtant à grands coups de pied dans les fesses. Mais après tout, c'est vous qui faites tout le boulot et nous qui en tirons tout le plaisir.
    C'est un peu comme de petites arêtes dans un filet de sole (il en reste toujours une ou deux) : on ne va pas engueuler le poissonnier.

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  5. Chassez le correcteur, il revient au galop...

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  6. Et puis Claro, va savoir, pour filer musicalement,entre mailles et trous, concordances et regimes de faux amis, toujours possible de se remémorer les fausses notes : ce qui constitue tout de même toute la dynamique ou épaisseur de la matière sonore. Il suffit de se rembobiner les registres sublimes du grand T. Monk ou du pianiste plus classique Horowitz ( vous savez, les fausses notes...).

    S.

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  7. Cherche ennemi(e) idéal(e) à qui écrire lettre se terminant par : «Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mon patrimoine affectif».

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