lundi 18 mars 2013

Instructions pour une prise de Pynchon



La rumeur selon laquelle les livres de Thomas Pynchon seraient intraduisibles est un tantinet exagérée. Certes, la prose de cet écrivain américain ressemble parfois à la structure ADN d’un chaman qui aurait trop regardé les dessins animés de Tex Avery, un chaman qui par ailleurs ne communiquerait qu’en morse, à l’aide d’éperons radioactifs, mais il est néanmoins possible de venir à bout de cet exercice périlleux. Donc, à qui veut s’essayer à traduire ou lire – ou même humer, titiller, lécher, cogner, etc… – la prose de ce géant des lettres américaines, quelques précautions s’imposent.

Tout d’abord, qu’il s’agisse de Mason & Dixon ou de Contre-jour, commencez votre lecture un jour d’orage, en vous installant de préférence au pied d’une structure métallique horizontale, après avoir pris soin de suspendre une guirlande de petites ampoules électriques aux couleurs de l’arc-en-ciel dans vos cheveux (si vous êtes chauve, une pile dans chaque oreille suffira). Puis attendez que la foudre vous donne l’impulsion de la lecture. Il est possible qu’un léger grésillement se fasse entendre et qu’une vague odeur de bacon brûlé vous chatouille les narines – c’est tout à fait normal. 

Autre précaution à prendre : il est impératif, avant de tourner la première page, d’ingurgiter un petit godet du sympathique breuvage : un tiers de romanée conti + un tiers de spriviet’n utchiknè + un tiers de jus de pavot femelle (ajoutez du Tabasco si le cœur vous en dit). Comme il est dit dans Mason & Dixon : « préventif d’une grande variété d’afflictions ». Le seul hic, c’est qu’une fois traduite (ou lue, ou titillée, humée, etc.), la phrase pynchonienne continue sa facétieuse métamorphose. Les paragraphes se déhanchent, les relatives se trémoussent, le lexique swingue… à croire que chaque page est une machine à sous et que le seul fait de tourner la page relance la donne. C’est grisant. La rumeur selon Pynchon les livres de tantinet laquelle exagérée serait Thomas est intraduisible. »

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(Texte écrit en août 2010 pour le site de la collection Points/Seuil  à l’occasion de la parution de L’Arc-en-ciel de la gravité chez Points et de Vice caché aux Éditions du Seuil

1 commentaire:

  1. Il risque de finir par être plus connu que ses derniers livres. Quelle catastrophe!

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