vendredi 29 juin 2012

Fermeture pour cause de lectures


Le Clavier Cannibale va se mettre en veilleuse jusqu'à fin août.

Mais n'oubliez pas, si vous entendez ce message,
vous êtes la résistance.

mercredi 27 juin 2012

Al dente: retrouvez toute espérance vous qui mangez ici

Bon, le Clavier Cannibale n'est pas Marmiton.org, mais comme je n'ai pas encore reçu le dernier Chevillard, il faut bien se cultiver autrement. Aujourd'hui, nous vous proposons un roman d'un genre particulier, un roman où les personnages sont tous surmontés d'une toque et où tous les lieux laissent échapper une délicieuse odeur. Aujourd'hui, nous recevons dans ces colonnes l'Italie, et plus précisément l'Italie à Paris.
Stefano Palombari a écrit un livre qui pourra permettre de survivre à l'été dans la capitale. Il s'agit de Paris al dente! Le meilleur de l'Italie. Restaurants, pizzerias, traiteurs, épiceries et glaciers. Le projet de Palombari est simple mais ambitieux:
"J'ai voulu tordre le cou à quelques malentendus et aux nombreux préjugés qui perdurent sur la gastronomie italienne."
On ne trouvera donc dans son épopée gustative que des lieux authentiques. Si vous êtes un fan des pizzapino, passez votre chemin. En revanche, si vous voulez savoir pourquoi il faut absolument déguster les pasta chi sardi des Amis des Messina ou vous offrir le risotto cremoso al limone de Il Sorrentino, votre bonheur est fait.
On n'a déjà qu'une envie, faire sourire le porte-monnaie dans l'antre de Chez Peppe, rue traversière, parce qu'une spianata calabrese, franchement, ça ne peut pas faire de mal. Stefano Palombari vous dit tout, les prix, les adresses, qui fait quoi, et comment. Il fait plus que conseiller, il décide à votre place, il vous dit par exemple: "Choisissez une salsiccia sarda arrotolata grigliata o in salsa di pomodoro", ou "vous choisirez il budino al cioccolato fondente". Du coup, on note sans moufter, car on a compris que cet homme ne nous voulait que du bien. Il est allé dans tous ces lieux, et il en est revenu exalté mais précis. Ça ne se discute même pas. Ce que Palombari te dit de goûter, tu le goûtes. C'est un peu l'équivalent du Guide du routard intergalactique appliqué aux délices du palais. En prime, l'ouvrage est agrémenté de photos prises par la Depardon du légume, la Doisneau de l'artichaut: Sabine Mille. Et quand Sabine Mille capte l'âme d'une tomate, croyez-moi, on sort son couteau de la poche et on vérifie qu'il s'agit bien d'une photo et non de la chose en soi. Il y aussi des illustrations de Cécile Colombo, alors n'hésitez plus. C'est publié par Parigramme, ça vaut 12 euros, et ça vous fera faire des économies, en plus, alors mettez vite la main aux pâtes.

mardi 26 juin 2012

A cœur ouvert, c'est samedi !

SAMEDI 30 JUIN, à 19h, le festival Paris Cinéma vous propose d'assister à l'avant-première du dernier film de Marion Laine, À cœur ouvert, au MK2 Bibliothèque, en présence de la réalisatrice et des comédiens Juliette Binoche et Édgar Ramírez. Les places (6€) sont à réserver ici, sur le site de la Fnac. A cœur ouvert est le deuxième long métrage cinéma de Marion Laine, qui avait réalisé auparavant Un cœur simple. Le film est une libre adaptation du roman de Mathias Enard, Remonter l'Orénoque, paru aux éditions Actes Sud il y a quelques années, et qui ressort cet été. On pourrait vous dire que c'est l'histoire de deux chirurgiens du cœur qui s'aiment à la folie et d'une goutte qui fait déborder le vase de la passion. On pourrait vus dire qu'il y a, dans le film, une moto, des bonobos, une chute d'eau. Ou que le film a été tourné à Marseille et en Argentine. Que Binoche est royale et Ramirez superbe. Que la scène de la dispute est à tomber. Qu'on y entend la voix d'un certain chanteur défunt reprendre une certaine chanson qui parle d'embrasser pour oublier le temps en fuite… Mais le mieux, c'est que vous alliez voir le film samedi (s'il reste des places) ou lors de sa sortie. Et si vous voulez en savoir plus sur ce travail d'adaptation, aller au croisement du livre et du film, n'hésitez pas, si vous êtes dans les parages, à assister à la rencontre Laine/Enard pendant les rencontres littéraires de La Baule, les désormais incontournables Ecrivains en bord de mer, ça sera samedi 21 juillet à 20h30 – on vous donne le programme complet très bientôt.
Le film sort le 8 août en salles. Or c'est précisément le jour où vous avez décidé d'aller voir un bon film au cinéma. Comme quoi la vie est bien faite. Besame mucho, et sa chanson n'aura plus qu'un seul mot: aimer.
(Photo ©MK2 Diffusion – Marion Laine & Juliette Binoche)

lundi 25 juin 2012

Olivia Rosenthal : tournée générale

Dans sa  tournée des librairies, Olivia Rosenthal fera une escale le mercredi 27 juin à 20h à la librairie l’Atelier (2 bis rue du Jourdain, 75020 Paris). Au programme : présentation de l’auteur, lecture de l’auteur avec son éditeur Yves Pagès, projection de Douze homes en colère de Sydney Lumet.
 
Olivia Rosenthal pleure beaucoup au cinéma ; dans son dernier livre – Ils ne sont pour rien dans mes larmes – "elle s’approprie l’émotion de douze spectateurs pour raconter le cinéma à sa drôle de façon, puisant dans le réel pour en générer une fiction d’un genre tout particulier. et forcément on se sent concerné, on se retrouve, ou non, dans chacune de ces évocations qui disent en creux ce que le cinéma suscite en nous."

vendredi 22 juin 2012

Des nouvelles, mais du futur

Vancouver – 31 octobre 2007 – 19h54
Ram-16 Inc. vient d’annoncer que le corps de Matricia Loyd, la plus grosse femme du monde (Winnipeg), serait embaumé grâce à un fluide révolutionnaire, à base de silicone, de formaldéhyde et d’un dérivé du nouveau térapentium X-21. La famille a donné son accord pour une somme qui n’a pas encore été rendue publique. Ram-16 Inc. compte mettre le cadavre embaumé de ML à la disposition des personnes souffrant de rétro-gestation névrotique. Une cuve en titane rempli d’une solution d’amnio-anxiolytique devrait permettre d’accueillir, grâce à un ingénieux système de respiration transdermique, les personnes souffrant de ce mal jusqu’alors incurable. La durée des séances intra-utérines ne devront pas excéder seize minutes. Il est interdit d’introduire dans le corps étranger des couteaux, des bombes lacrymogènes et autres ustensiles visant à nuire. Toute émission de sperme sera sanctionnée (amende de 3 500 canadollars). Rappelons que Matricia Loyd était âgée de 35 ans lors de son décès, survenu au cours d’une rixe avec le milliardaire saoudien Roger Afhiz. Les Canadiens de la côte ouest ont d’ores et déjà surnommé l’expérience «(Don’t fuck) With Mommy».

jeudi 21 juin 2012

Demain c'est Colin

Demain soir, vendredi 22 juin, à l'occasion d'une soirée rencontre/dédicace, l'ami Fabrice Colin – auteur du récent Blue Jay Way – sera présent en chair et en os (et en livres) avec d'autres excellents auteurs publiés par les éditions Sonatine:

Roger Jon Ellory

Tim Willocks

S. J. Watson

Jacques Expert

&

Paul Cleave. Ça commence à 18h et ça a lieu au Virgin des Champs-Élysées, 52/60 avenue des Champs Elysées, 75008.


vendredi 15 juin 2012

Projection du nouveau film de Marion Laine, A cœur ouvert, au Festival du Film de Cabourg 2012 – 26èmes journées romantiques

Le nouveau film de Marion Laine, A Cœur ouvert, sortira en salles le 8 août. Mais on peut le voir lors de quelques avant-premières. Ça sera le cas à Cabourg, à l'occasion du Festival du film romantique. Deux séances possibles: le vendredi 15 juin à 22h45 au Normandie 2, et le samedi 16 juin à 19h dans la même salle. L'histoire? Deux chirurgiens de renom, Mila et Javier, s'aiment follement depuis dix ans, animés tous deux par la même passion pour leur métier. Refusant les conventions et la banalité du quotidien, ils font tout pour préserver leur histoire hors norme. Mais la grossesse inattendue de Mila menace leur liberté. Sous pression à l'hôpital, Javier se met à boire plus que de raison et finit par être suspendu. Livré à ses démons, il s'éloigne de plus en plus de Mila. Lorsque leur couple vole en éclat, Mila et Javier se retrouvent pris dans un tumulte de sentiments, qui n'aura de cesse de les ramener l'un vers l'autre. Dans les rôles de Mila et Javier: Juliette Binoche et Edgar Ramirez. On vous en reparlera, soyez-en sûrs.

jeudi 14 juin 2012

N + 1 : Pessan ou l'équation sylvestre

Il y a longtemps que l'arbre ne cache plus la forêt et que le seul loup à s'en méfier est l'homme. Il y a longtemps que les pères nous mentent et qu'il faut sortir du bois pour affronter la loi. Dans N, le nouveau livre d'Eric Pessan, paru récemment aux nouvelles et prometteuses éditions Les Inaperçus, la forêt n'est pas seulement le lieu où se sont réfugiés un père et son fils: la forêt est la page, l'espace où la parole, à force d'enlisements, cherche à vaincre la gravité. L'humus y est bouche, aspiration. Chaque pas une victoire et une défaite. Il faut se cacher? Qu'à cela ne tienne, on creusera des trous, on fera de la peur un terrier. Que fuir? Ça n'a plus d'importance. Le père dit au fils qu'il faut se cacher, et le fils se cache, de plus en plus animal dans sa retraite végétale. C'est un combat avec la mousse, des noces avec les racines, ce qui vous protège vous dévore, la survie est un rituel qui ne dit pas son nom. La phrase de Pessan fonctionne à l'instar d'une fièvre, par déflagrations et repliements. Elle dit le temps aboli, nié, rongé par la répétition ; dit aussi l'inquiétante loquacité de la matière, tantôt spongieuse, tantôt tranchante, qui fait de vous le dernier insecte sur terre:
Je vais mourir écrasé par les arbres, mon corps servira de nourrice aux bébés araignées. J'ai si chaud que j'en claque des dents. Passent une année puis deux puis trois et une main redresse ma nuque. Bois, ordonne papa, un liquide coule dans ma gorge.
Dans ce texte où les mots ne cessent, avec une ténacité et une précision admirables, d'approcher "l'épiderme des choses", d'aller au-delà du frottement et du grattement pour entrevoir ce qui, vraiment, suppure au fond du rêve, la survie est devenu un enjeu syntaxique. Le narrateur est prisonnier de la rhétorique goulue de la forêt, et pour s'en évader doit d'abord en éprouver toutes les dimensions langagières, épuiser le lexique végétal et cannibale, faire corps avec la pulpe même du bois, qui est mort et pourrissement mais aussi refuge et complétude.
L'enfant, contraint par le père à une existence de taupe intermittente, sait pourtant qu'il existe une issue, un "nord" autre que celui indiqué par la boussole de la peur. Il sait que si la forêt est matrice, alors l'expulsion est promise. 
C'est un récit du corps piégé, mais aussi du mythe éventré. Creuser, attendre – et se révolter. Frôler la décomposition pour mieux aborder la délivrance:
papa me frappe j'esquive
son poing glisse sur mon épaule sans me blesser
papa est un roc
je suis liquide
je suis une masse gélatineuse et décomposée
papa est minéral
il n'a pas vu que tout a changé il n'a pas su s'adapter
rigide quand il faut être fluide
ce sont des grands jours liquides
Les photographies de Mikaël Lafontan, qui captent le bruissement de l'immobile et la force du figé, viennent rythmer ce chant du limon où danse un désir d'autre chose, d'une transparence à jamais refusée aux fils.
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A noter qu'Eric Pessan est l'invité aujourd'hui même, jeudi 14 juin, de la librairie Charybde (129 rue de Charenton, 75012), et ce dès 19h, où il présentera N avec Lafontan et ses éditrices, Mathilde Levesque et Ester Modié.

On peut également le retrouver vendredi 15, au Marché de la Poésie, sur le stand des éditions de l'Attente à partir de 18h, ainsi que le samedi 16 de 12h à 14h, pour se faire signer N.

mercredi 13 juin 2012

Foenkinos, quoi d'autre ?

Décidément, c'est entré dans les mœurs… Après Ovaldé vantant Twingo (ou le contraire, allez comprendre…), une autre alliance de haute volée nous tombe sous les yeux: David Foenkinos & Nespresso ! Est-ce suite à la décomplexitude bling-bling initiée par notre ex-lutteur de foire à talonnettes ou est-ce simplement le signe que, désormais, l'écrivain a intégré le merde-chandaille-zinc sous toutes ses formes? On n'imagine mal Claude Simon vanter un label de pizza ou Gracq le lancement d'un nouvel iPad, mais bon, ces temps obsolètes sont révolus, désormais l'écrivain est devenu le mec plus ultra, le mannequin des marques, l'homme club-sandwich du futur, le sémaphore de sa propre inanité. Foenkinos, donc, grâce à l'entremise éclairée de La Martinière (qu'on ne présente plus, sauf sur un plateau à roulettes) et de Nespresso (le café aux couleurs chères), s'est fendu d'une nouvelle inédite qui raconte une rupture dans un café "près des Champs-Elysées" (on appréciera le "près", qui est ici l'équivalent linguistique d'un pli sur un costume Armani). Moyennant une vingtaine d'euros, après commande sur le site Nespresso.prout, le bobocaféïnomane n'aura qu'à soulever (et, éventuellement, lire Eviter la rupture, titre qui laisse à penser que l'auteur va nous donner un conseil sur d'éventuelles problèmes techniques pouvant subvenir dans la manipulation d'une machine Nespresso) la nouvelle de Foenky pour trouver quelques grands crus en poudre. On se demande pourquoi Florian Zeller ne cherche pas à nous vendre de shampooing…
On se demande aussi ce qui pousse un écrivain – ou, du moins, quelqu'un dont quelqu'un publie les livres pour que quelqu'un l'achète – à assurer ainsi la promotion d'un produit qui n'entretient que de vagues rapports avec sa profession, même si Balzac aurait souri devant une telle audace. Voiture, café, stylo… difficile d'estimer jusqu'où peut s'étendre – pardon: s'étaler – la complaisance épicière de ces professionnels de la plume. Que vanter, hein, franchement, en plus de soi? Que venter, oui, plutôt.
Mais qui a dit que l'écrivain avait devoir d'éthique? Personne. Il n'est redevable d'aucune morale, devant personne. Il est libre. S'il estime que sa liberté passe par le sponsoring, s'il veut promouvoir une lessive (ce qui serait plus raccord avec sa prose aseptisée…), ma foi, pourquoi pas? C'est sans doute qu'il a compris qu'il ne risquait pas de vendre ce qu'il n'a pas: son âme. Enfin, je dis son âme, c'est une métaphore. Un peu comme le café est une métaphore de l'éveil, et la connerie une métaphore de la nouvelle inédite vendue avec des capsules pleine de poudre.
Félicitons en tout cas Véronique Ovaldé et David Foenkinos. Ils ouvrent la voie. S'ils pouvaient juste fermer l'autre, celle qui finit par un x au lieu d'un e, on les trouverait presque cohérents avec eux-mêmes.

Rome en Ferrari

Le 22 août, les éditions Actes Sud font leur rentrée. 
C'est peu de dire qu'on a hâte de lire le nouveau roman de Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome, dont voici le texte de quatrième de couverture:
Empire dérisoire que se sont constitué ceux qui l’ont toujours habité comme ceux qui sont revenus y vivre, un petit village corse se voit ébranlé par les prémices de sa chute à travers quelques personnages qui, au prix de l’aveuglement ou de la corruption de leur âme, ont, dans l’oubli de leur finitude, tout sacrifié à la tyrannique tentation du réel sous toutes ses formes, et qui, assujettis aux appétits de leur corps ou à leurs rêves indigents de bonheur ou d’héroïsme, souffrent – ou meurent – de vouloir croire qu’il n’est qu’un seul monde possible.

lundi 11 juin 2012

Rohe et la tempête


Depuis Défaut d’origine, son premier livre paru en 2003, Oliver Rohe interroge les ruses de la mémoire et ausculte les illusions de l’individualité. Ses personnages, souvent hantés par le spectre d’eux-mêmes, vivent non sans douleur la question du devenir, qu’il s’agisse du narrateur de Défaut d’origine, dont l’authenticité des pensées est sans cesse mise à mal par la vibration d’une amitié, de la voix solitaire qui fait de son deuxième livre, Terrain vague, un espace assiégé où la répétition est résistance, ou même des trois intervenants d’Un peuple en petit dont les trajectoires composent un triangle du doute.
L’œuvre en cours d’Oliver Rohe procède par règlements de comptes, ou plutôt, si l’expression est possible, « dérèglements de compte ». Des zones sont investies, des repaires débusqués, des postures démolies. L’écriture, elle, mûrit et s’étend, à force excursions concentriques, gagnant en liberté, exigeant à chaque fois la création d’une structure inédite, toujours plus dynamique.
Sous-tendus par un humour à la Beckett, à moins qu’il ne s’agisse du rire caché de Buster Keaton, les romans d’Oliver Rohe inscrivent la narration dans l’ADN même de la phrase qui, par sa rythmique souvent changeante (et le phrasé crucial qu’impose sa ponctuation), permet au lecteur d’éprouver pleinement la richesse de ce qui ici se joue : ni plus ni moins la liquidation joyeuse des vanités individuelles.
Dans son dernier livre paru, Ma dernière création est un piège à taupes, Rohe cite, en exergue, cette phrase de Rilke : « Si, plus semblables aux choses, nous nous laissions terrasser par une aussi grande tempête –, comme nous serions vastes et anonymes. » Et le fait est qu’Oliver Rohe écrit dans l’ombre de cette salutaire tempête.

vendredi 8 juin 2012

Tous les diamants du ciel (et tout autre chose)

Le 22 août, parution chez Actes Sud de mon nouveau livre, Tous les diamants du ciel.
C’est l’histoire d’une intoxication, survenue en France au début des années 50, à Pont-Saint-Esprit, l’histoire d’une ville qui ne dort plus et sombre dans la folie, par la faute d’un pain prétendument maudit, l’histoire aussi d’un orphelin – Antoine – qui va découvrir la vie à la faveur de ses hallucinations. Mais c’est tout autre chose, bien sûr, puisque la guerre froide ne fait que commencer.
C’est l’histoire d’une jeune femme, Lucy, junkie échouée à New York à la même époque, et que les drogues poussent de case en case sur un échiquier de plus en plus complexe, avec l’assentiment de la CIA et d’un certain Wen Kroy.
C’est l’histoire de leur rencontre à Paris, à l’automne 69, dans un sex-shop qui sert de planque aux derniers insurgés. Entre-temps, il faudra s’embarquer à bord d’un sous-marin, composer avec des poupées gonflables, s’égarer dans le désert algérien, vivre l’été de l’amour à San Francisco, jouer avec le feu et tout sacrifier au dieu LSD. Il faudra aussi marcher sur la Lune et apprendre à trahir.
C’est peut-être l’histoire d’une tentation. Mais c’est tout autre chose, bien sûr.

mercredi 6 juin 2012

La trame du tramway: Claude Simon chez Proust

Le Tramway est le dernier "roman" publié par Claude Simon. Il a paru en 2001.
Texte incroyable de virtuosité et d'acuité sensorielle, qui joue à cache-cache avec l'œuvre de Proust tout en épousant sa prose en poussant et décalant le mimétisme syntaxique jusqu'à ses limites classiques et au-delà.
Si Proust est présent d'emblée, par le truchement d'un exergue,
"… l'image étant le seul élément essentiel, la simplification qui consisterait à supprimer purement et simplement les personnages réels serait un perfectionnement décisif",
il s'absente aussitôt pour ne revenir qu'aux pages 54 à 57, lorsque Simon se penche sur la mise au ban des pratiques homosexuelles dont parle Proust. Intermittence du sujet proustien, qu'il convoque sur une question apparemment sans lien avec le motif du tramway. Car si tout le texte de Simon est une noce syntaxique avec la matière proustienne, ayant pour socle cet objet mobile qu'est le tram, on peut s'étonner que la résurgence du nom de Proust ait lieu à seules fins d'établir un lien entre l'homophobie dans la Recherche et celle sous-jacente dans la société de Perpignan au début du vingtième siècle. Mais c'est peut-être parce que le tramway, justement, est autre chose qu'un tramway: une machine de vision, un engin redoutable permettant non seulement de relier des points éloignés mais également de faire se succéder les points de vue. Or le trajet même du tramway ne cesse de conduire le lecteur d'un point séminal – celui de la maison maternelle – à une extrémité fantasmatique – le cinéma du centre-ville avec sur les affiches 
"les gigantesques visages de femmes échevelées, aux têtes renversées et aux bouches ouvertes dans un cri d'épouvante ou l'appel d'un baiser".
Un trajet, donc, qui part de la mère (bientôt disparue) mais aussi de la "bonne" (qui brûle des rats) pour, au terme d'un voyage à la fois architectural et temporel, physique et mental (le narrateur y raconte sa maladie, quand il se retrouve connecté à un autre engin, médical celui-là…) aboutir à ce monde de l'illusion projetée dont on sait l'importance chez Proust (avec, par exemple, les lanternes magiques).
En revanche, Claude Simon s'abstient scrupuleusement d'établir un lien entre son tramway et celui que Proust, à une vingtaine d'endroits dans la Recherche, fait rouler sur sa page. Car Proust évoque à plusieurs reprises le "fatidique tramway" que le jeune Claude rate parfois au sortir de l'école, comme si l'engin cherchait à l'empêcher de retrouver le domicile maternel, où l'attend, à terme, la mort de sa génitrice.
Que nous dit Proust du tramway? Qu'en fait-il? Oh, il évoque son timbre, qui "résonnait comme eût fait un couteau d'argent frappant une maison de verre", le silence qui suit "son roulement" et qui lui semble "parcouru et strié par une vague palpitation musicale". Mais surtout, et ce à trois reprises, Proust revient sur un point très particulier: le tramway comme meilleur moyen d'observer une peinture de Franz Hals ("[…] Hals qu'il aurait fallu voir d'un tramway"), écrivant ceci:
"Mais quand même vous n'auriez eu qu'un quart d'heure c'est une chose extraordinaire à avoir vue que les Hals. Je dirais volontiers que quelqu'un qui ne pourrait les voir que du haut d'une impériale de tramway sans s'arrêter, s'ils étaient exposés dehors, devrait ouvrir les yeux tout grands."
Cette surprenante hypothèse, que Proust par ailleurs mitige (il écrit qu'elle était fausse mais qu'elle lui fut précieuse par la suite), nous renvoie bien évidemment à Potemkine faisant construire sur les rives du Dniepr de faux villages afin que Catherine II s'illusionne sur leur prospérité. Le train comme façon de voir sans voir, véhicule du faux-semblant… Car comment imaginer que la vitesse puisse aider quiconque à mieux voir un tableau de Hals, peintre par excellence du portrait, et du portrait qui plus est regardant. Mais ce n'est peut-être là qu'un paradoxe, et l'humanité présente chez Hals serait alors projetée sur le sujet mobile qui verrait ainsi dans celui qui le voit passer un reflet de sa propre instabilité (les sujets halsiens étant souvent penchés, comme déstabilisés, emportés dans une diagonale de fuite…).
Retour à Claude Simon, qui justement utiliser le tram pour "voir" vraiment, derrière le déroulement du paysage urbain, la vérité sociale à l'œuvre derrière les façade, substituant ainsi au tramway réel (qu'il lui faut attraper à tout prix pour rentrer) un tramway syntaxique, depuis lequel contempler la prose d'un monde disparu, en réussissant en outre le poignant exploit de ressusciter la magie proustienne dans ce qui est à la fois hommage et clôture. Un retour à l'enfance via le maître juste avant de s'en aller.
 

mardi 5 juin 2012

La journée de l'écrivain


Lever, tel du bon pain, à une heure située entre minuit et six heures, ce qui laisse une certaine marge de manœuvre pour pouvoir dialoguer sereinement avec sa femme. Puis, d’un pied alerte, dans la foulée, si j’ose dire, la cérémonie du café sur le balcon, qui s’apparente, mais de très loin, à l’annonce que habemus papam et qu’il est pas encore tout à fait prêt à discourir.
Ablutions furtives dans le plus proche ruisseau. A défaut de ruisseau, bataille de pistolets à eau dans la chambre des enfants endormis. La bonne humeur est inconcevable sans un certain élément de surprise.
Les choses sérieuses commencent avec la caresse à l’ordinateur. Lecture des informations, compte précis des morts sur toute la planète durant la nuit, étude rapide mais jouissive des cours de la Bourse. Enfin, courrier. Avec un bon coupe-papier, ouverture des mails en souffrance, ce qui est somme toute cohérent.
Trois minutes suivent, entièrement consacrées à l’écriture du chef d’œuvre en cours. Puis vingt secondes pour la relecture, et deux heures d’auto-satisfaction béate, mais néanmoins fructueuse.
Coup de fil obligatoire à la banque pour leur rappeler qu’un écrivain est plus un découvert qu’une découverte.
Midi, repas frugal dans un restaurant gastronomique avec des critiques littéraires du siècle dernier.
L’après-midi est un moment sacré, mais surtout païen. Une sieste régénératrice permet à l’écrivain de faire le point sur l’étrange parenté entre les rêves et les mouvements de vente de ses livres.
Mais déjà tombe le soir. L’angoisse s’installe, la télé ne s’allume pas. Il faut revenir au dur labeur d’écriture, qui consiste en un travail immodéré du coude afin de rendre plus aisé le maniement du clavier.
Quand les yeux se ferment, c’est bon signe. Il est temps de mourir à soi-même afin que la littérature ait une chance, même infime, de ne pas sombrer dans la surenchère.