mardi 11 décembre 2012

Laisser quelques chevaux entrer dans Troie…

Pour ceux que la problématique de la traduction intéresse (et pour ceux qui se demandent en quoi la problématique de la traduction peut bien être intéressante, ainsi que pour ceux qui a priori s'en tamponnent le coquillard mais ne sont pas pour autant dépourvus de curiosité), je me permets de signaler un entretien que j'ai donné récemment à Johan Härnsten, un type formidable qui a été l'indispensable relecteur de ma traduction de Contre-Jour de Pynchon lors de sa parution aux éditions du Seuil. Cet entretien est disponible dans son intégralité sur le site de l'Institut Français, IF Verso, la plate-forme du livre traduit, site passionnant où l'internaute pourra également lire des entretiens avec Martin de Haan, Yael Lerer, André Gabastou, Aline Schulman, etc.


Tu as souvent insisté sur le fait que la traduction est une sorte d’écriture. Traduire, est-ce apprendre, et par conséquent à chaque fois désapprendre, à écrire ?

Une des grandes forces de la traduction, c’est de nous faire bégayer dans notre propre langue, d’introduire dans le processus d’écriture quelque chose de l’ordre du bancal, bref, traduire nous déséquilibre, nous rend en partie étrangers à notre propre langue. Le passage d’une langue à une autre, et plus précisément d’un travail de lecture à un travail d’écriture, fait que nous nous retrouvons comme en suspens entre deux langues, deux énergies, deux ondes. Dans un premier temps, le traducteur éprouve une sorte de presbytie mentale. Il lui faut retrouver l’impulsion et la nécessité du texte qu’il aime et se doit d’effacer. Il doit l’aider à « recommencer » dans une autre langue, c’est-à-dire à trouver le bon régime de métamorphose.

Le traducteur est d’abord lecteur du livre qu’il traduit. Quelle stratégie de lecture adoptes-tu en traduisant ? Essaies-tu d’abord de maîtriser l’ensemble du livre, ou bien préfères-tu traduire au fil de la lecture, pour ainsi dire ? Prenons le gargantuesque Contre-jour de Thomas Pynchon : l’avais-tu lu en entier avant de te mettre à traduire ?

J’ai un rapport très particulier aux livres. Je ne les lis pas forcément en entier, et pas nécessairement de façon linéaire. Disons que je les « essaie », comme un garagiste qui fait un tour en voiture avant d’en démonter le moteur. Je lis donc en testant les résistances, en cherchant dans les parties le rêve du tout qui s’y cache. […]

[A signaler également, toujours sur le sujet de la traduction, un très beau texte de Jean-Luc Allouche (le traducteur, entre autres, d'Avraham « Bulli » Yehoshua) mis en ligne sur le site de Pierre Assouline.]

3 commentaires:

  1. Et au sujet de la traduction, avez-vous (plus ou moins) suivi les débats autour de la traduction très contestée de l'autobiographie de Neil Young sortie en France il y a quelques semaines ? ("axe" traduit par "hache" étant l'exemple le plus criant, évoqué par Manoeuvre dans Rock&Folk). Comment cela s'explique-t-il ?

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  2. cela s'explique, mis à part des bévues commises tout au long de la chaine (traducteur, relecteur, réviseur...)qui peuvent arriver, le plus souvent parce qu'on travaille trop vite, pressé par des donneurs d'ordre qui ne mesurent pas assez que la qualité ça prend du temps
    Un fantassin de la chose

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  3. "Qui traduit pénètre la chair, s’il le veut, et ce faisant pénètre le ventre de son futur ulcère, celui par lequel crèveront tous les abcès de ses questionnements. Je rêve d’une traduction qui soit morsure, foutrage, enculerie, et calcinante rêverie, d’une traduction qui cesse de laver les pieds de la langue avec les cheveux de la compromission, qui tache les draps et les déchire pour s’en faire des bandages puis essore le sang de ces bandages au-dessus du seau du sens." Claro (2006)

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