jeudi 30 août 2012

Richard Millet ou le chou blanc

Richard Millet crée une violente polémique avec un pamphlet de trop, un éloge qui dérange. Une abjection de trop? Va-t-il devoir quitter Gallimard? Bref, le nouveau réactionnaire, à la fois écrivain mal aimé et pestiféré des lettres, suscite le scandale en faisant l'abjecte apologie des crimes d'Anders Breivik et va  de plus en plus loin dans la provocation, provoquant la polémique avec cette nouvelle provocation, suite à cet éloge qui embarrasse.
Voilà, en résumé, et en reprenant verbatim les termes relevés dans la presse, le sentiment (général) suscité par la parution du dernier livre de Richard Millet (il en publie par ailleurs deux autres simultanément). Preuve qu'on peut encore s'étonner des écrits d'un homme qui se présentait à la télévision comme «Français de souche, catholique, hétérosexuel, hanté par la question nationale». Pierre Assouline, dans son billet paru hier, s'efforce de mettre à plat les propos de Millet plutôt de de participer à ce que l'auteur de Langue fantôme se délectera d'appeler (comme à chaque fois) une "curée". L'écrivain et éditeur Yves Pagès, lui, préfère y aller d'une "dédicrasse" enlevée et sans appel.
Personnellement, je bénéficie de l'immense privilège de n'avoir pas encore lu ce texte d'une quinzaine de pages, appendice à un constat désabusé (on s'en doute) sur la littérature actuelle. Je pourrais bien sûr le lire. Mais pourquoi le ferais-je?
Pour vérifier que ce "Français de souche, catholique, hétérosexuel, hanté par la question nationale" qui s'inquiète d'être le seul Blanc dans le RER écrit, si ça se trouve, des choses bêtes? Pour vérifier qu'il écrit des choses, si ça se trouve, pas si bêtes que ça ? Mais où irais-je puiser en moi l'envie – l'idée ! – d'aller vérifier qu'un éloge des crimes d'Anders Breivik, écrit par quelqu'un se prétendant à la télévision "Français de souche, catholique, hétérosexuel, hanté par la question nationale" (et s'inquiétant d'être le seul Blanc dans le RER) peut, si ça se trouve, m'intéresser ? Où irais-je puiser en moi le désir de vérifier que cet éloge n'est pas, si ça se trouve, une apologie d'un crime fasciste comme on le pressent hâtivement, mais, si ça se trouve, une posture esthétique suscitée par le gros chagrin née du déclin des valeurs occidentales (les Croisades?) et de la perte (blanche?) de l'identité nationale ?
Je bénéficie en outre de l'immense privilège, pardon, du triste avantage d'avoir déjà lu des écrits de Richard Millet (n'oublions pas qu'il est persuadé d'être le plus détesté des écrivains français et déplore de n'être pas assez lu). Où irais-je puiser en moi, français de souche métèque, athée et non-homophobe, hanté par la question départementale (= payer mon loyer parisien), l'envie, le désir, l'idée de lire jusqu'à plus soif les écrits de Richard Millet? Où irais-je puiser en moi la motivation nécessaire pour me pencher sur cette quinzaine de pages, venant après quelques centaines d'autres, où je sais que le martyr Millet va me bassiner avec "le chant de la Kalachnikov" après s'être épandu sur la médiocrité de la littérature pan-nationale (qui ne devrait pas être si médiocre que ça, au final, puisque lui-même est en charge de sa régulation chez Gallimard et permet donc de rétablir l'équilibre)? Où irais-je puiser l'audace (ou la bêtise) d'aller vérifier que, si ça se trouve, Millet est peut-être, à sa façon, un nouveau Céline? Où irais-je puiser la curiosité suffisante à la découverte de ce coup médiatique, alors même que je n'arrive toujours pas m'intéresser à la question de savoir si, oui ou non, Jean-Claude Delarue est mort?
Je dois rater quelque chose. Je vais rater quelque chose. Mais quoi? Un raté? Un raté, non pas au sens socialement méprisant du terme, mais au sens automobilesque: quand l'inerte tuyau vide, par lequel le moteur déficient pulse son gaz vicié, lâche un petit pet sonore que, de loin, on prend pour la détonation (le chant?) d'une arme dont on espère qu'elle ne vise que la tempe de celui qui, dépit oblige, s'amuse, si ça se trouve, à la manipuler.



1 commentaire:

  1. Hélas ! Millet aurait bien fait de s'approprier la méfiance de Claude Simon - qu'il idolâtre par ailleurs, quant aux écrivains qui ont "quelque chose à dire", au sens sartrien.
    "Langue Fantôme", est un bel essai, bien écrit, qui expose un constat assez juste, à mon sens, de la littérature et de son marché. Et finalement, les étapes du deuil en tête, l'on excuserait presque les écueils quasi-inhérents aux pamphlétaires.
    Et puis, il y a ces 18 pages sur Breivik. Effectivement, on se doute (de la part du tacticien des prix littéraires), de la volonté polémique sensée attirer l'attention sur le reste. Mais de la même manière qu'il dénonce sans auto-dérision un système auquel il participe activement (les prix, l’édition, donc, mais également la graphomanie ou ce qu'il (on ?) nomme, à juste titre, la "post-littérature", etc.), il semble oublier en chemin que la presse ne lit guère les livres. Alors bien sur, elle est sensationnaliste, elle ne consacre que le roman, aux dépens des autres formes - la poésie, l'essai, dans ce cas. Donc il souligne. Il sous-titre. Pour que l'on ait envie d'ouvrir le livre. Mais qui a du temps à perdre à lire 138 pages, quand on peut en lire seulement 18 ?
    Je suis d'accord, c'est un raté. Et c'est aussi puant. Mais peut-être pas seulement comme le laisse entendre ce cabotinage final.

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