mardi 1 mai 2012

Tillinac et l'anthropologis de France

Décidément, les grands écrivains français du XXIème siècle ont beaucoup de choses à dire à Marine Le Pen. Il y a peu, c'était Renaud Camus qui raclait le tiroir lepéniste pour y chercher des pépites débarrassées du gênant détail. Il y a quelques jours, c'était au tour de Denis Tillinac, écrivain, éditeur, corrézien et chiraquien (une quadruple casquette pour un cerveau si vaste…) d'écrire sa bafouille à la fille du para, lettre publiée par Le Figaro le 25 avril. Il y dit plein de choses, un peu comme dans ses livres où l'inspiration ne connaît pas la panne (ni l'écriture la nécessité). Il envisage avec une sainte frayeur la possible irruption au pouvoir de la gauche, dont il rend déjà responsable Marine si cette dernière ne se fond pas dans le génie du sarkozysme. On aimerait partager sa frayeur, car elle semble fondée sur une appréhension de taille. En effet, selon Denis Tillinac, si jamais l'hydre rouge s'emparait, même démocratiquement (quelle fourbe!) des manettes du pouvoir, la France subirait "une véritable mutation anthropologique".
On a presque envie de dire: mazette ! Voilà une épithète surprenante. "Anthropologique" ? Bon, Tillinac est écrivain, il s'exprime publiquement, et par écrit, donc on peut supposer qu'il connaît et pèse le sens des mots qu'il emploie (sauf si bien sûr c'est l'inverse, et que ce sont les mots qui l'emploient, mais là ça devient plus compliqué, or il convient de rester dans le simple). C'est quand même assez rare de faire appel à ce très long mot lorsqu'on parle de captation de votes. Mais que signifie-t-il d'ailleurs, ce terme ? Oh, c'est assez vaste, mais disons que ça renvoie à tout ce qui a trait à l'humain, à la fois au niveau culturel et physique – bigre! Associez ce mot à "mutation" et vous aurez en effet de quoi frissonner. Qu'il se produise un changement culturel, ma foi, ça peut encore passer, on a vu pire, mais que physiquement l'homme change, parce que devenu rouge, alors là, oui, on peut se permettre une certaine dose d'effroi. Les Soviets contre-attaquent, et cette fois-ci ils ne sont pas contents…
Mais peut-être Tillinac emploie-t-il le mot de façon erronée? Car reconnaissons que le terme "anthropologique", en dépit de son vernis scientifique, n'est pas très utile dès lors qu'il s'agit de savoir quel parti va devoir se coltiner le libéralisme ambiant. Encore que… Qui donc, récemment, a cru bon d'utiliser cet adjectif ronflant dans la sphère politique? Ah, mais c'est ce bon vieux député UMP Charles Vanneste, à propos du mariage entre personnes du même sexe! Rappelez-vous, c'était il y a un peu moins d'un an, à propos de l'union gay. Vanneste avait qualifié la chose "d'aberration anthropologique". Mais bon, Vanneste n'est pas écrivain, que je sache, et peut-être ne sait-il pas utiliser les mots à aussi bon escient que notre Tillinac local.
Ah,  il y a eu aussi l'indispensable Ivan Rioufol, autre pilier du Figaro qui n'aime pas trop qu'on attribue la colonisation aux colons. Lui aussi aime beaucoup le mot, qu'il a employé récemment, il y a un mois et demi, pour taper sur François Hollande, lequel s'en prenait au concept de race. Rioufol, donc, a réussi à placer le terme magique, à croire qu'ils se sont passé le mot entre eux, un peu comme des bacheliers se promettant de glisser le terme "moutarde" dans une disserte de philo:
"Supprimer le mot race (qui est aussi employé dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948) revient à nier une réalité anthropologique qui fait qu'il y a, en effet, des blancs, des noirs, des jaunes […]."
Bon, il y a une autre possibilité. Peut-être que le mot "anthropologique" veut dire autre chose. Peut-être que, pour Tillinac, Vanneste, Rioufol et quelques autres, il désigne une sorte d'indépassable point Godwin. Autrement dit, si on ne laisse pas s'exprimer pleinement une humaniste aussi acharnée  que Marine Le Pen, et si elle ne sous refile pas ses voix dans les plus brefs délais, alors nous risquons de voir la définition même de l'homme bafouée. Si cette hypothèse s'avérait juste, ce qui semble assez probant, alors nous suggérons à ces fières plumes en manque de cul de paon de remplacer, par souci de netteté, le terme "anthropologique" par un autre terme, qui devrait semer un peu moins le trouble, encore qu'il soit dur à prononcer: HGDRB. Hétéro-gaulois-de-race-blanche.
Dommage que je ne sois pas écrivain, sinon j'aurais sûrement trouvé un terme plus seyant et plus agréable en bouche.

3 commentaires:

  1. Il y a des moments où tirer sur des ambulances, des kapos de sauna et des piliers de ce journal où sans la liberté de baver il n'y a point d'éloge qui vaille est un acte de salubrité publique. Nous en vivons un: merci alors de l'avoir fait!

    RépondreSupprimer
  2. Un Pynchonien Corrézien1 mai 2012 à 20:25

    Hétéro-gaulois-de-race-blanche : il manque Chrétien-avec-un-vrai-travail ... je ne suis pas sûr que la catégorie "un-vrai-travail" soit une conception anthropologique mais plus une catégorie sociologique...

    RépondreSupprimer
  3. la pensée 'bien pensante' a aussi ses limites et finit par lasser ! Réfléchir librement c'est bien aussi!

    RépondreSupprimer