jeudi 24 mai 2012

Tanger facétie: la distance selon Poyet

Le Centre international de poésie Marseille – le CIPM – accueille des poètes en résidence dans une ville d'un pays des bords de la Méditerranée, et une collection, "Le Refuge en Méditerranée" témoigne de ce programme. Plusieurs titres sont déjà parus, dont Un sens facétieux, de Pascal Poyet.
Un sens facétieux se veut une "cogitation dans la représentation du sens". Poyet s'interroge d'abord sur les notions de distances physiques et distances sémantiques, sur ce qui fait qu'une tasse est proche d'une cuiller par le sens même si les deux objets sont éloignés. Attentif au dialogue qu'entretiennent ces deux distances, Poyet, dans une prose millimétrique, tout en questionnements et hypothèses, reprend les habits cartésiens mais avec une grâce toute barthésienne pour approcher au plus près d'une éventuelle intention sémantique des objets, dans leurs déplacements et dispositions. Ainsi, de cette image arrêté tangéroise:
"Sur le trottoir, un verre de thé et un paquet de cigarettes à l'intérieur du plus haut de deux moellons superposés recouverts d'un morceau de carton en guise de siège – ces objets veulent dire: je reviens."
Poyet étend alors sa réflexion à la phrase, dont il rappelle qu'elle est, selon Benveniste, "un événement évanouissant". Il s'interroge également sur l'impossibilité de "vider un mot", puis en vient à considérer le verbe et sa fonction, en prenant l'exemple du verbe "toucher". Le verbe "toucher" ne peut être réduit à un verbe désignant un contact. Il existe une infinité ou presque de gradations dans le toucher, ce qui fait qu'on devrait concevoir un "toucher doux", un "toucher ouste", un "toucher pardon", un "toucher enfin", un "toucher merci", etc.
Dépliant le langage et ses ruses en prenant soin de ne jamais rien trancher, Poyet livre ici une sorte d'éloge de la vibration – vibration du mot, du sens, de la chose – sans quitter de vue le lieu d'où il parle, à savoir Tanger, la ville revenant dans le discours à la façon d'un centre nomade qui oblige à sans cesse décaler la périphérie du dire, et l'on comprend alors parfaitement ce que veut dire Poyet quand il écrit: "Un changement de sens est un changement de position, dans un sens facétieux." Car le sens lui aussi aime à distraire. De quoi? De lui-même? De nous? De la distance qui nous sépare de lui? C'est tout l'enjeu de ce livre minutieux.

3 commentaires:

  1. rien compris ce sera tout pour aujourd hui ? sans vos lendemains qui chantent déja c est peu mais toujours ça que je ne lirai pas desolée d esquiver le sens de vos invitations aux voyages en outre je ne possède pas le bagge qui vous autorise à ce club si fermé on s en fout de vous vous etes utile dans l insincérité c est toujours cela n est ce pas

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  2. Pour ma part je le trouve très bien ce billet. Il donne au moins envie d'en savoir un peu plus sur ce livre. il pousse à la curiosité. c'est étrange Cessna, de revendiquer son ignorance, de la porter en bandoulière comme on exhibe une fourragère ou toute autre décoration. Si on ne comprend pas on se tait on cherche à comprendre, ou l'on passe son chemin. Mais dire comme ça j"e ne comprends rien", quel intérêt, à quoi ça sert ?

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  3. « Car le sens lui aussi aime à distraire. De quoi ? (…) De la distance qui nous sépare de lui ? » Un joli questionnement qui peut en amener d’autres.


    Quelle distance le traducteur met-il entre le texte, son texte et l’auteur traduit ? Une distance clinique, hygiénique ludique flegmatique isocèle cérébrale chimique péripatéticienne langoureuse voir amoureuse ? Même décalage entre un lecteur et le livre d’un auteur pressé sur papier ? À tenir entre les mains, à tenir ? Si la langue caresse ou blesse, qu’importe la distance. N’est-ce pas tant le sens que la langue littéraire qui invite et pourrait aimer « à distraire » ? Cette langue, on l’entend, aimerait parfois arracher l‘oreille interne à son trop sage lecteur. Il n’aurait ainsi d’autre choix que de ne plus lire tout-à-fait avec son cerveau ni voir, avec un œil en moins, puis deux, deux orbites molles. Il serait obligé, ce très cher lecteur (et traducteur ?), d’y mettre les mains, en aveugle et sourd, à la recherche du festin cru. Littérapture. Les sens sortent de leurs gonds. Exacerbés. La littérature érafle ses limites scripturales, à distance de tout, sauf du rêve d’étreinte –entre Pavlov et Pessoa- d’un texte, d’une langue, d’un style, d’une vibration, d’une personnalité, d’un regard, d’une voix, d’un être-là mais ailleurs. Toward Grace, la facétie touche louche entre « événement évanouissant » et des positions obtuses tellement la magie des mots opère à vif les veines festives s’ouvrent et coulent ivresse insoupçonnée, indépendamment de la décence, invitation à boire ! Et les débordements et le déluge ! À boire réclame l’écrivain comme tant d’artistes avant lui. Qu’importe si c’est notre propre sang que buvait Hitchcock ou peut-être Artaud ou Joel Peter Witkin ou ce fou qui vous tranchait l’œil avec une âme de rasoir, Un chien ANDalou, sur une musique de Wagner ; Tristan et Iseult copulants sur grand écran un Tango argentin répandant encore notre sang, nos actants se répondent-ils ? À distance, spectateur, lecteur, traducteur d’une œuvre ? Bavards ou muets, mais étreints. Jusqu’à ce que « la fièvre altère leur lecture » peut-être. La langue (voir les langages de l’art) invite souvent à un rapport si passionnel que le(s) sens s’en trouve(nt) démantibulé(s) souvent ou parfois seulement. Il faudrait à l’impossible s’acculer, peut-être, pour pénétrer l’essence d’une réponse vraie. Nos nombrils immondes aiment et désirent, la littérature et l’art et l’homme qui animent, puisqu’il faut appeler un chat sur un toit maugréant après l’alouette le corbeau le cormoran le drôle d’oiseau aux ailes étincelantes un chat, ou une chatte.



    Les bestiaires étoffent par ici des questionnements étranges, il s’agit uniquement de « réveiller l'encre sympathique avec l'ampoule du regard critique » à la manière de La Fontaine, pour l’enfant illuminé qui reste en nous quelque part.
    D’autres adoptent uN cerf-volant ou un Arc-en-ciel, on y pensera comme à quémander un Don du sang avant la prochaine salée saillie saignée littéraire.

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