lundi 21 mai 2012

Richepin au turbin, c'est divin

Les excellentes éditions du Vampire Actif ont eut la bath idée de rééditer un recueil de nouvelles écrit par un académicien français, euh non, pardon, par un chansonnier, ou plutôt par un joueur de grosse caisse, à moins qu'il s'agisse d'un lutteur de foire ou d'un docker, bref, par un écrivain qui était tout sauf un Aztèque et avait de la retourne, un camerluche de la prose capable encore de nous esbloquer avec son grand art de merlifiche, et pas stropiat de la plume pour un sou: Jean Richepin.
Truandailles – le mot désigne une tribu composée aussi bien de truands que de clochards et de gueux – vaut qu'on y plonge le blaire. On le sait, Richepin était un passionné d'argot, et ses nouvelles, qui fleurent parfois le Maupassant ou le Villiers de l'Isle-Adam, s'en distinguent par leur souci d'expressionnisme vernaculaire. Mais la prose de messire Jean est également remarquable par sa musculature. En ex-lutteur, il avance dans la foule des mots à coups de poing d'exclamation. S'il ne méprise pas la chute et le retournement, son grand avantage, c'est la liberté de mouvement. Il ne cisèle pas, il taille. Il aime l'errant, le vagabond, ce qui défie le fixe. Même sa langue se méfie de la nature morte, comme dans ce morceau de bravoure où il s'efforce de caractériser les oreilles d'une personne "d'une laideur laidement laide":
"Hum! Brumeux! Est-ce le mot juste? Un regard brumeux, oui; des yeux brumeux, passe; même une barbe en brouillard, cela encore on se le figure, à la rigueur; mais des oreilles brumeuses, et surtout un nez brumeux, est-ce facilement imaginable? Je ne sais trop; et pourtant il faut bien me contenter de cet à peu près. Plus je réfléchis à ce visage, moins je le trouve adjectivable."
On le voit, l'art de la chute n'est pas ici dans le tricotage de l'intrigue mais dans la phrase devenue pichenette.
On trouvera dans ce bouquet feuillu de quoi se papillonner l'arrière-gosier. On y croisera des monstres de foire embarrassés par des choquottes un lanceur de couteaux dont jamais la lame vengeresse ne dévie, un avorton contraint de rengainer son amour, une duchesse en quête de consécration, un douanier et ses mâtins, etc. Richepin, en grand ennemi des "idées chauves", s'avance nus pieds et tête haute dans la forêt des hommes, ange greffier marchant dans la foulée des parias.
Mais la nouvelle la plus étonnante de ce recueil est située dans des temps très antérieurs aux chiffes bancroches et aux gosselines mariolles. Elle narre, entre massue et mammouth, la violente et nécessaire naissance de la casquette, et l'on se dit qu'Alexandre Vialatte aurait aimé la signer:
"Loin, loin, très loin sur les ténébreux limbes des époques préhistoriques! En un temps plus ancien que l'ancien temps des derniers déluges! Avant la série des périodes glaciaires qui firent émigrer d'Europe en Afrique l'éléphant et l'hippopotame, et qui poussèrent du Nord dans nos forêts le bœuf porte-musc, le rhinocéros aux narines cloisonnées, le renne aux troubles prunelles de myope et le gigantesque mammouth à l'échine chevelue, aux flancs feutrés de laine rousse! Loin, loin, en reculant de plus e plus vers le primordial horizon dont le plan brumeux et vague donne une apparence toute voisine de nous, brutale et crevant les yeux, aux si jeunes Pyramides et aux légendaires histoires, ridiculement contemporaines, d'Ashshour-Bani-Abal, et de Nabou-Koudour-Oussou. Loin, beaucoup plus loin, non pas même par delà de simples centaines, mais par delà quelques bons milliets de siècles! A l'âge de la terre où les continents et les océans n'avaient point leur figure actuelle, si bien que la transitoire mappemonde d'aujourd'hui, en se regardant au miroir d'alors, se prendrait pour une autre planète! A l'âge de la terre que l'Himalaya lui-même doit trouver immémorial! A l'âge du ciel où les sept étoiles gelées ne pouvaient pas encore servir à fixer le clou d'or qui marque le nombril du pôle! Loin, loin, très loin sur les ténébreux limbes des époques préhistoriques!"
Si, après ça, vous hésitez encore à acheter ce livre, c'est que vous êtes une gniolle.







3 commentaires:

  1. Et dans Truandailles il y a aussi le joli sobriquet à rallonge dont se voit affublé le "paillasse-nain" Polyte. Quelque chose qui laisserait rêveur (maintenant qu'il a le temps de lire)certain président sorti : "Trois pouces de jambe et le cul tout de suite"...

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