jeudi 31 mai 2012

Facebook, le livre

Comme le disait Gérard de Villiers: "Le léger cliquetis du chien ramené en arrière fut absorbé par le grondement des quatre moteurs du DC 6 d'Air Congo qui grimpait pour échapper à une tornade précoce, en ce début d'hiver tropical." Mais passons. On ne peut pas tout lire, ni tout commenter. Les temps sont durs. D'arides épreuves nous attendent, comme la parution fin août de Jouissance, le dernier roman de Florian Zeller, passé chez Gallimard dans l'espoir d'avoir un prix à défaut d'une valeur (et dont on murmure déjà en coulisses qu'il est si mauvais que seul un avenir de bloque-porte pourrait le sauver d'un usage plus pernicieux mais non moins utile). Les temps sont durs, donc, disions-nous, même si la perspective de lire le nouveau livre d'Eric Chevillard, qu'on attend comme la plaie consentante le sel bienveillant nous aide à supporter bien des choses, parmi lesquelles la perspective de ne pas lire le prochain Djian (qui apparemment s'intitule Oh, et que publie le même Gallimard, mais là encore ça sent la blague carambar) ou le prochain Delerm (dont le titre, Je vais passer pour un vieux con, et que publie once more Gallimard, un éditeur qui apparemment compte fêter son centenaire pour la troisième fois consécutive, sent grave la blague carambar mais collée sous la semelle).
Que faire, donc, en attendant l'avalanche de rentrée qu'en sus nous contribuerons à aggraver à l'aide d'un roman à paraître chez Actes Sud ? Lecteur, détends-toi. Connecte-toi. Tu as entendu parler de Facebook? C'est un réseau qui permet aux gens de vérifier qu'ils en sont. Comme toutes les activités hormis le trait de génie et le grattage d'une allumette, Facebook est chronophage et bleu. Conçu pour les gens, il permet de partager des phrases, des images, des sons, un peu comme Internet mais en bleu (d'où son côté chronophage). Les gens aiment Facebook. Ils font des statuts (ce sont des phrases qui ne sont pas définitives). Ils se pokent (ça ne laisse aucune trace). Ils likent (pour prouver qu'ils ont peut-être lu ce que tu écris). Ils commentent (parce que la glose toujours). Mais surtout, les gens, sur Facebook, ont des profils. C'est là qu'intervient Mat Hild. Attends, je t'explique.
Mat Hild vient de sortir un livre chez l'éditeur (Flammarion) qui ne publie plus Florian Zeller, comme quoi il y a une justice. Ça s'appelle Et toi, t'es qui?, et c'est sous-titré Petite typologie des profils facebook, et c'est accompagné de super dessins d'Albin Christen, et c'est préfacé par Claro, le mec qui a co-traduit le premier volume des mémoires de Margaret Thatcher que je te déconseille de lire (l'auteur est une amie – Mat Hild, hein, je ne parle plus de Thatcher…, et j'ai préfacé son livre, ce qui fait donc de ce post un article de complaisance, mais je vous rappelle que nous sommes jeudi et qu'il fait beau, alors détendez-vous). Mat Hild y recense les divers profils des facebookistes: l'ex, le pokeur frénétique, le dragueur, le voisin d'enfance, le parano, l'intello, le rigolo, le policer hongrois (si, si…) etc. C'est à la fois sérieux et drôle. Sérieux parce qu'on défie à quiconque de ne pas se reconnaître dans un de ces profils (sauf si on rame encore sur myspace), voire dans plusieurs (on peut cumuler, comme au gouvernement). Drôle parce que Mat Hild à l'humour Woody Allen qui touche là où ça chatouille. Exemple:
Depuis que Facebook a inventé le partenariat domestique, c'est hyper tendance d'être en couple, alors qu'avant c'était plutôt révélateur d'une engonçure judéo-chrétienne. On ne va pas s'en plaindre, la love a refait son apparition, et on peut liker peinard ses manifestations, ce qui est beaucoup plus hype que de collectionner les navets avec Hugh Grant (même en VO).
Voilà. C'est délicieux, malin, parfois surréaliste ("au cas où le mystérieux porterait jarretelle"), souvent alerte ("popopop ne me fais pas le coup du balaiement d'un revers de main"), à tous les coups justifié ("souvent l'échange se clôt sur un bon mot, une panne de batterie, ou les enfants qui rentrent de l'école"), et neuf fois sur dix redoutable ("En 1932, ta grand-mère avait réussi à se débarrasser de son ex grâce à l'exode rural; avant elle, sa propre mère avait pu compter sur l'épidémie de grippe espagnole. Mais pour toi, pas de chance, il y a Facebook").
Comme le livre ne coûte que 9,95€, ça veut dire qu'en plus de te vendre le livre, le libraire va t'offrir une pièce de cinq centimes, que tu pourras mettre de côté en attendant la fin de la crise. C'est un livre que tu peux donc acheter, offrir, lire et même commenter et liker. Poke !



5 commentaires:

  1. J'applaudis évidemment.

    Je trouve néanmoins dommage que les premiers textes aient disparu de la revue en ligne. Même demande de purge de l'éditeur que pour l'Autobiographie des objets de François Bon ?

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  2. ah oui j'ai vu ça sur son site... C'est formidable, elle est drôle, est très fine... C'est impitoyablement juste

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  3. Mais ce sont des devenirs que réclame le penseur, des expériences réelles - très différentes
    des possibles anticipés ou "des pour et des contre" indéfiniment pesés - , des rencontres
    avec la virulence du Dehors, presque toujours dangereuses... .........................................
    Ce sont ces rencontres qui donnent "l'impulsion d'un mouvement infini qui nous dessaisit
    en même temps du pouvoir de dire je". page 196, Pour Deleuze, penseur du déclic in
    Les animaux malades du consensus, Gilles Châtelet éditions Lignes

    Contamination et sortir ses griffes, dans le tétragone augmenté en champs ouverts mais
    invisibles à l’œil nu sans la parallaxe.

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  4. lu tard dans la nuit après une soirée avec un groupe d'amis. Je n'en dirai pas plus car je suis Madame Propre (#33). Un gros like à Mat Hild pour ce livre génial !

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  5. Merci pour ce livre, je dirais même une belle parodie!

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