jeudi 8 mars 2012

Villepin perdu: éloge de la rustine

Il y a des livres dont on pressent très vite l'immense potentiel comique. Non seulement parce que leur auteur entretient avec la langue un lien ténu qui n'est pas sans rappeler le filet de bave qui va de la lèvre de l'imbécile au bol de soupe instantané, mais également parce qu'un seul coup d'œil suffit à confirmer ledit pressentiment: on touche alors à un domaine "hénaurme", où les perles ont bien de la chance si elles parviennent à enfiler autre chose qu'elle-même. Ce type de livres peut transformer une morne fin de soirée en épique pantalonnade. Ils deviennent vite cultes. Car leur avantage est considérable: quelle que soit la page à laquelle on les ouvre, on est certains de tomber sur une pépite. Le fait est que, neuf fois sur dix, de tels livres sont écrits par des hommes politiques. C'est comme ça, on n'y peut rien, les statistiques jouent en leur défaveur. Ils parviennent même à l'emporter sur les mémoires de footballeur ou les confessions d'actrices de sit-com. Aussi vous conseille-t-on, non pas d'acheter, mais de vous procurer le dernier livre signé par notre Maurice Carême national, Dominique de Villepin. Ça s'intitule Seul le devoir nous rendra libres. Bon, DDV a le chic pour les titres. Rappelons, pour mémoire: Le Requin et la Mouette (dont on attend désespérément la suite: Le cachalot et le hibou). Ou, non moins pétrifiant, Le cri de la gargouille (qui devrait être suivi, si tout se passe bien, par Le rire de la huche à pain). Dans ce livre de réflexions (ou plutôt: de reflets?), Dodo nous "livre les raisons profondes de son combat politique et dévoile le projet qu'il nous propose pour redresser la France", et c'est donc avec une avidité fébrile qu'on dévore ces 99 pages, sachant en outre qu'elles sont l'œuvre d'un amoureux de la littérature, se situant par ailleurs between the shark and the sea-gull.
La première partie s'intitule "Devant vous", ce qui la rend assez mystérieuse. Mais très vite, avec l'incipit, on comprend: "Devant ma page, je suis devant vous." Ah d'accord. Parce qu'en fait la page est comme un écran de télé à l'heure du JT.  Et ici il s'agit d'écrire. Mais qu'est-ce qu'écrire? C'est une question que je ne me pose pas assez souvent, et que je n'aurai plus besoin de me poser, d'ailleurs, puisque Dodo y répond: "Ecrire, c'est donner sa parole." Ah. Et lire, c'est donner son vote? Après, ça ne fait que dégénérer: "Je me présente à vous, et vous avez donc le droit de savoir qui je suis." Genre, on peut lever le doigt ou bien? Passons. Dodo nous raconte son laborieux parcours. Dans un accès de paulo-coehloïsme aigu, il nous assène cette vérité qui, croyez-moi, devrait, une fois citée après le fromage, faire de vous le héros de la soirée: "Réussir sa vie, c'est s'épanouir personnellement dans un rapport harmonieux avec la collectivité." Si quelqu'un d'autre sort cette phrase, vous pouvez toujours riposter par la suivante: "On espère plus de la France quand on est loin d'elle." 

Bon, on ne va pas non plus y passer la nuit. Donc, juste un frétillant florilège pour vous donner envie d'aller voir de plus près ce recueil de lieux non pas communs, mais terriblement singuliers:

• "Nous avions la croissance, nous ne l'avons plus." (p.23)
• "Et je vous dis qu'il faut cesser de croire ceux qui veulent vous donner l'illusion que les efforts, ce seront d'autres que vous qui les feront." (p. 25 — une phrase qu'il faut quand même relire plusieurs fois avant de rire vraiment)
• "Au bout de l'effort il y a une promesse." (p.26).
• "L'esprit de parti, c'est la culture de la rustine." (p. 35 – à ce stade-là, ce n'est plus une formule, c'est de l'alchimie…)
• "Des millions de personnes sont reléguées loin de l'emploi, avec peu de chance d'y parvenir." (p.39 — oui, ça c'est fort, vous vous imaginez, au chômage, dire à un ami qui vous croise: "Ah moi en ce moment je suis relégué loin de l'emploi". Et l'ami de vous répondre: "Et tu crois que tu as des chances d'y parvenir?"
• Des accidents industriels comme le déraillement du TGV chinois Pékin-Shangai donnent un peu de temps aux technologies occidentales." (p. 43 — sidérant, non?)

[!!! Attention spoiler !!!! la citation suivante donne la clé du livre: "Nous devons nous libérer de ces fardeaux en choisissant de nous doter de leviers." Bon, là, si vous n'êtes pas en train de vous étrangler avec le rouage du ridicule, je ne sais plus quoi faire…]

Allez, encore quelques-unes pour la route: "La crise, c'est une affaire de réflexes"; "la France doit brancher son économie sur les flux du monde"; "notre agriculture est à la croisée des chemins"; "le malaise des classes populaires est bien réel, parce qu'on ne leur a pas dit qu'il y avait un chemin dans la mondialisation"…
Comme disait Pierre Desproges: « Il ne faut pas désespérer des imbéciles. Avec un peu d'entraînement, on peut arriver à en faire des militaires.

3 commentaires:

  1. J'avoue être un peu déçu.
    Non que j'espère quoi que ce soit de profond de cet homme, mais d'un auteur tel, on attend des percées, des défis à l'entendement humain ; malheureusement, hors une poignée d'entre elles (celle sur le train chinois, en particulier), les phrases citées ici ne sont ni intelligentes, ni bêtes : elles sont médiocres, au sens où l'entendait Ernest Hello, c'est-à-dire mitoyennes : elles correspondent aux usages de notre époque, ou plus précisément aux usages de la politique de notre époque, activité de loisir (et de divertissement) qui n'a qu'un lointain rapport avec la discipline du même nom, avec l'engagement qu'elle suppose, avec l'instinct qu'elle exige.
    Pour en revenir à notre homme, je n'aurai qu'une parole à lui adresser : de grâce, Dominique, reviens-nous vite, car sincèrement, nous désespérons de te voir retrouver tes exaltations passées, des exaltations puissantes, furieuses, passionnées - des exaltations de cet ordre :
    « Pareil à l’enfant primitif, au rendez-vous des puissances tutélaires et des forces augurales, autour du feu crépitant des rimes douces ou sèches, je convoquais les faces sacrées, les mains élues, les noms glanés sur les chemins buissonniers du premier âge, quand tout reste encore à inventer. Pour rien au monde l’enfant-poème ne se fût séparé de son invisible et secrète armure, pas plus qu’il n’eût imaginé de plus beau goûter, de plus grand trésor. Il y avait l’espace infini, les lucarnes du ciel et de la mer. Il y avait l’absence et l’effroi et, pour les conjurer, tous ces mots de couleur. » (Éloge des voleurs de feu)

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  2. Ah bon, parce que DDV existe pour de vrai ? J'étais persuadée que Christophe Blain l'avait inventé. Du coup, vous êtes vraiment certain que ce bouquin n'a pas été écrit par les auteurs des œuvres de Botul ?

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  3. Claro, il faudrait te donner une médaille pour avoir tenu 99 pages. Allez, sois franc, c'était pour un pari ?
    Franck

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