vendredi 30 mars 2012

Finir un livre


J’ai fini – fini d'écrire le livre que j’écrivais. Mais sait-on ce que c'est, finir un livre? Déjà, quand il s'agit de lecture, on ne sait pas, ou plutôt on sait: soit le livre est fini, refermé sur son indigence, à mi parcours, jeté contre le mur du désintérêt, soit il a commencé à devenir infini, ouvert en tous temps, entier dans ses parties qu'il nous faudra décomposer et recomposer au gré de notre curiosité. Mais le livre qu'on écrit, qu'on a écrit, quand finit-il ? Quand l'abandonner? Quand décider qu'il s’est accompli?
Un livre n'existe qu’à le mesure de l'échec qu’il défie à chaque page. Sans cesse, il flirte avec des possibles qui n’étaient pas inscrits dans son génome fantasmé. Et parce que les possibles le nourrissent sans égard pour sa maturation, il lui faut tôt ou tard apprendre à mourir, à se refermer. La fin d'un livre n'est évidemment pas à sa fin. Peut-être son milieu enfin trouvé, car ce dernier est mobile, sauf aux yeux de ceux qui écrivent comme on rédige un chèque, d'abord la somme en toutes lettres, puis le destinataire, puis la date, et enfin le paraphe.
Un livre, donc, cherche sa fin. Il la cherche au début, à la fin, au milieu, il l'espère et la redoute, car cette fin qui n’est pas trépas n'a de sens que si l'organisme qui l’appelle sait s’y mesurer. Un livre a toujours plusieurs fins. Il y a la fin du point final, qui n'est qu'un faux symbole, une convention, quand tout, non pas s'arrête, mais se stabilise. L’instant où l'équilibre est atteint, depuis l'intérieur du livre. Il y a aussi la fin de l'inachevé, du laissé en suspens, de l'ellipse, etc.
Rien n'est, alors, fini. Bien sûr. On peut toujours. On peut encore. Ajouter, retrancher, corriger, déplacer. Entre le pas assez et le trop, la main de l’écrivain devenu ghost-writer de lui-même hésite. On est déjà le correcteur de soi. Détestation, convulsion. Un éditeur, ou un ami, ou les deux, vous aident. Chacun sa méthode. Se relire en s'écrivant. Se réécrire en se lisant. Le livre est fini et pourtant il recommence, quelque chose en lui exige d’ultimes sommations.
Un livre n'est jamais fini. Il ne s’achève que parce que le risque de recommencer est trop grand, trop hasardeux. Sa structure menace de se fissurer si l’on continue à l’éprouver. Finir un livre, c'est donc accepter, à défaut de le vouloir vraiment, que le travail sera désormais continuer mais par l’autre. Il faut « donner » le livre. Or ce don est d'autant plus fort qu'on n'a pas travaillé dans le sens de la donation. Jamais on n'a œuvré en vue d’un lectorat légataire. Bien sûr, certains écrivent pour un lectorat précis, et on les plaint. Ils visent des multitudes qui n'existent pas, hormis dans les pronostics et les listings de commerciaux qui seront vite remplacés par d’autres commerciaux, d’autres pronostics, d’autres listings.
Le lecteur ne peut naître qu'à la lecture. Il n'existe jamais avant que la première page soit tournée. Pour cela, l’écrivain doit se livrer à une cérémonie des adieux. Adieu à la structure (eh oui, il en faut, et plutôt cent qu'une), adieu au style (qu'on voulait flux mais qui sédimente vite, si vite), adieu aux personnages (pour ceux qui les croient proches plus que lointains)…
Adieu au livre, en tout cas, ce grain de riz qu’on rêvait cathédrale et qui un jour s'est révélé organique, séditieux. Parce qu'un livre ne se construit par sur des promesses mais se régénère sur des trahisons, s'impose dans ses bifurcations à l'auteur qui se doutait qu’il y aurait déflagration mais ignorait quel serait l’impact sur l'objet même.
Si je dis : « j’ai fini mon livre », je veux que ces mots, ce "je", ce "fini", ce "mon", ce "livre" volent en mille éclats dispensables dont « je », ce petit moi provisoire, n'a que faire, puisque justement le livre a pour but et résultat de me nier et me bousculer dans mon moi apprivoisé d'écrivain. On écrit par passion et détestation de la langue, qui est garde et chiourme, sotte et folle, sourde et labile. On écrit parce que la langue est un corps dont on ne veut pas, ne l'ayant pas choisi, mais héritée. 
Demain, ou plutôt un autre jour, si vous le voulez bien, nous parlerons de ce que c'est que de commencer un livre.

(merci à Joachim Séné et  à Carine [http://globallitteratur.wordpress.com/])

jeudi 29 mars 2012

Par le trou de l'écriture : Baker is back


Avec House of Holes – la maison des trous… –, qui sort bientôt aux éditions Bourgois sous le titre gentillet de La Belle Echappée, Nicholson Baker fait fort. Non content de subvertir le genre féerique, avec clin d’œil à Lewis Carroll et Frank Baum, entre autres, il fait de la pornographie une célébration lubrique – et lubrifiée – à mettre entre toutes les mains consentantes et majeures. Oh, l’histoire est simple, simple comme un coup tiré sans semonce, dans la pure tradition des contes et des légendes, si ce n’est qu’ici on frotte tout autre chose que l’antique lampe d’Aladin. Des hommes et des femmes, à la faveur d’un orifice (paille à cocktail, tambour de machine à laver, rond créé par la jonction du pouce et de l’index d’un bras sectionné, je vous passe l’inventaire des échappées belles possibles…), se retrouvent catapultés dans un monde où baiser, sucer, tripoter et autres variantes sont monnaie courante. Certes, ce monde fantasmatique a ses règles, ses interdits et ses peines, mais globalement chacun y assouvit tout ce qu’il souhaite assouvir, et même les sentiments, les affections, les regrets ont droit de cité. C’est délicieusement bandant, comme l’est assez rarement la littérature ouverte aux émulsions de la chair débridée, mais surtout c’est, mine de rien, sacrément subversif.
Car, non content d’adoptant le ton du récit féérique, voire « Young adults » pour ne pas dire « Small perverts », Baker se permet tout ou presque. Réveille-t-il le vice au sein d’une littérature prétendument naïve mais bien évidemment codée comme l’est celle qui met en scène des mondes merveilleux, ou règle-t-il le compte à la pornographie en la plongeant dans le bain idyllique du fantasme bon-enfant ? Un peu des deux, apparemment. Une fois introduit dans la Maison des trous, tout est possible, ludique, que ce soit le gang-bang consenti, le strip-tease filmé, le savonnage de couilles, le cum shot à profusion, etc. Bon, pas tout, quand même, car le sexe ici se joue entre adultes consentants, donc adieu pédophilie, zoophilie, philatélie et compagnie. Mais bon, ce que Baker s’amuse à tisser, c’est ni plus ni moins la vaste tapisserie des pulsions – américaines ? universelles ? – enfin délivrés des tabous, convenances et contrariétés dont la société s’enorgueillit.
Le principe Baker est ici on ne peut plus clair : le sexe est la chose au monde la mieux partagée, du moins dans l’intimité des chairs et la pudeur des consciences. Imaginons donc un lieu (payant pour les messieurs, on sent venir l’arnaque…), où baiser est non seulement possible « à la carte », mais ciblé, classifié, avec consultation de l’intéressé. Les participants apprennent donc, au fil de mésaventures riches en caresses prolongées et en panache de foutre, les règles nouvelles d’un plaisir débridé. Car il faut savoir parfois se retenir – de toucher, de reluquer –, et il y a même pornavion qui s'en va aspirer toute la grossièreté sexuelle accumulée chez les hommes. Le bordel de monsieur Baker n'est pas non plus l'open bar du sexe. C'est davantage un club où il faut montrer bite blanche. A peine arrivé, il faut être désinfecté et scanné pour vérifier qu'on n'a pas de maladie vénérienne. C'est quand même mieux que l'armée. Et globalement, ce sont les femmes qui fixent les règles. La patronne s'appelle Lila. Et quand Lila dit non, c'est non. Si on désobéit, eh bien on vous les coupe, mais comme on est sympa, on vous les rend un peu plus tard. Ah, il y aussi une voleuse de clito. Et des étalons sans tête. Des wonderwall mit glory holes. Des toboggans à friction. Ici, le magicien ose.
La pornographie n’a pas l’habitude de trôner ainsi, de façon profondément décomplexée, comme si les tabous étaient juste un gant empêchant la main d’approcher la vérité tactile. Pourtant, Nicholson Baker va plus loin. Il laisse monter au premier plan la puissance gaie du sexe, l’humour des positions, la facétie des sucs. Inventant sans retenue toutes sortes de désignations fantasques à nos appendices et à l’usage, possible et jubilatoire, qu’on est en droit d’en faire, concevant des dispositifs quasi rousséliens pour que ça jouisse à proportions, et ce toujours sur un ton primesautier.
Baker structure sa « maison des trous » comme un inconscient, mais un inconscient à thème, un inconscient devenu parc d’attraction, de fornication. Et nous y pénétrons d’autant plus volontiers que l’auteur a su employer la méthode la plus perverse qui soit : la douceur.
Stimulant, comme on dit dans l’espace interfémoral.

mercredi 28 mars 2012

Vandale anatomie: Cendrey signe

Comment entre-t-on dans un livre? Dans une lecture qui s'ignore encore lecture? Le livre est là, s'offrant bien souvent par une image que bouscule le titre, une image occupant l'intégralité de son visage, sa "couverture", presque au sens policier: et bien sûr l'image cache la forêt des mots. Mélancolie vandale, de Jean-Yves Cendrey (éd. Actes Sud) peut s'apprivoiser de bien des façons, même s'il est clair qu'ici le verbe "apprivoiser" contredit la grâce sauvage à l'œuvre dans ce roman. On peut donc l'aborder par un certain nombre d'angles, telles des flèches cherchant la plaie nécessaire.

Le titre: il coule sur la langue, en apparence sirop, formule magique, un peu miroir dans sa sonorité, avec ce tremblé particulier né de l'oxymore. Il nous dit que le roman sera peut-être ça, une "mélancolie", et qu'il faudrait alors entendre le mot "mélancolie" comme s'il désignait un genre littéraire, ne possédant néanmoins qu'un seul titre, celui de Cendrey.

On lit aussi, sous le titre, cette précision: roman rose. Qu'est-ce qu'un roman rose? Oh, on devine bien qu'ici il ne faut pas chercher du côté de la collection Harlequin, et que si eau de rose il y aura, elle sera passée au filtre de bien des acides. Alors pourquoi ce "roman rose"? Roman de la rose? Verra-t-on la chevalerie renaître? Un croisé crispé, une coupe de sang? Mais l'on entend bien sûr autre chose, tout autre chose, qui tient du miracle, et donc de Genet, Jean Genet, puisque rose est fleur et couleur, code et sexe, aussi.

Allons, il faut entrer dans le livre, y pénétrer ou s'en pénétrer, ce qui est la même chose une fois l'alchimie déclenchée. On peut entrer par le début, mais encore faut-il savoir où le livre commence, s'il commence vraiment là où sa pagination nous dit qu'il commence. Est-ce page 7, où un texte, composé dans une justification qu'on sent aussitôt plus étroite que le corps du texte, comme il sied à toute sérrure, est précédé d'un chapeau composé en gras, de confection journalistique. L'usage du gras est rare dans le roman, il nous dit donc: attention, je n'ai pas encore commencé, pas tout à fait, ce texte est une coupure de presse, ressemble à une coupure, mais qui dit coupure dit déchirure, et je ne montre que ce que je veux montrer. Et page 8, la coupure cicatrise, signé "J.-P. C (avec FP)" et datée 1990. Le lecteur ne peut encore rien faire de ces initiales, sinon les lire en décalage de celles de l'auteur, constater qu'un P semble avoir chassé le Y. Le lecteur peut aussi ne pas s'attarder, juste se méfier, et ce d'autant plus qu'il voit déjà, sur la page suivante, la page de droite, un 5 qui chiffre ici le premier chapitre.

Ce "5" est sournois, car aussitôt on a envie, non pas de tourner simplement la page pour enfin entrer dans la matière vivante du livre, mais de feuilleter l'ouvrage, afin de comprendre à quel conte [sic] à rebours on a affaire. Alors on feuillette, le regard s'attardant comme il peut, s'il le veut, sur des paragraphes, mais cherchant les interstices, les autres pages de titre, en quête des autres chiffres, tout en sachant pertinemment qu'il ne pourra rien déduire de bien concluant d'un simple écrémage. Au pire – au mieux ? – il cherchera en fin de volume une table des matières susceptible de l'édifier quant à l'architecture de ce qu'il va lire, ne trouvant en sa place qu'un mot, composé en italique, une injonction plutôt, qui, ô miracle, lui ordonne, à sa façon perverse, de retourner au début, de chercher le début.

Entrer en lecture ne se fait donc pas naturellement, comme on s'évanouit ou s'endort. On tâtonne, on palpe. On retarde un peu – crainte ? plaisir des préliminaires ? – le moment de se faire dévorer par une grammaire qu'on sait autre – puisque c'est Cendrey qui signe, et que sa prose n'est pas de celle qui ménage.

Enfin, on lit, c'est-à-dire qu'on s'assoit, enfin on croit qu'on est assis, même si tout reste mobile, sismique. Et le livre, alors, parle. Il lui faut parler, montrer quelle est sa langue. Quelqu'un sort de prison, avec le sourire, et on pense tout de suite à une autre sortie de prison, celle de Franz Biberkopf, sauf que dans Berlin Alexanderplatz, Franz ne sourit pas, et Döblin ne parle bien sûr pas du ciel, mais on y pense quand même. Cendrey, lui, parle du ciel, ou plutôt le réinvente dans un premier paragraphe puissant, anaphorique, une strophe qui nous dit aussi: j'agirai ainsi, parfois ainsi, par strates, je ne lâcherai pas le morceau, et vous l'avalerez en même temps que moi, vous déglutirez en même que moi, parce que la langue se mâche, aussi:

"Le ciel est au plus bas sur la ville aplatie, écrasée de neige vieille. Un genre de ciel indéchirable, mais poreux, tout fripé et moisi, d'où suintent les eaux usés du paradis. Le ciel, la lourde bâche qui dépolit le jour et rembrunit la nuit, pendouille, portée par de trop rares supports: des cloches de cuivre, les beffrois de pierre des mairies, les cheminées qui vont par trois des centrales électriques […]. Le ciel, la mauvaise bâche qui ne protège de rien, laisse le vent entrer, la glace se former puis la neige s'engouffrer, la torpeur envahir, celle des fins février. Quand quand quand."

Le lecteur a donc lu la première – ? –  page. A lu/vu plusieurs choses, sur plusieurs plans. Il a vu l'entrée du livre, vu le ciel, un ciel qui n'existe que dans cette page, qui naît à même la page, vaguement baudelairien au premier coup d'œil puis de plus en plus autre, étranger, raclé, un ciel que la main peint, brosse, rend concret. Le ciel devient la page, le ciel se fait strophe. Le lecteur lit aussi des mots, la façon dont ils pactisent dans cette bataille qu'est le livre : ainsi, "neige vieille" — non pas "neige ancienne", "neige d'antan", ou même "vieille neige", mais "neige vieille" – comme un accord volontairement en rupture avec l'harmonie, qui nous dit: oui, je vais tourmenter la phrase, discrètement, comme on pince en douce un bras. Parfois je la giflerai, aussi, vous verrez. Pour vous, en vous, vous verrez. Et quand le paragraphe s'achève sur ce triple "quand", le lecteur sait qu'il est entré dans un monde à part, un monde où le langage mène la danse, donne le la, les coups, casse le temps: quand quand quand. Quelle est cette étrange trinité sonore? Bégaiement? Clou planté? On verra, on lira, on apprendra. Le début d'un livre est gammes, gammes violentes mais gammes – ou plutôt arpège, accord/désaccord. Alors non, ce ne sera pas une petite sonate. Le piano est préparé, au lecteur de l'être aussi.

Cendrey – comme Flaubert, comme Genet – "incube" le lecteur. On ne peut le lire sans éprouver, à chaque ligne, cette carne articulée qui se rêve langue et dont l'auteur maîtrise à la fois les infimes fracas et les rêches fulgurances, nous rappelant ainsi qu'un livre est avant tout – avant d'être une histoire – un risque, une aventure, une grammaire aux ruines vivaces, où tout fait défi, où les règles sont fourbues, magnifiées. Un livre, à la lecture, qui s'écrit encore, dans la bouche du lecteur, à la fois violent et généreux.

Mélancolie vandale? Ce pourrait être une étrange mais point trop erronée définition de ce qu'est, de ce que peut être, aussi, la lecture, puisque par tout texte on est déjà passé, langue oblige, puisque lire c'est aussi détruire, détruire la langue commune, semer derrière soi des vestiges qui sans cesse se relèvent, sans cesse se rebiffent. Lecteur vandale, impuni, ravi, tu sais où aller.

mardi 27 mars 2012

Les melons de la colère

Fin 2010, H. Micol nous avait passionné avec sa titanesque Planètes des Vulves qui, rappelez-vous, avait bien failli créé la surprise et remporter le prix Goncourt. Cette année, tout est encore possible avec un opus signé Bastien Vivès et intitulé Les Melons de la Colère. Paru l'an dernier, il reste néanmoins d'une actualité brûlante, incisive, voire humide. Avec ce roman noir, comme la couleur du même nom, illustré sobrement par des dessins interdits aux mineurs mais recommandés à quiconque aime se— bon bref, le lecteur aura enfin quelque chose de substantiel à se mettre sous la main droite. Cet ouvrage, nous prévient l'éditeur, "s'adresse à un public jeune, cool et féru de x-trem porn, habitué à passer de nombreuses heures, seul, sur Internet". Il est rare qu'un éditeur se préoccupe à ce point de son lectorat, et nous ne pouvons que le remercier d'une telle sollicitude.
Ce livre sans fard ni chichi met crument en scène un drame érotico-rural, habité par l'idée d'injustice, et à forte dominante mammaire. La jeune Magalie, trayeuse de son état, souffre d'une poitrine surabondante et ses parents, d'humbles agriculteurs sans le sou, hésitent à débourser pour soulager chirurgicalement ses souffrances. Heureusement, le véto est là, le maire pas très loin, et avec lui tous un tas de conseillers et de proches, fascinés par l'avantage certes un peu excédentaire de la douce Magalie. Las, ces notables ne vont pas vraiment soulager Magalie, mais plutôt lui apprendre les règles de bienséance du gang-bang. Le père se vengera-t-il. Nous n'en dirons pas plus. De même que nous ne dévoilerons pas les passionnantes et très utiles publicités à la fin de l'ouvrage, sinon pour dire que si vous avez une montre à affichage digitale, tapez les chiffres 3538 3773, puis faites le poirier sur un mur au préalable ravalé et vous comprendrez. Pour ceux que ça intéresse, vous découvrirez également le secret des acteurs de films X, dont l'érection permanente méritait que soit dévoilé le pot aux… bon, bref, c'est une forme de littérature qui a acquis ses lettres de noblesse et on s'en félicite. En plus, il y aussi les aventures de Ratounet, ou comment transformer la corvée de l'aspirateur en plaisir absolu.
Le printemps est là, et pas qu'un peu.

lundi 26 mars 2012

Le Believer monte en l'air

La version française de l'excellente revue The Believer vient de sortir aux éditions Inculte, customisée, mais toujours ornée des chouettes faciès made in Charles Burns.
Le comité Inculte a assuré la sélection des textes, et Les Legendre Brothers ont peaufiné la mise en page. La parution sera trimestrielle.
Le sommaire est au poil, on y trouve aussi bien l'impeccable Laird Hunt que l'indispensable Greil Marcusk et il y a même Zadie Smith qui nous parle de Derrida, ainsi qu'une porte blindée de 25 tonnes derrière laquelle se cacheront en cas d'attaque nucléaire les membres du Congrès qui savent courir le plus vite, c'est pour dire. Hop, sommaire:


Mes lectures, par Nick Hornby
Conversation avec Don DeLillo, par Greil Marcus
Shoot, par Stephen Elliott
Les souffrances du jeune Marx, Par Sam Stark
Rencontre avec Daniel Clowes, par Nicole Rudick
Entretien avec Steve Carrell, par Kathryn Borel
Christiana : la fin d’une utopie, par Porter Fox
Leçon de savoir-faire, par Zadie Smith
Glenn Gould et Thomas Bernhard, l’impossible rencontre, par Jonathan Taylor
Damon Albarn et Paul Simonon interviewés par Nick Coleman
Entretien avec Harry Mathews, par Laird Hunt
La culture du Bunker, par Alena Graedon
Les écrivains hypocondriaques, une fresque d’Ivan Brunetti
La littérature de la disparition, par Jeannie Vanasco
Mon Top 10 : Amy Winehouse & The Shangri-Las, par Greil Marcus

Ce numéro de printemps méritait un lancement. Il aura lieu jeudi 29 mars à la librairie Le Monte-en-l’air (Paris 20e, métro Ménilmontant). C'est à partir de 19 heures. Harry Mathews a dit: "Ce qui se passe sous la couverture d'un livre reste sous la couverture" d'un livre. Venez nombreux le 29 mars pour prouver le contraire (sauf si vous venez d'être recruté par la CIA, bien sûr).




vendredi 16 mars 2012

Lire / élire



Lire élire

"Le Salon du Livre de Paris se prépare à ouvrir ses portes. Depuis 2007, date de son accession à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy, contrairement à tous ses prédécesseurs, n’y a encore jamais mis les pieds. Adepte des marathons au Salon de l’Agriculture, familier du Bourget où règne l’ami Dassault, coutumier du Mondial de l’Automobile du camarade Carlos Goshn, il n’aura donc pas trouvé, en cinq ans, une demi-journée, pas même une heure ou deux, à consacrer au livre.

Quoi que les Français décident en mai prochain, l’histoire retiendra que jamais un président de la République ne s’en sera autant pris à la culture – il aura d’ailleurs été le seul à ne jamais en faire aucun cas. Nous gardons en mémoire son offensive idiote contre La Princesse de Clèves (œuvre dont les amateurs de littérature considèrent qu’elle fonde, rien de moins, le roman moderne), offensive qui sonnait aussi comme un lapsus : celui d’une certaine haine de la culture et d’une forme assumée de mépris de classe : comment voulez-vous qu’un(e) guichetièr(e) puisse lire, encore moins aimer, le texte de Madame de La Fayette ? De même que nous gardons en mémoire le déshonneur des attaques du camp présidentiel contre Marie N’Diaye, prix Goncourt, sans que jamais le président de la République ou son ministre de la Culture n’y trouvent à redire. Comme nous gardons en mémoire, encore, la farce avortée du transfert des cendres d’Albert Camus au Panthéon. Chacun complètera la liste à loisir.

Nicolas Sarkozy a donc attenté à la culture.
Il a remis en cause l’exception culturelle qui, pour partie, fonde la République. Non content de s’être engagé dans la dérisoire pantalonnade que fut le Conseil de la Création artistique (lequel, en dépit des talents individuels qui le constituaient, se révéla aussi budgétivore qu’inutile), le président-candidat aura mis toute son application à saper l’idée même d’un ministère de la Culture digne de ce nom : le livre, relégué au rang de simple service, ne dispose plus d’une Direction à part entière, tandis que les Directions régionales des Affaires culturelles voient leurs crédits fondre, que les nominations n’ont jamais été aussi discrétionnaires, que les subventions n’en finissent pas de baisser (quand elles ne sont pas supprimées), et que les établissements publics se contentent de souffler dans le sens du vent en singeant les agences anglo-saxonnes.

En imposant une hausse de la tva (désormais fixée à 7 %), le président-candidat prouve qu’il n’a ni compris, ni même perçu, la fragilité du secteur : après avoir guerroyé contre l’Union européenne pour imposer une baisse du taux dans la restauration, Nicolas Sarkozy aura fait la sourde oreille avec les auteurs, éditeurs et libraires qui, unanimes, continuent de tirer la sonnette d’alarme. Ici aussi, ici encore, le ministre de la Culture, mis devant le fait accompli, n’aura pesé pour rien : inaudible, invisible, impotent, il aura sans doute préféré conserver son poste et continuer d’affaiblir une fonction ministérielle qui n’en demandait pas tant. Depuis, il ne cesse d’ailleurs d’apporter de nouvelles preuves de sa méconnaissance des enjeux, répétant à qui mieux mieux que la hausse de la tva ne représentera guère que 30 centimes d’euros d’augmentation sur le prix de vente d’un livre. Mais qui chiffrera les heures de travail des libraires ? Qui compensera les pertes sèches sur les livres de fonds (l’âme de la librairie) ? Pour la librairie indépendante, pour la petite et moyenne édition, pour les écrivains eux-mêmes, la mesure aura, a déjà, des répercussions, répercussions d’autant plus dramatiques que le secteur souffre déjà des mille effets conjoints de la crise et d’une surconcentration capitalistique qui n’en finit pas de saper l’ambition proclamée de la diversité.

Ce qui fut à l’œuvre, en vérité, durant les cinq années de ce triste mandat présidentiel, c’est donc un mépris permanent, inégalé, pour la culture, le livre et la connaissance : pour tout ce qui, en fait, ne se consomme pas sur place. Ce qui fut à l’œuvre, c’est l’affaissement d’une République dont les figures tutélaires eurent pour noms Voltaire, Hugo, Jaurès, Blum, Péguy, Bernanos, de Gaulle, Mauriac, Malraux, Sartre ou Lindon : c’était avant que la mystique se dégrade en spectacle et finisse par arborer le rictus de Jean-Marie Bigard ou de Doc Gynéco.

Le livre n’existe pas en dehors de la Cité. écrire n’est pas un acte éthéré dont le monde serait absent : sans l’être expressément, l’acte charrie aussi sa part d’engagement. Nous ne sommes pas nécessairement d’accord sur tout, nous ne sommes pas pareillement militants, mais nous avons en commun cette conviction : en méprisant la culture, c’est la République elle-même que Nicolas Sarkozy expose ; c’est une certaine idée, non seulement de la France, mais de ce qui fait vivre et tenir les hommes ensemble, qu’il décide de passer sous les fourches caudines de la « profitabilité » financière et de la raison « managériale ». Au moment où il brigue un second mandat présidentiel, qu’a-t-il donc à proposer aux artistes, écrivains, éditeurs et libraires, qui soit de nature à les soutenir et qui ne relèverait pas de promesses seulement destinées à recueillir leur onction (électorale) ?

Il lit, dit-il. Devrions-nous l’élire ?"

Signataires: Philippe Annocque, écrivain ; Claro, écrivain ; Nathalie Lacroix, libraire ; Laure Limongi, éditrice ; Lionel-Edouard Martin, écrivain ; Vincent Monadé, directeur du MOTif ; Romain Verger, écrivain ; Marc Villemain, écrivain et éditeur.


[Ce "point de vue" est paru dans l'édition du 16 mars du journal Le Monde]

jeudi 8 mars 2012

Villepin perdu: éloge de la rustine

Il y a des livres dont on pressent très vite l'immense potentiel comique. Non seulement parce que leur auteur entretient avec la langue un lien ténu qui n'est pas sans rappeler le filet de bave qui va de la lèvre de l'imbécile au bol de soupe instantané, mais également parce qu'un seul coup d'œil suffit à confirmer ledit pressentiment: on touche alors à un domaine "hénaurme", où les perles ont bien de la chance si elles parviennent à enfiler autre chose qu'elle-même. Ce type de livres peut transformer une morne fin de soirée en épique pantalonnade. Ils deviennent vite cultes. Car leur avantage est considérable: quelle que soit la page à laquelle on les ouvre, on est certains de tomber sur une pépite. Le fait est que, neuf fois sur dix, de tels livres sont écrits par des hommes politiques. C'est comme ça, on n'y peut rien, les statistiques jouent en leur défaveur. Ils parviennent même à l'emporter sur les mémoires de footballeur ou les confessions d'actrices de sit-com. Aussi vous conseille-t-on, non pas d'acheter, mais de vous procurer le dernier livre signé par notre Maurice Carême national, Dominique de Villepin. Ça s'intitule Seul le devoir nous rendra libres. Bon, DDV a le chic pour les titres. Rappelons, pour mémoire: Le Requin et la Mouette (dont on attend désespérément la suite: Le cachalot et le hibou). Ou, non moins pétrifiant, Le cri de la gargouille (qui devrait être suivi, si tout se passe bien, par Le rire de la huche à pain). Dans ce livre de réflexions (ou plutôt: de reflets?), Dodo nous "livre les raisons profondes de son combat politique et dévoile le projet qu'il nous propose pour redresser la France", et c'est donc avec une avidité fébrile qu'on dévore ces 99 pages, sachant en outre qu'elles sont l'œuvre d'un amoureux de la littérature, se situant par ailleurs between the shark and the sea-gull.
La première partie s'intitule "Devant vous", ce qui la rend assez mystérieuse. Mais très vite, avec l'incipit, on comprend: "Devant ma page, je suis devant vous." Ah d'accord. Parce qu'en fait la page est comme un écran de télé à l'heure du JT.  Et ici il s'agit d'écrire. Mais qu'est-ce qu'écrire? C'est une question que je ne me pose pas assez souvent, et que je n'aurai plus besoin de me poser, d'ailleurs, puisque Dodo y répond: "Ecrire, c'est donner sa parole." Ah. Et lire, c'est donner son vote? Après, ça ne fait que dégénérer: "Je me présente à vous, et vous avez donc le droit de savoir qui je suis." Genre, on peut lever le doigt ou bien? Passons. Dodo nous raconte son laborieux parcours. Dans un accès de paulo-coehloïsme aigu, il nous assène cette vérité qui, croyez-moi, devrait, une fois citée après le fromage, faire de vous le héros de la soirée: "Réussir sa vie, c'est s'épanouir personnellement dans un rapport harmonieux avec la collectivité." Si quelqu'un d'autre sort cette phrase, vous pouvez toujours riposter par la suivante: "On espère plus de la France quand on est loin d'elle." 

Bon, on ne va pas non plus y passer la nuit. Donc, juste un frétillant florilège pour vous donner envie d'aller voir de plus près ce recueil de lieux non pas communs, mais terriblement singuliers:

• "Nous avions la croissance, nous ne l'avons plus." (p.23)
• "Et je vous dis qu'il faut cesser de croire ceux qui veulent vous donner l'illusion que les efforts, ce seront d'autres que vous qui les feront." (p. 25 — une phrase qu'il faut quand même relire plusieurs fois avant de rire vraiment)
• "Au bout de l'effort il y a une promesse." (p.26).
• "L'esprit de parti, c'est la culture de la rustine." (p. 35 – à ce stade-là, ce n'est plus une formule, c'est de l'alchimie…)
• "Des millions de personnes sont reléguées loin de l'emploi, avec peu de chance d'y parvenir." (p.39 — oui, ça c'est fort, vous vous imaginez, au chômage, dire à un ami qui vous croise: "Ah moi en ce moment je suis relégué loin de l'emploi". Et l'ami de vous répondre: "Et tu crois que tu as des chances d'y parvenir?"
• Des accidents industriels comme le déraillement du TGV chinois Pékin-Shangai donnent un peu de temps aux technologies occidentales." (p. 43 — sidérant, non?)

[!!! Attention spoiler !!!! la citation suivante donne la clé du livre: "Nous devons nous libérer de ces fardeaux en choisissant de nous doter de leviers." Bon, là, si vous n'êtes pas en train de vous étrangler avec le rouage du ridicule, je ne sais plus quoi faire…]

Allez, encore quelques-unes pour la route: "La crise, c'est une affaire de réflexes"; "la France doit brancher son économie sur les flux du monde"; "notre agriculture est à la croisée des chemins"; "le malaise des classes populaires est bien réel, parce qu'on ne leur a pas dit qu'il y avait un chemin dans la mondialisation"…
Comme disait Pierre Desproges: « Il ne faut pas désespérer des imbéciles. Avec un peu d'entraînement, on peut arriver à en faire des militaires.

mercredi 7 mars 2012

Colin First

Il y a quelques semaines sortait aux éditions Sonatine Blue Jay Way, le roman de Fabrice Colin. Jérôme Dayre (le timonier cool d'Atout-Libre) et Pacôme Thiellement (le farceur musicien du chaos) ont décidé de marquer le coup en invitant l'ami Colin pour une rencontre qu'on espère protéiformidable. Il sera question de la profondeur du chagrin et de la largeur des piscines californiennes, de l'impossibilité de reparler des Beatles après un certain événement, du père de Hamlet et des records de natation d'Ophélie, des bienfaits négligeables de la drogue et des pièges que nous nous tendons avec une délectation sans borne. Il sera question du monde tel qu'il est, et du monde tel qu'il pourrait ne pas être. Dix centimes seront reversés à la Confrérie rutilante des Spectres (CRS) chaque fois que le nom de David Lynch sera prononcé. Bref, il sera question du rêve sous sa forme la plus dangereuse: le soupçon.
Pour entrer, il suffit de retenir le sésame suivant: "Tu n’existes pas à Hollywood tant que personne ne souhaite ta mort..."

Ça se passe demain, ou plus exactement Jeudi 8 mars 2012 à 19h30 — Lieu :à la librairie Atout-Livre, adresse: 203 bis avenue Daumesnil, 75012 Paris. En attendant, n'oubliez pas: there's a fog upon L.A. et on peut lire le blog de Colin ici.

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Fabrice Colin, Blue Jay Way, éditions Sonatine