mercredi 31 août 2011

Evilfrance, série rouge







Publié par Evilfrance en mars 1987 dans la Série Rouge, Justice Primitive, est l'œuvre du dessinateur italien R. Santilli, à qui l'on doit également des interventions dans les publications suivantes:

Cornards, Histoires Noires, Mafioso, Maniak, Meufs, Orient Sexpress, Raptus, Série Blanche, Série Orange, Série Rose, Série Verte, Série Violette, Super-Diabolique…

mardi 30 août 2011

Les instructions de la rue de Nemours

Soirée de rentrée inculte le 1er septembre
Les éditions inculte vous invitent à découvrir leurs livres de rentrée le jeudi 1er septembre, à partir de 19h30, autour d’un ou de plusieurs verres.

En présence d’Adam Levin, auteur du roman Les Instructions (traduit de l'américain par Barbara Schmidt et Maxime Berrée), d’Éric Sadin (Les Quatre Couleurs de l’apocalypse, La Société de l’anticipation), et des membres du comité inculte (Mathias Énard, Maylis de Kerangal, Oliver Rohe, Nicolas Richard, Mathieu Larnaudie, Claro, Arno Bertina, Bruce Bégout, Stéphane Legrand, Hélène Gaudy, Johan Faerber).
 
Rendez-vous le 1er septembre, à partir de 19h30 au 3 rue de Nemours (Métro Oberkampf ou Parmentier)

lundi 29 août 2011

Elémentaire mon cher : Stockholm


Claude Simon, Discours de Stockholm, éd. de Minuit, 5,50€

Le discours prononcé par Claude Simon aux membres de l’Académie Nobel n’est pas prêt de prendre des rides. Il se veut, en partie, une réponse aux critiques (disons plutôt : aux lazzi) adressées à l’œuvre de Simon après l’annonce de l’attribution du prix Nobel de Littérature à son auteur. Non pour se plaindre, mais pour tirer de cette réaction assez désagréable un enseignement. Que lui reprochait-on ? Oh, plusieurs choses. Tout d’abord d’avoir bénéficié de l’entregent du KGB, prétendument infiltré dans l’Académie suédoise. Passons sur cette accusation dont Simon, non sans humour, tire une facétieuse fierté.  Ensuite d’être un auteur « difficile », « ennuyeux », « illisible », voire « confus ». Vieilles lunes, mais qui continuent d’encombrer le ciel littéraire. Enfin, d’écrire des romans sans « commencement ni fin* ». A toutes ces remarques**, dont il convient d’entendre la violence, Simon répond avec calme et méthode, s’expliquant sur la notion d’art pour l’art, d’artificiel, etc. Il répond même à la question que s’était posée alors un critique (plus à lui-même qu’à son lectorat, suppose-t-on), question ainsi formulée : « En décernant le Nobel à Claude Simon, a-t-on voulu confirmer le bruit que le roman était définitivement mort ? » Réponse du concerné :

Il [le «critique»…] ne semble pas s’être encore aperçu que, si par « roman » il entend le modèle littéraire qui s’est épanoui au cours du XIXe siècle, celui-ci est en effet bien mort, en dépit du fait que dans les bibliothèques de gare ou ailleurs on continue, et on continuera encore longtemps, à vendre et acheter par milliers d’aimables ou terrifiants récits d’aventures à conclusions optimistes ou désespérées, et aux titres annonceurs de vérités révélées comme par exemple La condition humaine, L’espoir ou Les chemins de la liberté

Dépassant très vite l’opposition roman / antiroman, dont il n’a que faire, Claude Simon oriente alors son analyse vers un point sensible, celui de la description, dont il montre la montée au front à partir de Balzac, avec pour conséquence la mise à mal du primat de la narration. Mais ce qui brille le plus dans le discours de Simon, c’est sans doute cette phrase de Paul Valéry, citée à la page 23, et qui, dans un monde idéal, devrait suffire à clore plus d’un bec :

« Si (…) l’on m’interroge, si l’on s’inquiète (…) de ce que j’ai voulu dire (…), je réponds que je n’ai pas voulu dire mais voulu faire, et que c’est cette intention de faire qui a voulu ce que j’ai dit. »

La phrase vaut son pesant de sagesse. Sous son aspect rhétorique, elle a tout d’une arme précise, à la visée impeccable. Il faudrait la lancer à qui vous somme de vous expliquer sur votre « vouloir-dire ». Mais la littérature est « savoir-faire », justement, et non « devoir-rétorquer ». Elle fait ce qu’elle dit, au sens où elle le fabrique, dans le présent toujours recommencé de l’écriture. Lecture d’été ? Lecture d’étant. Non mais.

* Notons toutefois qu’au mépris du critique envers une fiction éclatée répond parfois la condamnation de tout narratif par certains tenants de l’expé. Toute immersion un peu trop prolongée dans le récit est jugée suspecte par ceux qui croient que narration = collaboration. C’est là une farce picrocholine qui n’attend qu’un Alcofribas moderne pour être moquée.
** Je ne sache pas que l’attribution du Nobel à Le Clezio ait déclenché pareille levée de boucliers. Est-ce parce que l’œuvre de ce dernier est jugée moins radicale ? ou parce que la fierté nationale est désormais mieux cotée que la haine envers l’écriture non conventionnelle ?

vendredi 26 août 2011

L'instant crucial du tirage au sort

Et si c'était lui, le livre phare de la rentrée? Celui qui va détrôner tous les aspirants au petit podium littéraire? Le futur best-seller indépassable? Avec son style minimaliste mais non dénué de pertinence et d'acerbité, il semble bien parti pour nous faire oublier Funkinose et consorts. Moins puissant qu'un roman de Didier Joyce, certes, mais à mille lieues au-dessus d'un Roland Modiano. La véritable surprise, inimitable. A la fois récit des temps passés, farce ethnologico-rurale, livre d'art et album-concept – bref, un "joli geste technique". Son titre est en soi un monument: Aucune photo ne peut rendre la beauté de ce décor. Il est signé Taroop & Glabel, et ce sont les éditions Semiose qui l'ont publié. Forcez votre libraire à l'avoir, le commander, le vendre, se réassortir. Acquisitionnez-le puis rêvouillez. Une expérience olibriante dont vous ne ressortirez pas indemnisé. Car, comme il est dit à un moment de cet ouvrage nonpareil, "on peut également découvrir le Népal par voie gustative." [Je remercie chaleureusement Jérôme Dayre, le libraire d'Atout-Livre, qui m'a offert ce livre alors que j'errais, inconsolable, parmi les rayons des nouveautés, globalement échevelé et un tantinet livide. Merci également à Aude Samarut qui savait que ce livre m'aiderait à supporter le retour sur terre. Grâce à eux, je puis dire, pour reprendre une des belles phrases de ce chef d'œuvre, que "le monument aux morts fait peau neuve."]

Un chien sinon rien: Chevillard à la curée


Eric Chevillard, Chiens écrasés, précédé de Introduction à la zoolâtrie, et suivi de Tigres écrasés, Le Tigre, 2011

Il y avait l’Hécatombe à Diane, d’Agrippa d’Aubigné, ce charmant recueil où l’auteur des Tragiques sacrifiait généreusement une centaine de bovidés pour convaincre sa muse du bien-fondé de ses aspirations amoureuses. Il y a désormais les Chiens écrasés d’Eric Chevillard. Le toutou est, en effet, notre bœuf moderne. Moins cornu mais tout aussi sacrifiable, il se doit de périr afin que le cœur de l’homme, affranchi de ses oppressions, s’envole plus aisément vers le lecteur. Eric Chevillard, en scribe zélé, s’ingénie donc à renvoyer au paradis des canidés tout ce qui mord, aboie, geint et griffe le cuir de nos canapés. Il recense, avec une précision qui confine au sadisme, les trépas, nombreux et variés, auxquels sont conviés les descendants de Toto et Milou, hissant ainsi l’art de Fénéon à des sommets zoocides encore inégalés. Exemple : « Entre le marteau et l’enclume, mais que cherchait donc là Mimi ? »
Le projet pourrait paraître frivole, quoique sanglant, du moins si l’on en reste aux apparences. Simple exercice de détestation ? Pas sûr. En effet, un examen des manuscrits préparatoires de Chiens écrasés, obligeamment prêtés par l’auteur au rédacteur de ce blog, nous a permis d’accéder à un précieux sous-texte. Au départ, et nous espérons que cette révélation sera appréciée à sa juste et indispensable valeur, Eric Chevillard avait intitulé son recueil Jardin broyé. Et en guise des nombreux patronymes canins qui figurent dans ce texte (qu’on peut trouver dans toutes les bonnes librairies intéressées pas les publications du Tigre éditeur), un seul nom revenait avec la constance d’une idée fixe : Alexandre. Exemple : « C’était la première fois que la gentille petite Julie préparait une soupe pour sa maman. Mais il y a de la morve sur les lames du mixer et Alexandre a disparu. »
Le déplacement opéré lors du travail final est donc à la fois une tentative de camouflage de l’objet honni et un procédé zoomorphique visant à renvoyer l’écrivaillon jardinier à sa niche fatale. La SPA ne s’y est pas trompée, qui a refusé, malgré les pressions, de traîner Eric Chevillard devant les tribunaux pour appel au meurtre canin.
C’est avec une impatience non mitigée que nous attendons le prochain livre de l’auteur de Démolir Nisard, dont on connaît d’ores et déjà dorénavant, par des indiscrétions, le titre de travail : Alex rien de nouveau.

jeudi 25 août 2011

Vamos au plagiat

En ces heures sombres où les accusations de plagiat abreuvent les pages pan-sur-la-main des tabloïds littéraires, n'hésitons pas à troubler un peu plus les eaux en lançant, haut et fort, le redoutable scoop qui suit. C'est l'espagnol Robert Juan-Cantavella qui révèle le méfait dans son livre Proust Fiction. Proust a plagié Albert Camus ! Mais ce n'est pas tout. Le même Camus a en réalité plagié Nabokov. Et c'est là que le café se corse, car, attention, ledit Nabokov ne s'est pas gêné pour plagier Tarantino. Tous les détails de l'affaire dans quelques jours. Ça commence en attendant ici.

A la fois chair et poisson : Goldschmidt saisi


Georges-Arthur Goldschmidt, Le poing dans la bouche, éd. Verdier, 13 euros
En Kafka, et surtout en Joseph K., Georges-Arthur Goldschmidt a trouvé son double, la clé d’un unheimlich destinée à une serrure aussi mentale que charnelle. Mais avant de découvrir Le Procès, il a longtemps erré dans des limbes troubles, entre langue allemande et langue française, entre langue maternelle prise en otage par le nazisme et langue d’exil devenue salut. C’est par Pascal, nous raconte l’auteur, qu’a eu lieu le saisissement, la « saisie », par laquelle l’adolescent parvient enfin à penser, littéralement, ou mieux, pire : littérairement, son corps. Voué à l’opprobre comme à la culture du châtiment en vigueur dans l’internat où il résiste, l’auteur trouve dans la lecture, et dans la langue classique, le contre-fouet nécessaire, une autre forme de respiration. L’obligation qui lui est faite de se sentir déplacé, liée à l’impérieux désir d’être situé, font qu’il va extraire de sa condition d’orphelin, mais d’orphelin riche de deux langues, une « inexpugnable souveraineté », laquelle lui permet de dire et penser, à proportions égales, en octobre 43 : « Je suis, en dépit de vous. »
Mais l’aventure de la langue, ou plutôt de l’entre-langue, passe chez Goldschmidt par une expérience avant tout physique. Il éprouve la musique, la syntaxe et la profondeur de la langue comme on apprivoise une fièvre, afin de mettre le doigt avec précision sur ce qu’il nomme « point de sidération », et qui est comme un écho à ce « poing dans la bouche » que son titre emprunte à Kafka. Par delà l’affrontement entre deux mondes linguistiques, deux cultures, deux voix, l’auteur entend autre chose, peut-être la crispation d’un soi en quête d’épanouissement. Il dit ce que peut être un livre, une lecture, dans son essence bouleversante :

Il y a ainsi quelques rares livres grâce auxquels on parvient à se libérer de cette menace toujours présente de la démence précoce, des livres dont on découvre qu’ils empêchent de de gratter le sol, de griffer l’herbe […].

Griffer l’herbe, briser la mer gelée qui est en nous : deux images qui renvoient à un geste fondateur, violent, indispensable. Et Goldschmidt de dévoiler page à page les lectures qui l’ont saisi et aidé à devenir : Pascal, La Bruyère, Rousseau, Hector Malot, Flaubert, Rimbaud, Artaud – pour les écrivains français. Hölderlin, Kant, Handke, Walser pour les Allemands. Puis vint Kafka, confrère en langue mineure, et l’auteur put enfin réinvestir cet allemand d’enfance qu’avait défiguré la LTI.
Réflexion sur la culpabilité inique, le corps du soi et le tremblement de la langue, Le Poing dans la bouche est « poignant » au sens le plus concret : main tendue vers des objets immatériels, qu’il faut néanmoins saisir, palper, presser, afin qu’en coule un jus autre qu’interdit. Ce que Goldschmidt exprime parfaitement quand il écrit :

Je suis ma propre inappropriation, c’est ce qui me fait exister.

mercredi 24 août 2011

Pape Pie peut plus


Les éditions d’ores et déjà ont réédité en début d’année un pamphlet de Paul Lafargue, oui, le neveu de Marx, celui-là même qui, un an après avoir reçu la visite de Lénine, se suicidera (aucun rapport, sûrement…). Ce pamphlet anticlérical se sirote comme un vin de messe dans l’antichambre d’un bordel, sans complexe, pieds et poings déliés, en fredonnant des ça-ira pendant que le monde hésite à changer de base. L’argument est simple et cocasse : Pie IX, au bord de l’impotence bien qu’infaillible, se demande comment renforcer le joug de la foi alors que ses brebis cèdent aux sirènes de l’Internationale. Son conseiller, le cardinal Antonelli, lui conseille d’aller réquisitionner le Très-Haut (et prie en secret pour que le Saint Père trépasse lors de son ascension. Las, Dieu est, sous la plume acide de Lafargue, un vieillard aigri et crotté qui envoie gentiment bouler le pontife. Ce dernier se rabat alors sur le fiston, mais Jésus, mafflu, ne s’intéresse qu’à ses bouclettes et ses sultanes. Reste le saint esprit, mais là encore, la « sacré pigeon » n’a pas envie de « passer au beurre », même pour « implanter parmi les hommes l’autonomie communale et la République parlementaire et malthusienne ». Le dernier mot de cette fable à soufflets (entendez : à gifles) reviendra à l’ami Pan. Lafargue n’y va pas avec le revers de l’encensoir, c’est le moins qu’on puisse dire. Pour convaincre Pie IX d’aller au ciel, son cardinal sait trouver l’argument qu’il faut :

– Monter au ciel ! moi, si vieux, si infirme ? répétait-il avec le geste et la voie de l’idiotie.
– L’air nouveau, les plaisirs du voyage te ragaillardiront. Au ciel, Dieu touchera tes hémorroïdes. Le médecin te prédit une nouvelle fistule à l’anus ; le doigt du Tout-Puissant assainira ton fondement. (…)
La fistule était l’argument irrésistible d’Antonelli.

Et c’est comme si l’ombre de Lautréamont passait soudain dans les pages du gendre de Marx, profitant d’une brève béance dans l’anus dei… A offrir sans barguigner à tous les impies, neufs ou vieux.
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Paul Lafargue, Pie IX au paradis, éditions d’ores et déjà, 4 euros

mardi 23 août 2011

La France du mal

Dans les années 70, les bd pour adultes petit format fleurissent en France. Il y a la célébrissime Maghella de l'italien Dino Leonetti, souvent censurée dans ses éditions françaises, aux aventures pleines de rebondissements (c'est le moins qu'on puisse dire…), souvent liées à un contexte féerique. Et puis il y a toute une pléthore d'autres lubriques opuscules, qu'on pouvait alors acquérir moyennant trois francs six sous. Outre des récits chauds en couleur (bien que souvent en noir et blanc), ce qui frappe ce sont les phrases d'accroche, bourrées de fautes d'orthographe, pesantes de grivoiserie gauloise, et n'hésitant pas à promettre l'impossible. Un bref florilège donnera une idée de la délicatesse de ces incitations à la lecture pour gaucher: "de quoi satisfaire ses passions les plus folles sans se ruiner"; "de l'inédit pour se fendre la pipe! une bouffarde qui va faire un tabac! sans blague" (oïnk, oïnk! NdB); "une histoire gaudriolante qu'on se passera de bouche en bouche pour en boucher un coin" (là, c'est 4 francs…); "un numéro flambant au poil et à poil!"; "des scènes folles comme personne à ce jour n'avait encore osé en montrer!"…
Ces publications sont très souvent publiées par Evilfrance, dont Gustave Cariot nous conte brièvement la genèse sur son site kebekmac :
Elvifrance est un éditeur français de bande dessinée érotique en petit format, la plupart des titres étant d'origine italienne. Suite à un impayé des éditions Canal à Erregi de certains droits d'auteurs, Cavedon et Barbieri décident de publier eux-mêmes leur production. Ils contactent Georges Bielec et créent Elvifrance SARL le 28 avril 1970. Les premiers titres à paraître sont Isabella, de Sandro Angiolini et Cavedon et Jungla de Stelio Fenzo, Mario Cubbino et Trivellato. Devant le succès, les titres se suivent à un rythme effréné : Lucifera, Goldboy, Jacula, Sam Bot, Lucrèce, Zara la vampire, Wallestein, etc. Les BD publiées par Elvifrance abordent tous les genres : horreur, humour, aventure, avec comme point commun un aspect fortement égrillard et, au fil des annéees, une tendance de plus en plus marquée vers l'érotisme et le gore. Les BD d'Elvifrance se signalent également par une grande crudité des dialogues, souvent source d'humour avec jeux de mots. Rapidement, Elvifrance va devenir la cible favorite de la commission de censure dont il subira les foudres à répétition avec 532 titres interdits aux mineurs et 176 titres interdits d'exposition. Malgré cela, le succès continue et les titres se multiplient. Une filiale appelée Novel Press est même créée et Elvifrance devient plus importante que la maison mère italienne. Au fil des années, ces BD italiennes pour adultes évoluent de plus en plus vers la pornographie. Dans les années 1980, la BD petit format s'essouffle et Elvifrance n'échappe pas au phénomène. Les BD de poche en noir et blanc ayant du mal à rivaliser aux films X de Canal+ ainsi qu'à la déferlante des vidéo-cassettes du même type. Malgré des tentatives pour trouver des nouveaux marchés, Bielec est obligé de fermer boutique le 15 avril 1992.
On se fera donc un plaisir de rouvrir ici partiellement boutique et de proposer, de temps à autre, un choix de couvertures,  afin de rendre justice à ces "porno-boucs" petit format mais grand fond, qu'on ne trouve plus que chez les libraires avisés et les vide-greniers de province. Rigol-hard? Yessir!

lundi 22 août 2011

Par delà le sec et l'humide: le scalpel Littell



Jonathan Littell, Le sec et l’humide, Gallimard/L’Arbalète, 15,50€
L’essai de Jonathan Littell sur le fasciste belge Léon Degrelle, qui se veut une application des thèses de Klaus Theweleit, philosophe encore inconnu en France, est une étrange machine à deux temps. S’il s’agit bel et bien de vérifier certains postulats du « diagnostic » établi par Theweleit dans son ouvrage Männerphantasien en prenant pour objet d’étude un rexiste rallié à la cause hitlérienne, et plus précisément un texte de ce fasciste intitulé La Campagne de Russie, un autre projet se déploie en sourdine : non seulement établir une anatomie du corps fasciste, mais également montrer comment l’écrit fasciste désigne, de façon patente, ses angoisses physiologiques, qui elles-mêmes font écho à une peur panique, la peur d’être l’autre de l’autre. A partir de catégories comme le sec et l’humide, le raide et le mou, etc., Littell relit le texte autobiographique (et auto-justificatif) de Degrelle afin de discerner, sous l’édification falsifiée de la légende, le magma des phobies liées au corps fasciste. Mais la démonstration, qui peut sembler souvent académique, voire didactique (les citations abondent, ainsi que les statistiques lexicales), se double d’une autre lecture : une lecture-distance. En effet, le moins qu’on puisse dire, c’est que Léon Degrelle cherche sans cesse à "faire style". Il use de termes obsolètes, de néologismes, recourt à des images fortes, inhabituelles (même si, bien sûr, le cliché règne en kapo) – or Littell, malgré une attention aiguë au champ lexical de Degrelle, se refuse à commenter le style de son dernier, à aucun moment il n’émet de réel jugement « littéraire ». L’approche est déconcertante, car si Degrelle n’est pas Céline, la recherche élaborée d’une langue avant tout descriptive pose une question : qu’est-ce qui pousse le corps fasciste à styliser ses mensonges, ses prétentions, ses angoisses ? Il eût peut-être été intéressant de sonder plus avant le style degrellien, encore qu’une telle exploration n’est pas sans risque, car la reconnaissance d’une esthétique ne fait jamais bon ménage avec la condamnation politique. Pourtant, l’écriture de Degrelle témoigne d’un lyrisme qui, convenablement étudié, pourrait peut-être éclairer certains aspects de la rhétorique fasciste. Prenons un exemple :

« J’ai foncé, balai au poing, parmi ces bandes corrompues qui épuisaient la vigueur de ma patrie. Je les ai fouaillées et flagellées. J’ai détruit, devant le peuple, les sépulcres blanchis sous lesquels elles cachaient leurs turpitudes, leurs brigandages, leurs lucratives collusions. »

Turpitudes, brigandages, lucratives collusions ? On imagine assez ces termes dans la bouche d’un Le Pen, comme si la haine fasciste avait besoin à la fois du pedigree ancien des mots et de leurs chantante alliance. Le fascisme ne fait pas que « produire de la réalité », comme le dit Theweleit et le répète Littell : en marge d’une langue défigurée, aboyante, comme l’est la LTI, sensible avant tout dans la propagande, il aime à accoucher d’un lyrisme à la fois guindé et sauvage, conscient que la stylisation des pensées et affects sert un but crucial : transformer l’immonde en cadence. Autre exemple, la mort d’un officier estonien :

« Il s’était couché tout plat contre mes bottes, raide comme une planche : une balle, au lieu de m’atteindre au pied, le cogna en pleine figure, le traversa d’un bout à l’autre et ressortit entre ses deux fesses.
« Il se tordit comme un ver, cria, excréta. C’était trop tard. La digestion de la balle s’était faite trop vite. Dix minutes après, il était mort. »

La scène est pour le moins saisissante. Pourtant, Littell se refuse à en apprécier la force ou l’originalité. Il est vrai que son étude n’est pas littéraire au sens propre, mais vise à dégager des invariants dans l’imaginaire fasciste. Néanmoins, il est frustrant de ne limiter ce repérage qu’aux substantifs, et de ne pas l’étendre à la syntaxe, aux images, aux assonances, etc. Des énoncés tels que « sa tête n’était plus qu’un cerceau macabre », « ses plaies palpitaient et s’ouvraient comme si elles avaient été vivantes », « d’innombrables petits morceaux de chair, pas plus gros que des oreilles, retombèrent dans la neige, lentement, de tous les côtés, sur nous et autour de nous », « le ventre et les jambes brunies de sang gelé », « le vent s’anordit », « fiévreux, avec d’hallucinantes safranées », etc, appellent nécessairement un commentaire.
Cette quête stylistique d’une beauté, même vile et vaine, en dit pourtant long sur le travail de camouflage auquel se livre le corps fasciste écrivant quant à ses propres répugnances. Cela dit, remettons les choses en perspective : La campagne de Russie de Léon Degrelle n’est évidemment pas un grand livre, tant le cliché raciste et la rhétorique fasciste y mènent une danse inlassable. Mais le fait que son auteur, au fil de cette réécriture du réel visant à faire du sujet Degrelle un moi caparaçonné et glorieux, ait cédé par moments à la tentation lyrique, voire épique nous aide à mieux saisir ce qui fait « tenir » le corps fasciste dès lors qu’il « retranscrit » : pas seulement l’étai mille fois poli du topos raciste, mais aussi les ornements baroques, l’imagerie pyrotechnique, l’assonance complaisante. La part exaltée, fantasmée, serait ainsi l’horizon rêvée d’une idéologie qui n’est souvent qu’une crispation confite dans le déni. De même que la fascisme et le nazisme se sont gavés de décorum, l’écrit fasciste a besoin, pour dépasser la vacuité de son propos, de pousser l’image hors du topos, de croire aux puissances prétendument rédimantes de la langue. Pure illusion, bien sûr, puisque la surcharge haineuse, qui a besoin d’une source commune et éprouvée, ne saurait traiter les affects autrement que comme des armes, au lieu d’en faire des objets complexes, vivants.

lundi 15 août 2011

La terreur dans toute la région


Sylvain Coher, Carénage, Actes Sud, 17€ — en librairie le 17 août.
 Le précédent roman de Sylvain Coher, Les Effacés (Argol, 2008) suivait des hommes et des femmes condamnés à marcher. Carénage, lui, s’attache à un homme qui roule, qui roule si vite qu’il se rêve bien souvent hirondelle. Anton et sa moto, une Triumph noir baptisée L’Elégante avec laquelle il fait corps, corps-machine, afin de traverser la vitesse absolue, flèche n’ayant d’autre cible que le destin de toute flèche. Il y a aussi Arman, l’ami qui préfère les cylindrés italiennes (devenant, de facto, ennemi), et Leen, la rivale trop humaine de la Triumph, qui sait ne pouvoir éclipser le noir engin. Ça commence donc un peu comme dans La vie de Jésus, même si, surmultiplié oblige, on se dirige droit vers un final épuré à la Ben-Hur. A l’instar de Maylis de Kerangal qui enfermait dans l’articulation de sa syntaxe les moindres forces permettant d’élancer un pont au-dessus d’un fleuve*, Sylvain Coher arc-boute sa phrase pour lui permettre de frôler la glissière de la page. Dire la vitesse (et ses effets sur le corps) a toujours été un des grands défis de la littérature, et le moins qu’on puisse dire c’est que l’auteur excelle ici à faire de son antihéros un chevalier crispé de tout premier plan, non pas magnifié par sa monture mais s’y dissolvant, trouvant dans ses lignes et ses ruades l’idéal fuselage où planquer son mutisme. Mais dire la vitesse, c’est décrire non seulement le corps en plein devenir-projectile, mais aussi la machine et sa pulsion de mort, le paysage métamorphosé en chaînes logiques que l’œil parcourt à toute allure pour en faire de pures déductions directionnelles, repérant à l’avance les imperfections qui obligeront à modifier la ligne du mouvement. On l’aura compris : à travers le récit d’une impossible fuite en moto, l’auteur éprouve la résistance de l’écriture, rodant vite sa syntaxe (ou plutôt notre lecture) pour nous entraîner dans un processus de dématérialisation, au prix d’une célérité très ingénieusement modulée :

"Antoine cavalait désormais loin devant le bruit, sur le velours feutré d’une portion de route neuve sur laquelle les Pirelli Diablo glissaient comme les fers sur la glace des patinoires."

Ben-Hur ? Une boutade ? Pas si sûr. Car « Carénage », ce mot fuselé où l’œil, s’il file aussi vite que la Triumph, lit inéluctablement le mot « carnage », est affaire de double : Anton et Arman, frères jumeaux qui ne peuvent, passé la rupture, que se rejoindre dans la mort ; mais aussi chemin de croix (ou plutôt de carrefours…), stations menant à une étrange ascension finale… On a évoqué de Kerangal, on pourrait tout aussi bien convoquer Régis Jauffret, tant le dernier tiers du roman réinvente un couple hideux et magnifique comme en a souvent dépeint l’auteur de Microfictions.

Carénage, à l’image de la moto d’Anton, n’est pas uniquement volte et vélocité. Ne met pas seulement en conflit deux cavaliers sans peur emportés sur la ligne de fuite d’un devenir-machine que vient croiser une pulsion de mort. S’y joue un drame plus crépusculaire, plus antique, où l’âme est déjà morte et le corps déjà souffrant, où le monde se révèle limbes, la parole changée en une brume qui noie le paysage, et où la nuit est matière à réflexion, autant que la visière d’un casque qu’on devine, depuis le début, crâne.  Où la seule quête digne de ce nom est celle de « l’immédiate éternité ». Avec sa chienne de moto, Sylvain Coher déchire davantage que le paysage et customise la grâce en la plongeant dans du métal hurlant.
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* Naissance d'un pont, éd. Verticales.