mercredi 27 avril 2011

Les Foudroyés, de Paul Harding: extrait

Voici le début des Foudroyés, de Paul Harding – traduction Pierre Demarty – récemment paru au Cherche-Midi éditeur, dans la collection LOT49: 


George Washington Crosby se mit à avoir des hallucinations huit jours avant de mourir. Du lit médicalisé de location installé au centre de son salon, il vit des insectes entrer et sortir à toute vitesse par des fissures imaginaires dans le plâtre du plafond. Les carreaux des fenêtres, jadis découpés et polis à la perfection, se décrochaient dans leurs châssis. À la moindre bourrasque, ils basculeraient et iraient se fracasser sur la tête des membres de sa famille assis sur le canapé, la causeuse et les chaises de cuisine que sa femme avait apportées pour que tous puissent prendre place. Le déluge de vitres explosées les chasserait de la pièce, ses petits-enfants venus du Kansas, d’Atlanta, de Seattle, sa sœur venue de Floride, et il se retrou- verait naufragé sur son propre lit, englouti dans une tranchée d’éclats de verre. Le pollen et les passereaux, la pluie et les écureuils intrépides qu’il avait passé la moitié de sa vie à tenir éloignés des mangeoires pour oiseaux entreraient en trombe dans la maison.
Il avait construit la maison de ses propres mains – coulé les fondations, hissé la charpente, raccordé la tuyauterie, installé les circuits électriques, plâtré les murs et peint les pièces. Un jour, il fut frappé par la foudre alors qu’il était dans les fonda- tions encore ouvertes en train de souder le dernier joint du réservoir d’eau chaude. Il fut projeté sur le mur opposé. Il se releva et termina sa soudure. Les fissures dans son plâtre nedemeuraient pas fissures ; les tuyaux bouchés étaient drainés ; le bois qui s’écaillait était décapé et verni d’une couche de pein- ture neuve.
Allez chercher du plâtre, dit-il, à demi relevé dans le lit, qui avait une allure étrange et cérémonieuse parmi les tapis persans, les meubles coloniaux et les dizaines d’horloges anciennes. Allez chercher du plâtre. Bon Dieu, un peu de plâtre, une poignée de câbles et deux ou trois crochets. Vous en auriez pour cinq billets à tout casser.
Oui, papy, dirent-ils.
Oui, papa. Un courant d’air se glissa par la fenêtre derrière lui et fit le vide dans les têtes épuisées. Dehors, des boules de pétanque s’entrechoquaient sur la pelouse.

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