mercredi 2 mars 2011

David Besschops, grand maître ès basses œuvres

Trou commun, comme à mi-chemin entre fosse commune et tronc commun, pourrait être un traité de suffocation s'il ne recélait une si savante respiration. En quarante-neuf chapitres d'à peine trente lignes, David Besschops s'attache à faire revivre – crever? – une famille, le père, la mère et leurs sept enfants ("sept garçons dont trois filles de sexe mâle, je ne suis pas dupe"…). Tous prennent la parole, à tour de rôle, pour dire les liens, le quotidien, le corps surtout. Liturgique jusque dans le sordide, rythmique à la façon d'une aorte sectionnée puis ligaturée, Trou commun évolue dans une univers qu'on pourrait qualifier de parallèle à celui de Pierre Guyotat, mais le traitement est bien sûr différent. La langue selon Besschops est une farce syntaxique, à l'image des liens humains, plus rongés que distendus. Sa phrase cahote sans jamais pourtant tituber, et l'on sent une sorte de grâce résiliente sous les énoncés les plus râpeux. Trou commun se lit crispé, dans l'urgence immobile de la lecture, au cœur d'une fascination dont on ne sait trop si elle écrase ou libère. S'enfonçant dans la page comme un clou, chaque phrase réitère la force d'un projet qu'on ne peut qualifier autrement que poétique, instaurant un théâtre de la cruauté, où tous les "je" sont pitres, fanfarons, blessés. Rompant sa phrase sans prévenir afin qu'on ne s'abuse pas sur son apparent coulé, Besschops substitue l'intense liberté de sa parole à la déréliction programmée de ses proies. Ecoutons-le plutôt:
"Je suis accusé de l'éducation de sept enfants. Une faiblesse humaine. Mon seul objectif étant de les empêcher de tremper à l'endroit midinette de leur mère. Femme que je comble. Pas question de lui permettre gaieté primesautière sans réagir. Je la sors occasionnellement de sa dépression pour la placer sous grossesse. Neuf mois acquis de conscience à l'actif de ma libido. Pendant lesquels, j'exhume les grands animaux de la raison."

Maître ès basses œuvres, David Besschops, auteur belge né à Rocourt, se présente ainsi lui-même: « Fils d’un moindre mal aux ongles ras et d’un chagrin muet, il fut condamné aux parents forcés en 1976 pour s’être coupé la poire en deux sur la largeur… Ensuite, pas que la mère à boire, et le père, de gifles ! Fallait que néant se fasse. Aujourd’hui, filé en permanence par un satellite-espion à la solde de la phonétique, il partage son Mexique entre le Noir et le Temps. Peu loquace échéant… » Peu loquace, mais écrivain haut la main, rare – indispensable.
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David Besschops, Trou commun, éditions Argol, 112 pages, 19 € (ouvrage paru en novembre 2010)

5 commentaires:

  1. Je salue et partage votre formule sur la langue de Beeschops,"farce syntaxique", en soulignant aussi les nuances et la portée du premier mot, qui définit à la fois son projet littéraire et son écriture – faire entrer / faire sortir :"Je suis sans issue. J'ai beau faire avec mes orifices rien n'en sort de manière durable. Pas la peine d'y introduire l'humour. La merde l'authentique occupe tout" (47). La littérature comme trou commun ?

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  2. Felicidades por tu libro, ojalá llegara una traducción al español para poder disfrutarlo, enhorabuena.

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  3. Un livre factice, factuel et fébrile, dans sa langue, futile et fulminant. Prix atrocement élevé au ratio, à voler dans la grande distribution

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  4. Je me demande ce que vous voulez dire par factice et factuel - concernant ce livre, bien sûr.
    L'avez-vous volé avant de l'avoir lu ou après ?
    Futile et fulminant ?

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