vendredi 11 février 2011

Un dernier tour


On sait beaucoup de choses sur Houdini, tellement de choses en fait que l’élément Houdini a fini par s’émietter dans chacune des choses qu’on sait de lui, laissant ici un H capital auquel il était las de toute façon de s’enchaîner, là un « o », cerceau pâle et un peu trop percé, cent fois traversé par de quadrupèdes compagnons lors de numéros où la grosse caisse peinait à marquer le tempo tchaka-tchaka-poum du Temps forain, et puis bien sûr les autres lettres, l’urne du « u » qui n’était somme toute qu’une – trivial soyons – cuve où, aaaah, retenir son souffle, huiffffffshhh, autrement dit une page blanche imbue de volume, mais aussi ce « d » dont on ignore en général quoi fiche si ce n’est constater qu’une fois enfoncé dans le corps il ne ressort jamais sans faire de dégâts, un peu comme une idée mal limée qui laisse des traces indésirables au lieu d’arrondir les angles, et enfin, une fois le « n » désenclavé des poignets, click-click, ce fameux « i » que Mystère Harry avait ajouté au nom de son mythique mentor, Robert-Houdin, magicien davantage porté sur les automates que sur les phénomènes de foire, Harry s’italianisant de la sorte, lui qui pourtant était né en Hongrie, quelque part dans le mitan du fleuve, entre Buda (et) Pest, au beau milieu d’un éventuel nulle part, bébé Harry qu’on avait transplanté ensuite en plein terreau américain, à Appleton, qui est une ville du Wisconsin (Wizconsin, devrait-on dire — hum, nous voilà bien avancé, tiens), pour y renaître une seconde fois, sous la forme d’un mini Edison de l’escamotage, et une fois cet éparpillement lettrique achevé, que reste-t-il de notre traqueur d’ectoplasmes, de l’amant de Madame Jack London, du dresseur de nègres lovecraftiens, que faire de la figure houdinienne une fois le courant alternatif éteint dans la chaise où il faillit poser son séant pour un ultime tour d’escapologie, alors n’en parlons plus, ne parlons plus de l’usine Houdini, fermons ses portes, jetons la clé, regardez, la voilà qui tombe, éclat sans or, par dessus le parapet du pont elle tombe – l’air cicatrise aussitôt – s’insinue dans l’eau noire du fleuve, de n’importe quel fleuve, et plouf ! de la chose Houdini il ne reste rien, sa mort est consommée, tous les yeux qui l’ont vu choir et patauger (et réapprendre à respirer au fond du lit boueux d’un miroir) ne fixent plus que le bombé de leurs paupières en granit, en acier, y a-t-il une explication, y a-t-il une raison, un fil reliant la bobine au labyrinthe, le lapin au chapeau, on ne sait, le fait est que la magie est de façon pas si métaphorique que ça une espèce de duplication farceuse (et un peu – un peu seulement ! – moins foireuse) de l’écriture, mais ne comptez pas sur moi ni sur Houdini pour vous donner un exemple, dévoiler ses trucs est passible d’enfer et d’opprobre, je ne dévoilerai rien, rien de rien, et nous resterons dans le noir, avec l’ombre-houdini, le souvenir de son ombre détouré et retourné, un destin passé, un coup porté, boïïïng, puis, sereins, les bras ballants, l’œil rouge, nous ferons comme tout le monde, nous ferons comme Houdini, nous serons, à proportions égales, oubli et magie.

1 commentaire:

  1. THE HANDCUFF KING!! THE GREATEST NECROMANCER OF THE AGE!!

    C'est drôle, votre texte m'en rappelle un autre, qui a fait courir en moi des frissons galvanisés, des ondes voltaïques, des éclairs sous-cutanés, des fulgurances magnétiques, des picotements...
    Il y est question de Chair/Chaise, d'Edison/Godhison, d'Houdini et de *Szuszu*, de freaks. Un roman plein d'énergie et de jubilation. Bon, vous le savez, vous, combien j'ai aimé Chair électrique.


    Et puis, j'aime beaucoup aussi ce petit fantôme d'une étonnante vitalité :

    http://www.youtube.com/watch?v=z2cXZTkZfRA&feature=related

    Amitiés

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