lundi 8 mars 2010

Max et les Maxifauves


La librairie Folies d’Encre, à Montreuil, ne se contente pas de vendre des livres, elle en publie également. Sous l’impulsion de son grand manitou, Jean-Marie Ozanne, on peut donc lire (ou relire) désormais le roman du Brésilien Moacyr Scliar (prononcez Mo-uh-seer Skleer), Max et les Fauves, paru une première fois dans une précédente traduction française en 1991 aux Presses de la Renaissance sous le titre plus domestique Max et les Chats.

En quatre-vingt pages, Moacyr Scliar décline une étrange menace féline à laquelle ne semble pas pouvoir échapper son personnage, Max Schmidt. C’est l’histoire d’un enfant qui peine à surmonter un cauchemar, une phobie, d’abord celle d’un tigre empaillé dans la boutique de fourrures paternelle, dont les yeux de verre semblent percer à jour sa jeune poltronnerie, sa fragile innocence. Le fauve se réincarnera souvent, il prendra très vite le visage du prédateur nazi, obligeant le jeune Max à fuir l’Allemagne après avoir goûté d’un peu trop près une fourrure autrement plus capiteuse (la goulue Frida…), puis se manifestera très concrètement dans la peau d’un jaguar, unique occupant d’un canot sur lequel dérive Max avant d’arriver au Brésil, plus précisément à Porto Alegre, ville natale de Scliar. Là, d’autres démons l’attendent, le guettent, car si Max a fui son pays pour tout recommencer à zéro, il n’a pas soldé tous ses comptes, et sa conscience historique, fauchée dans la fleur de l’âge, n’est pas arrivé à maturation – une bouffée d’antisémitisme cohabite chez lui avec la peur du nazisme. De ce conflit irrésolu vont naître phobies et hallucinations, mais aussi l’amorce d’une rédemption.

Ce court roman, traduit par Philippe Poncet, inocule le virus de la fable dans le cauchemar de l’histoire, en glissant entre deux terres distantes, l’Allemagne et le Brésil, un océan fantasmatique où règne un jaguar affamé ; mais le texte profite également de sa légèreté de ton et de l’enchaînement rocambolesque des circonstances pour sonder quelques anfractuosités mentales, et ce avec une subtilité pleine de grâce et d’humour. Le jaguar du livre, davantage reproche que menace, tôt jailli des jungles de l’enfance, cause et témoin des premières peurs, gardien des premiers émois, ennemi et compagnon de l’histoire, refuse de lâcher Max au cours de son odyssée. Son rugissement sourd exige d’être articulé, et Max ne saura se dévêtir de son pelage avant de l’avoir tué, mentalement et littéralement.

Difficile, voire impossible, de conclure sur ce roman paru en 1981 sans évoquer ce curieux avatar, cet autre félin qui valut gloire et renommée à l’écrivain Yann Martel en 2002, avec la parution de son roman The Life of Pi. Dans une postface, Moacyr Scliar raconte comment il eut vent de ce récit mettant en scène un personnage se retrouvant nez à nez avec un tigre dans un canot. Yann Martel finit par concéder dans un entretien qu’il avait lu un jour une critique faite par Updike du roman de Scliar, roman que Martel ne lut même pas mais dont il estima légitime de s’inspirer, les idées, aussi affûtées soient-elles, appartenant à tout le monde. Scliar, bon prince, n’alla pas jusqu’au procès, mais il reste à jamais étonné de la désinvolture de Martel. Si l’histoire littéraire abonde en pillages et détournements, on est toutefois en droit de se demander si cette réalité historique peut faire l’économie d’un devoir de reconnaissance. Par sa discrétion, son refus du litige, Moacyr Scliar nous rappelle qu’un livre se nourrit de lectures autant que de lecteurs, et que sa force n’a guère besoin des griffes du plagiat ni des crocs du succès.

1 commentaire:

  1. Hors sujet mais j'ai lu O Révolutions chez pleasant fountains on y trouve la traduction géniale.

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